Réouverture de la Knesset : la démocratie reprend, la crise politique s’aggrave
Après l'un des moments politiques les plus houleux de l'histoire d'Israël, la longue partie de bras de fer entre Gantz et Netanyahu atteint son paroxysme

La Knesset se réunira lundi, ce qui permettra de répondre à de nombreuses questions et de clarifier les choses.
Aucun Parlement, à cette époque de distanciation sociale, ne peut « se réunir » de manière normale. Seuls six membres de la Knesset à la fois seront autorisés à entrer dans la salle plénière, ce qui signifie que 20 passages seront nécessaires pour chaque vote.
Mais lentement et péniblement, la Knesset va enfin mettre un terme à l’un des moments les plus rudes que la politique israélienne ait connus depuis un certain temps, une période qui a vu le Parlement fermé par son propre président pour éviter un vote visant à le remplacer – alors même qu’une répression sans précédent des libertés fondamentales était en cours par un gouvernement soucieux d’endiguer la propagation de la pandémie de Covid-19. Les restrictions de mouvement, la fermeture forcée d’écoles et d’entreprises, la fermeture partielle des tribunaux et l’imposition d’un programme de suivi gouvernemental envahissant sont toutes entrées en vigueur ou se sont considérablement accélérées alors que la Knesset restait sur la touche dans une paralysie exaspérante.
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Lundi, celle-ci votera finalement la création de la commission des Arrangements qui, à son tour, entamera les délibérations pour créer d’autres commissions dont le besoin est urgent : la commission des Finances commencera à rédiger un nouveau budget de l’État qui se concentrera sur le soutien de l’économie et l’aide aux millions de personnes qui font face à la catastrophe financière de la pandémie ; celle des Affaires étrangères et de la Défense surveillera le programme de suivi du virus du gouvernement avant que la Haute Cour n’ordonne la fin de ce système non surveillé d’ici l’échéance de mardi midi ; et la « commission Corona » promise par Kakhol lavan commencera son travail pour superviser et soutenir la lutte à plusieurs niveaux du gouvernement contre la propagation du coronavirus.

Tout cela est indispensable. Toutes les parties concernées comprennent la nécessité impérieuse de se mettre au travail et se sont engagées, tant auprès de la population que de la Haute Cour, à le faire.
C’est une excellente nouvelle après la fin d’une semaine amère et tumultueuse qui a vu des centaines de milliers d’Israéliens exprimer une crainte palpable que leur démocratie ne soit plus garantie.
Démocratie en danger ?
La semaine dernière, Kakhol lavan a mené une campagne accusant le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le président de la Knesset Yuli Edelstein de porter « atteinte à la démocratie israélienne ».
La campagne a pris de l’ampleur. Des centaines de milliers de personnes ont visionné une manifestation virtuelle annonçant la fermeture du Parlement, à laquelle ont participé d’anciens chefs de la sécurité et un ancien vice-président de la Cour suprême.

Et en effet, voir la Knesset fermée en pleine escalade de la crise du virus était choquant.
L’explication principale d’Edelstein – il a clos le Parlement mercredi dernier pour empêcher Kakhol lavan de le remplacer et ainsi, a-t-il affirmé, de condamner les négociations sur le gouvernement d’unité – semblait être un raisonnement étonnamment petit et égoïste pour geler la capacité du Parlement à aider des millions d’Israéliens à surmonter la crise économique et sociale créée par le virus. Des centaines de milliers d’emplois se sont évaporés au cours des deux dernières semaines, les enfants d’Israël ont commencé à accepter un avenir prévisible passé à l’intérieur et sans amis, et les personnes âgées du pays sont confrontées à la perspective de passer la fête de Pessah seules et en réel danger. Et à la Knesset : chamailleries, impasses et joutes pour les postes comme si rien n’avait changé, le président empêchant les députés de se mettre au travail alors que le pays semble se désintégrer autour de lui.
De manière générale, l’inquiétude pour la démocratie, et en particulier pour celle d’Israël, n’est jamais déplacée. Les démocraties tombent parfois, et il n’est pas déraisonnable de penser que celle d’Israël est plus fragile que beaucoup d’autres, avec sa société profondément divisée, l’absence de dispositions constitutionnelles fortes pour la séparation des pouvoirs, un état d’urgence qui dure depuis 72 ans, une armée et des services de sécurité forts et populaires, etc.
Aux yeux de nombreux Israéliens qui ont protesté contre Edelstein au cours de la semaine dernière, la fermeture de la Knesset a laissé toutes les décisions entre les mains d’un seul homme, Netanyahu – un leader qui a déjà démontré sa détermination de fer à s’accrocher au pouvoir, et qui, depuis quelques jours, le fait avec des prérogatives d’urgence et des obstacles jamais vus auparavant au bon fonctionnement du seul organe ayant le pouvoir de superviser directement et de limiter de manière significative ses actions.
Cela n’a pas arrangé les choses que le directeur général de la Knesset, Albert Sakharovich, nommé par Edelstein et ne rendant de comptes qu’à lui seul, ait déclaré samedi au quotidien pro-Netanyahu Israel Hayom qu’il pourrait « suspendre toute activité parlementaire » à plus long terme si le coronavirus venait à placer trop de députés en quarantaine.

« Il est clair que si nous en arrivons à un point où des dizaines de députés sont en quarantaine, nous ne pourrons plus avoir de discussion à la Knesset et nous fermerons le bâtiment. Nous ne pouvons pas mettre en danger les autres parlementaires ou les employés de la Knesset. C’est une situation qui pourrait se produire, mais j’espère que cela ne se produira pas », a déclaré M. Sakharovich.
Il s’agissait d’une interview qui sonnait terriblement faux et qui n’a fait qu’alimenter les propos de Kakhol lavan. Sakharovich est un administrateur ; il n’a pas le pouvoir de suspendre quoi que ce soit. Ce seul fait a laissé entendre à beaucoup qu’il faisait flotter un ballon d’essai pour son patron. Il était difficile de ne pas voir dans ces commentaires inquiétants le signal le plus clair qu’Edelstein cherchait des excuses pour maintenir le Parlement fermé aussi longtemps qu’il le faudrait pour conserver son poste.
Et pourtant, malgré les apparences troublantes, le premier grand débat public des deux camps sur leurs griefs mutuels – devant la Cour suprême dimanche après-midi – a révélé la véritable nature de leur désaccord et la réalité plus complexe et prosaïque qui sous-tend le gel de la Knesset.
La démocratie israélienne n’est pas en grand danger, mais la politique israélienne est confrontée à la crise la plus grave de ces dernières années.

L’art du possible
Il est clair, d’après les explications tardives et maladroites d’Edelstein concernant la fermeture de la Knesset, qu’il n’a pas réalisé comment ses actions seraient interprétées par beaucoup. La démocratie doit être vécue, pas seulement déclarée ou légiférée. La reprise de l’activité parlementaire lundi a souligné à quel point la démocratie israélienne a effectivement connu un bref affaiblissement, du moins selon le point de vue de beaucoup, mais aussi qu’elle n’a pas fait l’objet d’une attaque stratégique. Dans le même temps, alors que l’impasse se prolongeait depuis une semaine, l’argument d’Edelstein selon lequel « l’élection d’un nouveau président nous condamnerait à une quatrième élection » est devenu de plus en plus plausible.
L’impasse politique actuelle ne trouve pas son origine dans l’obstination d’Edelstein ou dans une attaque spécifique et irréfutable contre la démocratie israélienne, mais dans la faiblesse politique du dirigeant de Kakhol lavan Benny Gantz.
Ce dernier prétend avoir « gagné » les élections du 2 mars et, ayant été recommandé comme Premier ministre par 61 des 120 députés, a été chargé par le chef de l’État de former le prochain gouvernement. Mais cela ne change rien au fait qu’il dirige une « coalition » de 61 sièges qui est tout sauf une coalition.
S’il met en place un gouvernement minoritaire dépendant de la Liste arabe unie, principalement arabe, il risque fort de perdre un certain nombre de députés de sa propre faction, dont Yoaz Hendel, Zvi Hauser et, plus dévastateur encore, Hili Tropper, qui l’a aidé à créer le parti Hossen LeYisrael qui a lancé sa carrière politique fin 2018. En d’autres termes, s’il agit sur sa faible majorité, il la perd.

Inversement, s’il cherche à former un gouvernement d’unité avec le Likud, il est très probable qu’il perde la faction Yesh Atid de son alliance Kakhol lavan, réduisant sa position politique à celle d’un partenaire secondaire du Likud, victorieux de facto.
Il est dans le pétrin, et son seul chemin vers quelque chose qui ressemble à une victoire semble être un gouvernement d’unité avec Netanyahu dans lequel lui, Gantz, est le premier à occuper le poste de Premier ministre par rotation. Cela lui permettrait – espère-t-il – de « vendre » son nouveau gouvernement au chef de Yesh Atid, Yair Lapid, co-fondateur de Kakhol lavan, comme une victoire électorale.
Ce sera difficile à vendre, c’est certain. Comme l’a déclaré l’ancien chef du Shin Bet, Yuval Diskin, lors de la manifestation « virtuelle » de samedi soir, faisant écho aux sentiments de beaucoup de personnes du centre et de la gauche qui ont voté pour Gantz, l’unité avec Netanyahu est une perspective exaspérante pour beaucoup. « Grâce aux votes de beaucoup d’entre vous, le bloc de 61 recommandations a été formé entièrement par des opposants à Netanyahu », a déclaré M. Diskin. « Grâce à vous tous, Benny Gantz a reçu le mandat du président pour former le gouvernement. Mais depuis lors, lui et ses amis se sont présentés pour former un gouvernement d’union d’urgence dirigé par Netanyahu. C’est honteux et même scandaleux. Comme beaucoup d’autres qui ont voté pour Kakhol lavan uniquement parce que c’était le moins mauvais choix ces derniers jours, j’ai malheureusement découvert que nous avions fait un très mauvais choix ».
De plus, bien sûr, pour avoir un espoir de remporter cette victoire, même limitée, Gantz doit avoir une influence suffisamment puissante sur Netanyahu pour persuader le Premier ministre d’accepter de renoncer à son poste – influence obtenue en prenant le contrôle de la Knesset en remplaçant son président, puis en soumettant des projets de loi qui rendraient illégal pour un député comme Netanyahu de devenir Premier ministre.

Gantz n’a pas de majorité pour gouverner, mais il peut avoir une majorité pour évincer Netanyahu en légiférant.
C’est ce scénario qu’un Edelstein désespéré s’efforçait d’empêcher en gelant les travaux de la Knesset.
Si Gantz réussit à proposer une telle législation, il pourrait bien constater qu’il ne peut pas l’arrêter à volonté. Sa coalition anti-Netanyahu, qui est passée si près d’abattre enfin Netanyahu, pourrait ne pas être en mesure de résister à la victoire, et tenter d’arrêter la législation en cours de route – elle cesse d’être une menace une fois qu’elle devient une loi – pourrait coûter à Gantz bien plus que quelques députés de sa coalition. Sa perspective de servir en premier dans une coalition d’unité disparaîtra, il ne pourra pas construire une coalition stable, et l’avantage passera à Netanyahu – qui pourrait alors décider qu’une quatrième élection, et la probabilité de pouvoir renverser la législation à la prochaine Knesset, est la voie à suivre. En fait, il pourrait bien trouver préférable de négocier dès maintenant avec Gantz avec cette épée de Damoclès législative au-dessus de la tête.
Le numéro un du Parlement a été accusé d’avoir exécuté les ordres de Netanyahu au cours de la semaine dernière. Mais il est important de comprendre à quel point son explication personnelle repose sur une mise en accusation du Premier ministre. Edelstein est convaincu que Netanyahu enverrait une nation ravagée par le coronavirus à une quatrième élection pour tenter d’arrêter ou, en cas de victoire, d’annuler les projets de loi qui l’empêchent de rester Premier ministre. Selon la lecture de la carte politique faite par Edelstein lui-même, Gantz tente de prendre Netanyahu en otage pour assurer sa victoire, mais ce dernier est prêt à prendre en otage une nation malade pour assurer la sienne.
Les signes avant-coureurs de lundi ne laissent pas présager un accord d’unité imminent. Le Likud et ses partis alliés boycottent les votes de la plénière, s’opposent aux projets de loi « anti-démocratiques » et « iraniens » que Gantz semble vouloir faire avancer contre Netanyahu, promettent de renverser tout gouvernement formé par Kakhol lavan, et accusent déjà le parti centriste d’être responsable d’une quatrième élection.

Kakhol lavan, quant à lui, semble prêt à remplacer Edelstein, et, face à un Likud intransigeant, pourrait se retrouver piégé par sa propre inertie politique à faire passer les projets de loi qui mettent Netanyahu sur la touche par la force.
Il est important de ne pas accorder trop de crédit à la fanfaronnade. Une rhétorique dure peut être le signe d’une résistance acharnée, ou le dernier vestige de cette résistance lorsque les deux camps jouent une dernière manche difficile à remporter.
Alors que la Knesset se réunit pour voter enfin, c’est dans la législation elle-même, et non dans la rhétorique, que les Israéliens apprendront si Gantz et Netanyahu ont l’intention de jouer leur jeu de bras de fer politique jusqu’au bout, si le bien-être et la sécurité du pays sont mis en péril, ou s’ils cherchent à combler leurs lacunes et à former une coalition d’urgence unifiée pour faire face à la pandémie.
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