Une épopée sur un survivant de la Shoah et le biopic de Bob Dylan en bonne place pour les Oscars
Des documentaires sur la Cisjordanie et le massacre de Munich en 1972 sont également nominés ; « Emilia Pérez » présente une clinique de Tel-Aviv ; le documentaire « Bibi Files » a été présélectionné, mais il n'a pas été retenu

JTA – Une épopée d’après-guerre sur un survivant de la Shoah, une comédie contemporaine sur le tourisme de le Shoah et un biopic sur une légende musicale juive contribuent à imposer une présence juive formidable dans les nominations aux Oscars.
Par ailleurs, les nominations d’un documentaire sur la Cisjordanie et d’un docu-drame sur le massacre d’athlètes israéliens qui avait eu lieu lors des Jeux olympiques de Munich en 1972 permettent également à Israël se rester sous le feu des projecteurs. Les nominations, dont l’annonce a été retardée à plusieurs reprises par les feux de forêt de Los Angeles, ont été rendues publiques jeudi, alors que certains réclamaient l’annulation de la cérémonie des Oscars, par respect pour les victimes des feux qui ont dévasté la Californie.
Mais s’il devait toutefois y avoir une cérémonie de remise des prix cette année, « The Brutalist » – un drame historique de plus de trois heures dans lequel Adrien Brody joue le rôle d’un architecte juif hongrois, un personnage inspiré par de vrais designers juifs – serait largement susceptible de se distinguer avec dix nominations.
Il est notamment nominé dans des catégories majeures : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur (Brody), meilleur scénario original, meilleur second rôle féminin (Felicity Jones) et meilleur second rôle masculin (Guy Pearce). Le film est également en compétition, entre autres, dans les catégories de la meilleure musique originale (pour l’œuvre du compositeur juif britannique Daniel Blumberg), de la meilleure photographie et du meilleur montage.
Réalisé par Brady Corbet, 36 ans, filmé en Hongrie – en remplacement de Philadelphie – et riche en détail sur ce que les immigrants pouvaient expérimenter lorsqu’ils arrivaient aux États-Unis, le long-métrage a été très applaudi au cours de la saison des festivals de cinéma. Il pourrait connaître le même succès que le film qui avait été consacré, l’année dernière, à un génie juif, « Oppenheimer », qui avait remporté la statuette du meilleur film et de nombreuses autres distinctions.
« The Brutalist » a également fait l’objet d’une controverse – tardive – des membres de l’équipe du film ayant récemment admis qu’ils avaient eu recours à l’intelligence artificielle pour certains aspects du film, notamment pour perfectionner les accents hongrois de Brody et de Jones, – un détail crucial de leur interprétation. Une révélation qui a eu lieu alors que le vote pour les nominations aux Oscars était déjà clos. De son côté, Corbet a fait savoir que l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle avait été « très limitée », déclarant que le travail et la performance des acteurs « sont totalement les leurs ».

Adrien Brody, qui parle en hongrois pour le rôle et qui est l’un des favoris en lice pour la statuette du meilleur acteur, est le fils d’un père juif et d’une mère hongroise, une artiste. Il avait également été récompensé dans cette même catégorie en 2002 pour le rôle d’un autre survivant de la Shoah dans « Le pianiste ». Jones, qui n’est pas juive, joue l’épouse de son personnage qui est une Hongroise convertie au judaïsme et Pearce joue le rôle d’un industriel WASPy qui emploie le personnage de Brody tout en faisant part, au fur et à mesure du film, de ses opinions sinistres sur les Juifs et les immigrés.
« The Brutalist » n’est pas le seul film juif de l’année lié à la Shoah à avoir été nominé aux Oscars. « A Real Pain », dont l’histoire est celle de deux cousins juifs qui se rendent en Pologne pour commémorer le décès de leur grand-mère survivante du génocide, est en lice dans deux catégories : celle de meilleur second rôle masculin (Kieran Culkin) et celle de meilleur scénariste et réalisateur (Jesse Eisenberg).
Eisenberg s’est inspiré de sa propre expérience pour renouer avec l’héritage juif polonais de sa famille. Culkin, sa co-star, qui n’est pas Juif, est fortement pressenti pour remporter le prix du meilleur second rôle masculin.
Dans ces nominations, les films consacrés à Israël et aux territoires palestiniens ont pris une nouvelle dimension dans le sillage de la guerre opposant Israël au Hamas.
« 5 septembre », un docudrame sur les journalistes qui avaient couvert la prise d’otages qui avait eu lieu au Jeux olympiques de Munich en 1972, avec le massacre de la délégation israélienne par les membres du groupe terroriste palestinien Septembre noir, a été nommé dans la catégorie du meilleur scénario original. Le film avait été tourné avant le 7 octobre 2023 mais son rappel d’une autre prise d’otages dont les Israéliens avaient été victimes lui a valu d’être accusé, dans certains milieux, de « propagande sioniste » – cela a notamment été le cas du syndicat d’un cinéma de Brooklyn, qui a demandé en vain à son employeur de ne pas le projeter.

Le film « No Other Land », coréalisé par un collectif de cinéastes israéliens et palestiniens, a été nominé dans la catégorie du meilleur documentaire. Ce film, qui fait la chronique des ordres donnés par l’armée israélienne concernant la destruction du village palestinien de Masafer Yatta en Cisjordanie en se plaçant du point de vue des villageois, avait également été tourné presque entièrement avant le 7 octobre. Mais il est devenu une sorte de cri de ralliement pour les détracteurs d’Israël dans le monde du cinéma. Ses réalisateurs ont dénoncé « l’apartheid » israélien dans leurs discours de remise de prix, et le film n’a toujours pas de distributeur aux États-Unis malgré les récompenses qu’il a pu recevoir dans le monde entier.
(Un autre documentaire sur Israël, « The Bibi Files », avait été présélectionné dans la même catégorie mais il n’a finalement pas été nominé. Dans la catégorie des meilleurs documentaires internationaux, « From Ground Zero », un long-métrage tourné dans la bande de Gaza et présenté par la Palestine, n’a pas non plus été retenu dans la liste finale des nominations, alors qu’il avait été présélectionné).
Il y a aussi des histoires juives plus légères. Le biopic consacré à Bob Dylan, « Un parfait inconnu », a obtenu huit nominations, dont celle du meilleur film. L’acteur principal Timothée Chalamet, qui a des origines juives et qui chante lui-même Dylan, a également été sélectionné, de même que deux acteurs qui percent l’écran à ses côtés, Edward Norton (Pete Seeger) et Melissa Barbaro (Joan Baez). Le film est aussi nominé dans les catégories du meilleur réalisateur, des meilleurs costumes, du meilleur son et du meilleur scénario adapté. Le film se base, en effet, sur le livre « Dylan Goes Electric », écrit par l’auteur et musicien juif Elijah Wald.
Le film lui-même n’offre que peu de contenu juif – mais il présente un bref aperçu de la bar mitzvah de Robert Zimmerman (avant qu’il ne devienne Dylan) dans un album photo, un symbole de la vie qu’il avait laissée derrière lui pour devenir un chanteur de folk.

En lice pour la statuette de la meilleure actrice, Mikey Madison, une actrice juive, qui est nominée pour son rôle de strip-teaseuse et de travailleuse du sexe issue de l’immigration russe dans « Anora ». Ni son personnage, ni le jeune fils d’un oligarque russe avec lequel elle vit un bref mariage, ne sont explicitement présentés comme Juifs, mais une menorah égarée joue un rôle déterminant, servant d’arme dans une scène. Sarah Sherman, membre juive de l’équipe du « Saturday Night Live », a récemment révélé qu’un accessoire « Anora menorah » avait été retiré d’un sketch de l’émission.
Par ailleurs, Jeremy Strong, qui a des origines juives, a été nominé dans la catégorie du meilleur second rôle masculin pour son interprétation de Roy Cohn, un avocat juif anticommuniste et mentor de Donald Trump, dans le biopic « The Apprentice », qui a été critiqué par ce dernier. Son partenaire Sebastian Stan avait également été distingué dans la catégorie du meilleur acteur pour avoir joué le rôle de Trump, dans un film dont l’actuel président avait tenté d’empêcher la sortie.
D’autres nominés entretiennent, eux aussi, des liens juifs notables. Le super-producteur juif Marc Platt a été sélectionné pour « Wicked », un film en lice pour le prix du meilleur film. Le compositeur juif Stephen Schwartz (qui avait également écrit la musique originale de la comédie musicale de Broadway) a également été nominé dans la catégorie de la meilleure musique originale.

Et dans la catégorie de la meilleure chanson originale, la compositrice juive Diane Warren – qui a été nominée à 16 reprises aux Oscars et qui est toujours repartie les mains vides – a à nouveau été sélectionnée pour le film « The Six Triple Eight », un film consacré au seul régiment féminin 100% afro-américain à avoir servi pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le compositeur et chef d’orchestre juif Leonard Bernstein entretient également une sorte de lien avec « The Only Girl in the Orchestra, » qui a été nominé dans la catégorie du meilleur court-métrage documentaire : le film se concentre sur la bassiste Orin O’Brien, qui était devenue la première femme de l’orchestre philharmonique de New York lorsque Bernstein l’avait engagée.
Les nominations ont été annoncées par Bowen Yang et Rachel Sennott – cette dernière est une actrice non-juive qui s’est imposée dans des rôles juifs dans des différents films, notamment dans « Shiva Baby » et dans « Saturday Night ».
Le film qui rafle le plus de nominations cette année, « Emilia Pérez » – une comédie musicale française en langue espagnole qui raconte l’histoire d’un chef de cartel transgenre et qui est distingué dans treize catégories – a également un lien juif inattendu. Le médecin qui procède à l’opération de changement de sexe du personnage principal est israélien et il chante un duo à Tel Aviv avec l’actrice Zoë Saldaña, qui briguera elle-même une statuette lors de la cérémonie des Oscars.