Racisme et négligence à l’origine du taux d’homicides dans le secteur arabe – Abraham Initiatives
Avec une année 2024 qui devrait être la plus meurtrière jamais enregistrée pour les Arabes israéliens, le codirecteur d'Abraham Initiatives interpelle le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, sur ce triste record
Au mois de septembre, une attaque meurtrière à la voiture piégée qui avait tué quatre membres d’une même famille – une grand-mère, une mère et deux enfants – avait provoqué une onde de choc dans la ville de Ramle, dans le centre d’Israël. Pour Amnon Beeri-Sulitzeanu, qui est le directeur du groupe Abraham Initiatives – une ONG qui promeut la coexistence – cette attaque, qui était liée aux conflits qui opposent les familles de la pègre, n’a été que le résultat sinistre (mais prévisible) de l’escalade incontrôlée des violences au sein de la communauté arabe, ces dernières années.
« Ce n’était pas une nouveauté, c’était simplement le dernier drame en date », déclare Beeri-Sulitzeanu qui souligne que ces dernières années, il y a eu plusieurs affaires d’homicide qui ont fait plusieurs victimes.
Alors que 197 membres de la communauté arabe israélienne ont perdu la vie dans des homicides depuis le début de l’année, 2024 est en passe de devenir l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les citoyens arabes israéliens. Beeri-Sulitzeanu attribue une grande partie de la responsabilité de ce triste record au gouvernement israélien et en particulier à Itamar Ben Gvir, figure de proue de l’extrême-droite israélienne, dont le ministère de la Sécurité nationale supervise la police. Selon lui, Ben Gvir est « le pire individu qu’il soit s’agissant de parvenir à prendre en charge ce problème de criminalité et de violences endémiques ».
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Il indique que l’explosion meurtrière du mois dernier a été le résultat de « décennies de négligence du phénomène de la criminalité dans le secteur arabe » et il blâme la procureure-générale Gali Baharav-Miara, qui s’était opposée au placement en détention administrative des suspects.
Selon Beeri-Sulitzeanu, cette flambée de violence résulte de la combinaison de « l’attitude raciste de Ben Gvir à l’égard de la communauté arabe » et du gel délibéré de politiques gouvernementales déterminantes qui avaient été adoptées à la Knesset pour s’attaquer directement au problème.
Il souligne que la résolution 549, qui avait été adoptée au mois d’octobre 2021 par le gouvernement d’unité Bennett-Lapid – avec une coalition qui comprenait notamment le parti arabe Raam – était essentielle pour freiner l’augmentation du nombre de victimes, ajoutant qu’elle favorisait également la confiance entre les forces de l’ordre et les arabes israéliens. Sous la direction de Ben Gvir et dès son arrivée à ses fonctions, de nombreux programmes qui avaient été établis grâce à cette résolution, comme l’initiative « Stop the Bleeding » qui avait été mise en œuvre dans sept des communautés arabes présentant les taux de criminalité violente les plus élevés, avaient été soit suspendus, soit entièrement interrompus.
Depuis 35 ans maintenant, l’ONG Abraham Initiatives plaide en faveur d’une approche plus nuancée du maintien de l’ordre au sein des communautés arabes en insistant sur la nécessité de faire la distinction entre les problématiques liées à la criminalité et les questions d’ordre sécuritaire. Beeri-Sulitzeanu déclare que lorsqu’elle intervient auprès des citoyens arabes, la police israélienne fonctionne non seulement comme une institution traditionnelle de maintien de l’ordre, mais aussi comme une force de sécurité – « un double rôle qui ne lui permet pas de gagner la confiance et l’approbation de la minorité arabe et qui ne donne donc pas envie à cette dernière de coopérer ».
Le sentiment dominant, dit-il, est que la police « ne se préoccupe de la minorité arabe que lorsqu’elle représente une menace pour la majorité juive ».
Dans une lettre adressée au Premier ministre Benjamin Netanyahu à la suite de l’attaque meurtrière survenue à Ramle, Beeri-Sulitzeanu avait écrit que « l’affaiblissement continu du statu quo » en vigueur sur le mont du Temple était un facteur déterminant dans les divisions croissantes – comme l’étaient aussi les efforts qui avaient visé à restreindre l’accès des musulmans au lieu saint pendant le Ramadan. Il avait accusé Ben Gvir d’avoir ouvert la porte à ces phénomènes et il avait demandé au Premier ministre de le limoger, avertissant le chef de gouvernement que l’inaction était susceptible d’entraîner l’effondrement de l’État de droit en Israël.
« La mèche a déjà été allumée, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle n’atteigne le baril de poudre », met en garde Beeri-Sulitzeanu.
Depuis le 7 octobre 2023 – date à laquelle des milliers de terroristes du Hamas avaient commis un pogrom dans le sud d’Israël, massacrant plus de 1 200 personnes et kidnappant 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza – ce sentiment que la police israélienne est au service des seuls citoyens juifs n’a fait que se renforcer au sein de la société arabe.
Immédiatement après l’attaque meurtrière des hommes armés du groupe terroriste, le groupe Abraham Initiatives s’était associé à deux autres organisations faisant la promotion d’un partage équitable de la société entre Juifs et Arabes, les Tzedek Centers et Givat Haviva. Objectif : mettre en place le projet « Gardiens du partenariat » dans les villes où les deux communautés vivent côte à côte.
Initialement destiné à prévenir les affrontements entre Juifs et Arabes tels que ceux qui s’étaient déroulés lors des hostilités qui avaient opposé Israël au Hamas en mai 2021, le projet s’est ainsi étendu à la gestion des conflits et au renforcement des liens entre la police, les municipalités et les organisations locales issues de la société civile. Une étude commanditée par Abraham Initiatives a montré que les municipalités et les organisations locales jouaient un rôle crucial en aidant la police à maintenir l’ordre au sein des localités.
Au mois de juin dernier, l’ONG avait été directement victime des violences qui touchent la société arabe lorsqu’une grenade avait explosé au siège du groupe qui est situé à Lod, détruisant les bureaux. La police n’a pas encore déterminé quel était le mobile des attaquants, ni si l’organisation était réellement la cible visée. Si Beeri-Sulitzeanu s’abstient de tirer des conclusions, il reconnaît qu’il est possible que cette attaque ait eu lieu à titre d’avertissement.
« Il est possible que l’attaque ait été commise pour des raisons idéologiques, liées au fait que nous menons une lutte contre la criminalité et contre la violence », indique-t-il.
Une société partagée ?
Le travail d’Abraham Initiatives s’étend – au-delà de la criminalité – à tous les domaines touchant à l’intégration et à l’égalité. L’un des principaux domaines d’intervention de l’organisation est l’éducation. L’ONG a conçu un programme destiné aux enseignants et aux directeurs d’écoles juives et arabes – programme qui doit encore être reconnu par le ministère de l’Éducation – afin de les aider à organiser des débats constructifs en classe sur l’idée d’une société partagée.
Selon un sondage qui a été publié par l’Institut israélien de la démocratie (IDI), au début du mois, 48 % des Juifs et 65 % des Arabes interrogés ont reconnu que le système éducatif israélien, qui est divisé en filières distinctes en direction de différents groupes, limite ses capacités à promouvoir un récit commun susceptible de réunir autour de lui tous les citoyens. En mai, le groupe a demandé au ministre de l’Éducation Yoav Kisch d’accroître fortement les interactions entre les jeunes Juifs et Arabes afin de lutter contre la défiance mutuelle.
« Quand un élève [juif] dit : ‘Mais comment est-ce qu’on peut vivre avec les Arabes ? Nous devons les expulser’ ou, pire encore, ‘nous devons les tuer’, nous devrions pouvoir en parler de manière à contrer la haine et la peur », explique Beeri-Sulitzeanu. « Et c’est la même chose dans les écoles arabes. Les sentiments ressentis sont très durs à cause de la guerre, du sentiment de marginalité, d’exclusion, d’un sentiment de menace ».
« Les gens ont l’impression qu’ils ne peuvent pas parler, qu’ils ne peuvent pas penser, qu’ils ne peuvent pas exprimer leurs opinions. Ils ne peuvent pas exprimer l’inquiétude qu’ils nourrissent à l’égard de leur famille et de leur communauté à Gaza, par exemple. Il est nécessaire de prendre cela en charge de manière constructive », affirme-t-il.
L’enquête en ligne de l’IDI a notamment révélé que 64 % des personnes interrogées étaient d’accord pour que le système éducatif adapte son programme à la guerre – une majorité de Juifs (53 %) et d’Arabes (51 %) soutenant l’idée que les enseignants puissent organiser des discussions sur le retour des otages, y compris sur les implications morales de leur rapatriement, indépendamment du prix à payer.
Domaines d’intervention
Tout au long de ses 35 années d’existence, Abraham Initiatives a obtenu des résultats dans le domaine de l’éducation. Au milieu des années 2000, au lendemain de la Seconde Intifada, l’ONG avait piloté un programme, Ya Salam, qui enseignait la culture et l’arabe à des élèves de sixième et de cinquième, dans deux collèges juifs. En quelques années, le programme s’était étendu, mis en œuvre dans environ 200 écoles de tout le territoire israélien – entrant dans l’Histoire du pays en tant que toute première initiative éducative enseignée uniquement par des professeurs arabes.
Un deuxième domaine d’intervention du groupe est l’intégration des Arabes au sein des organisations et sur le lieu de travail.
« Les Arabes sont intégrés presque partout mais ces lieux ne sont pas adaptés, ils n’ont pas été pensés en tant qu’environnement biculturel. Beaucoup d’organisations ont été créées et elles se sont développées en tant que juives israéliennes. Elles ont besoin de faire naître un sentiment d’affiliation et d’appartenance, y compris parmi les Arabes », estime Beeri-Sulitzeanu.
Abraham Initiatives a publié une enquête au mois de mars – qui avait été réalisée par l’Institut Afkar – et qui a révélé que malgré la montée des tensions, 83 % des employés arabes et 72 % des employés juifs interrogés qui partageaient le même lieu de travail estimaient qu’ils entretenaient de « bonnes » ou de « très bonnes relations » les uns avec les autres. Si un grand nombre d’entre eux évitaient de parler du pogrom du 7 octobre et de la guerre à Gaza – c’était le cas de 60 % des employés arabes et de 48 % des employés juifs sollicités lors du sondage – ceux qui discutaient toutefois de ces deux sujets avaient établi que ces échanges avaient été positifs ou neutres (c’est ce qu’avaient confié 86 % des Arabes et 79 % des Juifs sondés).
Le troisième pilier de l’ONG est la gestion des crises et la réponse aux situations d’urgence. Les efforts livrés par Abraham Initiatives dans ce domaine se sont considérablement accrus depuis le début de la guerre, en particulier dans les zones situées à la périphérie du pays. Le groupe s’est efforcé de combler les défaillances et les lacunes des services de secours – y compris de la part de la police, des sapeurs-pompiers, du Commandement du front intérieur de l’armée israélienne et du ministère de la Défense. Il exhorte les instances gouvernementales à fournir des abris antiaériens mobiles et à déployer le système du Dôme de fer pour assurer la protection des villages bédouins non reconnus, et il raconte avoir produit une série de vidéos en arabe pour le compte du Front Intérieur où l’organisation évoque les urgences liées à la guerre, qu’il s’agisse notamment des attaques terroristes ou des tirs de roquettes.
« Les Arabes se heurtent à un obstacle psychologique lorsqu’il faut écouter les instructions données par l’armée. Lorsqu’ils voient des soldats, ils se disent qu’ils ne sont pas là pour eux », déplore-t-il.
Le gouvernement israélien de droite et l’opposition de certains de ses membres à l’égard de la seule idée de société partagée ne sont pas les seuls défis que l’organisation est amenée à relever. La société israélienne étant sommée de résoudre en urgence de multiples problèmes, elle n’a ni les moyens ni la volonté de s’occuper d’autre chose, estime Beeri-Sulitzeanu.
Autre défi : celui des attitudes qui sont devenues beaucoup plus extrêmes. Le sentiment de solidarité entre Juifs et Arabes israéliens qui s’exprimait dans les résultats dans les sondages, au début de la guerre, s’est dissipé depuis.
« Le fossé entre Juifs et Arabes se creuse de plus en plus à mesure que la guerre s’éternise », regrette Beeri-Sulitzeanu.
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