Qu’y a-t-il de juif aux Oscars de cette année ? A l’évidence, de la controverse
A l'heure où Hollywood s’apprête à s'auto-congratuler, plusieurs films de tout premier ordre vont éveiller l'intérêt du milieu, sans compter les drames hors l'écran
NEW YORK – Une fois encore, voici venu le moment pour Hollywood de se maquiller pour se livrer à un exercice d’auto-congratulation. Cette cérémonie des Oscars sera retransmise à moitié moins de monde qu’il y a de cela 25 ans, mais elle demeure un événement important et l’occasion pour le grand public de savoir ce qui s’est fait de mieux, sur le grand écran, l’an dernier. (Ce qui ne garantit pas que les gens iront voir ces films au cinéma mais ils pourront au moins dire : « Ah oui, j’en ai entendu parler. ») Et les nominés de cette année comptent un certain nombre de juifs ou d’histoires juives.
Le plus notable est à n’en pas douter « The Brutalist », du réalisateur et co-scénariste Brady Corbet. Nominé à dix reprises, le film est porté par l’acteur Adrien Brody, qui interprète le rôle d’un survivant d’un camp de concentration juif hongrois qui découvre en Amérique une autre forme d’antisémitisme.
Le personnage auquel Brody prête ses traits, László Tóth, est un brillant et exigeant architecte qui, suite à de multiples rebondissements, se retrouve mandaté par un industriel de Pennsylvanie au nom on ne peut plus goy de Harrison Lee Van Buren (joué avec beaucoup d’enthousiasme par Guy Pearce). La relation entre le mécène et l’artiste prend une tournure personnelle et émotionnelle tout au long des 215 minutes du film. (N’ayez crainte, un entracte est prévu.)
L’existence d’Israël est un des leitmotiv de « The Brutalist ». Dans l’une des premières scènes, où l’on voit Tóth revenir à ses premières amours – forger, marteler, construire –, on entend la radio annoncer la création de l’État juif. À plusieurs moments, l’idée de partir s’installer en Israël est évoquée, ce qui n’a rien d’étonnant pour un Juif déplacé et sa famille, au milieu du XXe siècle. L’idée est diversement accueillie : cela signifie d’abandonner le rêve américain, mais c’est peut-être la seule fin logique. Les personnages sympathiques de ce film parlent du fait de l’émigration en Israël comme de « rentrer à la maison », phrase forte de la première scène du film, lorsque la nièce de Toth est interrogée par les autorités inféodées aux Soviétiques, en sa qualité de personne déplacée.
Le message du film sur Israël est ambivalent, au grand désespoir de certains spectateurs. Corbet, qui n’est pas juif, est une idole pour nombre de jeunes cinéphiles – son déploiement du procédé VistaVision, la première utilisation de cette technique anamorphique pour un long métrage depuis 1961, en a fait une référence dans le milieu. Mais son refus de filmer un personnage en train de dire, face caméra, « Israël est un projet colonial de peuplement et doit, à ce titre, être dénoncé » a fait grincer des dents, même parmi ceux qui ont aimé le film. Par ailleurs, la scène finale du film est, selon certains, d’un anti-sionisme sournois. Malheureusement, il m’est impossible d’en dire plus sans divulguer la fin du film, alors ne lisez pas le paragraphe qui suit si vous préférez ne pas savoir.
« The Brutalist » commence par une séquence d’ouverture et se termine par un épilogue. L’épilogue se déroule dans les années 1980, au moment où Tóth reçoit un prix à Venise pour l’ensemble de sa carrière. (Curieusement, la pellicule prend un aspect daté.) Tóth est en fauteuil roulant, trop vieux et faible pour parler. Sa nièce, sioniste, parle en son nom et révèle que la première grande œuvre de son oncle – le centre civique commandé par Van Buren qui a mis des décennies à sortir de terre – était en fait une étude sur le camp de Bergen-Belsen, là où sa femme et lui avaient été emprisonnés. Nous apprenons alors que ce sont les horreurs de la Shoah qui lui ont inspiré ses plus grandes oeuvres. Cependant (certains disent) qu’il s’agit d’une voix peu fiable. Cela fait des heures que nous regardons ce film, et Tóth n’a en effet jamais laissé entendre que tel était son projet. Pour certains, cette nièce représente un Israël qui récupère la voix réduite au silence des victimes de la Shoah pour les besoins de sa propagande. C’est une théorie intéressante, mais un peu excessive. Corbet s’en tient à louer l’ambiguïté de son film.
Quoi qu’il en soit, « The Brutalist » a de bonnes chances de remporter le prix du meilleur film. Ce n’est pas une certitude, mais c’est possible. Brody, qui a déjà remporté l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle de survivant de la Shoah dans le film « Le Pianiste », en 2002, est une valeur bien plus sûre. Il est remarquable dans ce rôle mercurial et mérite amplement de gagner.
Bien sûr, il a déjà remporté une statuette pour un rôle semblable lorsqu’il était plus jeune, mais il pourrait très bien le refaire à 51 ans, et peut-être encore à 80 ans, avec un nouveau film sur la Shoah. Je crois aussi que le compositeur Daniel Blumberg a de bonnes chances de remporter l’Oscar de la meilleure musique originale. (S’il ne le fait pas, ce sera scandaleux !) Guy Pearce est nominé pour le meilleur acteur dans un second rôle, mais il est probable que la récompense aille à Kieren Culkin pour son rôle dans « A Real Pain ».
« A Real Pain » est presque l’exact opposé de « The Brutalist ». Les deux films parlent des conséquences de la Shoah, mais « The Brutalist » est un gorille de 400 kilos et « A Real Pain », une sonate impeccable de Chopin. Écrit et réalisé par Jesse Eisenberg, il suit deux cousins que tout sépare – interprétés par Culkin et lui – et qui, à la mort de leur grand-mère, se rendent en Pologne pour retrouver les traces de leur famille. Ce voyage les promène entre des destinations on ne peut plus photogéniques et le camp d’extermination nazi de Majdanek. En cours de route, le film évoque l’industrie touristique qui s’est développée autour des camps de concentration et les contours de l’histoire. Cela n’en a peut-être pas l’air, mais c’est aussi extrêmement spirituel et intelligent – et même les blagues, inattendues, donnent lieu à des moments véritablement poignants. (Eisenberg est nominé dans la catégorie du meilleur scénario original, et il a de bonnes chances de gagner.)
Bien qu’il ne manque pas d’écrits sur les « traumatismes générationnels », le va-et-vient entre les personnages d’Eisenberg et Culkin donne forme humaine à ces grands principes de la psychologie. Ce long-métrage de 90 minutes est un ajout majeur du cinéma juif (davantage, à mon sens, que « The Brutalist ») et à voir absolument. Pour une raison qui m’échappe, il n’a pas été nominé dans la catégorie du meilleur film, ce qui est impardonnable au vu de certains films vraiment moches (« The Substance », « Emilia Perez ») qui l’ont été.
Moins essentiel, mais malgré tout très plaisant, on pourra voir « Un parfait inconnu », film sur le jeune Bob Dylan au tout début des années 1960, lorsqu’il passe d’artiste folk à icône du rock n’roll. L’acteur juif américain Timothée Chalamet (qui joue également dans le space opera nominé pour le meilleur film « Dune, Part Two ») est vraiment splendide dans le rôle de Dylan. J’avoue que j’étais sceptique, mais il est loin de ne faire que le minimum syndical (dans son Instagram on le voit lire les mémoires de Dylan il y a de cela plusieurs années), à commencer par abaisser le ton de sa voix, il incarne à la perfection ce tiraillement entre la personnalité charismatique et l’autre, absolument odieuse.
Le titre (tiré des paroles de la chanson « Like a Rolling Stone ») est un assez bon résumé du film – voici quelqu’un qui ne laisse personne savoir qui est le « vrai » lui. A un moment du film, le personnage interprété par Elle Fanning (inspiré par celle qui fut la petite amie de Dylan, Suze Rotolo) voit un courrier et demande : « Qui est ce Robert Zimmerman ? » Dylan ne répond pas, et c’est à peu près tout ce que le film dit de la judéité de son héros.
Bien sûr, nombre de personnages secondaires de cette histoire – Mike Bloomfield, Al Kooper, Albert Grossman, Harold Leventhal, Theodore Bikel, Peter Yarrow et sans doute d’autres que j’oublie – étaient juifs. Et même les critiques qui n’aiment guère ce film (tous des rabat-joie !) admettent qu’il a réussi à capter « l’ambiance » de l’époque du revival folk à Greenwich Village. Laquelle avait pour l’essentiel à voir avec des personnalités juives.
« Un parfait inconnu » a cependant peu de chances de remporter l’un des prix pour lesquels il est nominé, notamment ceux du meilleur film, du meilleur acteur pour Chalamet, de la meilleure actrice dans un second rôle pour Monica Barbaro (fantastique dans le rôle de Joan Baez) et du meilleur réalisateur pour James Mangold, un Juif américain aux manettes de grands films (« Ford v Ferrari », « 3:10 to Yuma ») et de vrais navets (le dernier Indiana Jones, que je préfèrerais n’avoir jamais vu).
Il y a dix ans, un film comme « 5 septembre » aurait eu une multitude de nominations, mais pour l’édition 2024-2025, il devra se contenter de celle du meilleur scénario original. Le film raconte la journée d’une équipe de journalistes – d’ABC Sports à Munich – qui couvrent les jeux olympiques de 1972 lorsque l’équipe israélienne est attaquée par des terroristes palestiniens. Le film parle de la façon dont les journalistes utilisent tous les outils à leur disposition pour faire de l’audience – c’est un film de processus, similaire, d’une certaine manière, au « Spotlight », lauréat du meilleur film. C’est un film très nerveux. Mais parce qu’il s’agit d’Israéliens qui se font tuer et qu’il ose suggérer que c’est mal, le film a été ignoré de la plupart des faiseurs de rois et a même été méprisé par certains critiques. D’une certaine manière, c’est un miracle qu’il ait reçu cette nomination : il est certain qu’il ne gagnera pas.
Si vous croyez que je plaisante à propos des réactions ridicules à ce film, sachez qu’il y a eu une pétition, signée par près de 1 000 personnes, d’employés de cinéma en colère refusant d’être exposés à la propagande sioniste pendant leurs heures de travail. Le film se plie en quatre pour montrer à quel point les journalistes professionnels sont impartiaux, débattant de l’utilisation ou non du mot « terroriste » et arrêtant net le film pour rappeler au public que, bien sûr, #NotAllArabs. Quoi qu’il en soit, le film dans lequel jouent John Magaro, Peter Sarsgaard et Leonie Benesch est extraordinaire, et il le serait tout autant s’il s’agissait d’un événement qui ne concerne pas les Juifs. Cependant, les Juifs semblent être ceux qui sont le plus souvent victimes d’atrocités comme celles-ci.
Le moment le plus marquant des Oscars de l’an dernier a été la prise de parole improvisée du réalisateur juif britannique Jonathan Glazer au moment de recevoir le prix du meilleur long métrage international pour son film « The Zone of Interest », dont l’action se déroule à Auschwitz. Avec ses deux producteurs à ses côtés, il a déclaré : « Nous sommes ici en notre qualité d’hommes qui refusent que leur judéité et la Shoah soient prises en otages par une occupation qui a conduit à un conflit pour tant d’innocents », critique acerbe de la réaction d’Israël à l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 mené par le Hamas dans le sud d’Israël. C’était pour le moins inattendu pour l’un des producteurs, Len Blavatnik, milliardaire et philanthrope profondément impliqué dans de nombreuses causes israéliennes. Ses porte-parole ont confirmé plus tard ce que beaucoup soupçonnaient, à savoir que Glazer n’avait « rien laissé filtrer de son discours » à l’avance, et que ses propos lui ont valu moult lettres ouvertes de créateurs juifs à Hollywood, soit pour le soutenir, soit pour le critiquer. (Hélas, il n’y avait pas de lettre disant « Ce gentleman extrêmement talentueux a le droit d’avoir son opinion, mais il est aussi un peu putz. ») Un discours qu’il a répété, sous les applaudissements, par l’intermédiaire de l’un de ses producteurs à la cérémonie des César où il a reçu un prix.

S’il devait y avoir un autre discours enflammé, ce devrait être au moment de la remise du prix du meilleur long métrage documentaire. Le film qui a reçu le plus d’attention cette année est « No Other Land », tourné dans le village de Masafer Yatta en Cisjordanie. Il est l’oeuvre d’un collectif de quatre réalisateurs – deux Israéliens et deux Palestiniens. Il s’agit d’un outil de propagande très efficace — et je dis pas cela dans un sens négatif. Bâle Adra, l’un des réalisateurs et notre sujet principal, a passé toute sa vie à documenter les difficultés de son village, comme son père avant lui. Voici un gars qui veut juste prendre de l’essence et vivre tranquillement, mais le coin est dans la « Zone C » et l’armée israélienne y passe périodiquement à bord de chars pour effectuer des manœuvres militaires. Pendant des décennies, on a dit aux gens qu’ils devaient partir. Les gens ne partent pas. Cela conduit à des violences.
Le film est forcément bouleversant, si, comme moi, vous préférez les solutions pacifiques à cette crise apparemment sans fin. Mais comme pour tous les documentaires, le montage a son importance. On voit un homme, Harun Abu Aram, se disputer avec des soldats au sujet d’un groupe électrogène. On lui tire dessus, il est paralysé et meurt. Le film suggère qu’on l’a laissé mourrir dans une grotte. En réalité, nombre d’Israéliens ont collecté des fonds pour qu’il reçoive des soins dans un hôpital, sans succès. Quoi qu’il en soit, l’homme est mort, ce qui est affreux, mais si vous évoquez ce cul-de-sac dans l’histoire, les gens vous regardent comme si vous étiez fou (croyez-moi, j’en ai fait l’expérience). Je crois qu’il est important de rester sur ses gardes devant un documentaire portant sur un sujet controversé.
« No Other Land » pourrait bien remporter le prix, non seulement pour ses mérites (et, permettez-moi de le répéter, c’est une œuvre efficace et bouleversante), mais aussi en raison du méta-récit autour de la sortie du film. Le film est en effet sorti au niveau international depuis un an, après une victoire au Festival du film de Berlin 2024.
Cependant, il n’a pas réussi à trouver un distributeur en Amérique du Nord. (Plusieurs petites entreprises le voulaient, mais les producteurs ont tenu bon, souhaitant un contrat plus important.) Cela a donné lieu à un grand nombre d’articles suggérant que Le Système ne voulait pas que vous voyiez ce film. Il est sans doute vrai que certaines grandes entreprises n’ont pas voulu s’embêter avec un tel film, mais certains ont ensuite dit qu’il y avait eu une conspiration pour censurer ce film, ce qui est improuvable.
Les cinéastes et leur agent américain ont décidé de s’en servir comme d’une publicité et de sortir le film de manière indépendante – ce qui a marché à merveille. J’irais même jusqu’à dire qu’il a eu une plus grande portée en tant que film « indépendant » que s’il était sorti dans les circuits habituels. Il faut saluer l’équipe pour son bon sens.
Ainsi, même si les rumeurs sont vraies et qu’Hollywood est dirigé par des Juifs de centre-gauche ayant des allégeances privées à Israël, ils détestent également tout ce qui sent la censure et respectent une bonne entreprise. Je pense aussi que le film a des chances de gagner parce que la concurrence dans cette catégorie est un peu molle. Nous le saurons avec certitude lors de la soirée des Oscars !
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