Israël en guerre - Jour 494

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Analyse

Retenues d’Israël sur les taxes de l’AP : Ramallah menace de battre en retraite

Les agents de l'AP ont quitté leur poste au point de passage de Kerem Shalom à Gaza, dimanche, marquant probablement le début d'une posture pouvant entraîner de nouvelles violences

Avi Issacharoff

Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix

Les forces de sécurités palestiniennes à Hébron, le 14 novembre 2017. (Crédit : Wisam Hashlamoun/Flash90)
Les forces de sécurités palestiniennes à Hébron, le 14 novembre 2017. (Crédit : Wisam Hashlamoun/Flash90)

Le point de passage de Kerem Shalom, le point d’entrée le plus important de Gaza pour les marchandises commerciales, fonctionnait normalement lundi.

Ce n’est peut-être pas une nouvelle spectaculaire, mais étant donné les circonstances, il s’agit d’un événement inhabituel et inattendu.

Depuis dimanche, la partie gazaouie du point de passage est dirigée par des fonctionnaires non affiliés à l’Autorité palestinienne – en d’autres termes, le groupe terroriste Hamas.

Comment est-ce possible ? Depuis quand le Hamas et Israël, qui gère le côté israélien du point de passage, coopèrent-ils de cette manière ?

Ce n’est pas la première fois – et ce ne sera pas la dernière – que les deux parties belligérantes coopèrent pour éviter une détérioration de la situation humanitaire à Gaza ou maintenir le statu quo.

Des Palestiniens escaladent la clôture de sécurité le long de la frontière entre Israël et la bande de Gaza, lors d’affrontements à l’est de la ville de Gaza, le 15 février 2019. (Saïd Khatib/AFP)

Cette fois, cependant, ce n’est pas à Israël ou au Hamas que revient le mérite de cette coopération, mais aux ennemis acharnés du Hamas au sein de l’Autorité palestinienne basée à Ramallah.

Entre 2007, lorsque le Hamas a pris le contrôle de Gaza aux mains de l’AP lors d’un violent coup d’État, et novembre 2017, les différents points de passage de la bande de Gaza avec Israël, dont Kerem Shalom, étaient gérés par des travailleurs de Gaza non affiliés à l’AP, qui recevaient donc leurs salaires du Hamas.

Après l’accord de réconciliation partiel et temporaire entre l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah et le Hamas ce mois-là, les responsables de l’Autorité palestinienne sont retournés aux points de passage pour gérer la partie gazaouie.

Dimanche, pour des raisons qui ne sont pas encore tout à fait claires, les responsables de l’AP ont quitté le point de passage de Kerem Shalom et n’y sont pas encore revenus.

Le Hamas affirme que cette décision s’inscrivait dans le cadre des efforts déployés par l’Autorité palestinienne pour punir le groupe et visait à fermer ce point de passage vital. Les responsables de l’AP, quant à eux, se plaignent que leurs employés ont été « expulsés » par les responsables du Hamas qui ont pris en charge l’administration du poste frontière.

Empty trucks from Gaza wait to be loaded with goods (left) as full trucks drive toward Gaza in the background at the Kerem Shalom crossing between Israel and Gaza last year (photo credit: Tsafrir Abayov/Flash90)
Des camions vides en provenance de Gaza attendent d’être chargés de marchandises (à gauche) alors que des camions pleins se dirigent vers Gaza en arrière-plan au point de passage de Kerem Shalom entre Israël et Gaza. (Tsafrir Abayov/Flash90)

Quoi qu’il en soit, le point de passage a continué de fonctionner normalement, sans que l’Autorité palestinienne ne joue le rôle de médiateur entre Israël et le Hamas.

Beaucoup de spéculations ont émergé sur les raisons pour lesquelles l’AP a pris la décision (et non celle du Hamas) de retirer ses employés de Kerem Shalom. Selon une théorie, cette initiative fait suite à la décision prise dimanche par le cabinet israélien d’appliquer une loi votée en juillet 2018 et visant à réduire les transferts de fonds fiscaux à l’Autorité palestinienne d’un montant correspondant aux salaires et allocations versés par l’Autorité palestinienne aux agresseurs palestiniens condamnés et à leurs familles, notamment les terroristes.

Israël considère qu’une telle décision, longtemps bloquée par les préoccupations concernant la stabilité de l’Autorité palestinienne, est moralement juste. Après tout, ces fonds servent effectivement de compensation financière directe en cas d’attentats terroristes. Mais il est difficile de savoir comment cette opinion s’accorde avec la politique du gouvernement actuel qui autorise des transferts de 15 millions de dollars en espèces du Qatar au Hamas chaque mois afin d’éviter la montée de la violence et les tirs de roquettes en provenance de Gaza – une politique défendue par les responsables comme visant à préserver la stabilité à Gaza. N’est-ce pas aussi une récompense financière de facto pour les attentats terroristes ? Ou plus précisément, même si les coupes dans les transferts sont une politique juste, sont-elles nécessairement sages ?

Le budget annuel de l’Autorité palestinienne est d’environ 18 milliards de shekels (environ 4,5 milliards d’euros). Ses recettes fiscales sont inférieures à 14 milliards de shekels (3,5 milliards d’euros). Les allocations versées par l’Autorité palestinienne aux détenus s’élèvent à quelque 500 millions de shekels par an (125 millions d’euros), soit environ 3-4 % du revenu fiscal annuel. La réduction de ce montant des recettes fiscales de l’Autorité palestinienne, qu’Israël transfère par versements mensuels, aura un effet important sur l’économie de la Cisjordanie et sur l’Autorité palestinienne, qui est devenue au fil des ans un élément essentiel des efforts déployés par Israël pour maintenir un statu quo stable en Cisjordanie.

Le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, (deuxième à droite), lors d’une réunion du Conseil central palestinien dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 28 octobre 2018. (Abbas Momani/AFP)

Les dirigeants du Fatah et de l’AP ont déjà averti que l’autorité pourrait simplement décider de refuser de recevoir tout l’argent d’Israël, y compris les taxes perçues par Israël auprès des Palestiniens sous son autorité. Cela pourrait signifier la confiscation de centaines de millions de shekels par mois – plusieurs milliards par an, et peut-être jusqu’à un tiers du budget total de l’AP. Cela pourrait signifier, en d’autres termes, l’effondrement de facto de l’Autorité palestinienne.

Lorsque l’Autorité palestinienne a menacé de le faire dans le passé, Israël a cédé à chaque fois, craignant une flambée de violences qui pourrait survenir après la disparition de l’Autorité palestinienne. Mais Israël est maintenant au milieu d’une élection, au cours de laquelle un gouvernement de droite en place pourrait se trouver politiquement incapable de donner l’impression de céder à la menace palestinienne.

Que signale donc la prise de pouvoir du Hamas à Kerem Shalom ? Comment les coupes dans les finances de l’AP annoncées par le cabinet israélien affecteront-elles les autres fonctions actuellement exercées par les services de sécurité de l’AP, y compris la coopération avec les agences de sécurité israéliennes ? Et quel serait l’effet de la réduction du budget sur la situation sécuritaire en Cisjordanie ?

Les réponses à ces questions ne sont pas encore claires. Reste à savoir si l’Autorité palestinienne va jusqu’au bout de sa menace ou boîte en cherchant d’autres sources de revenus, si Israël reviendra sur sa décision avant ou immédiatement après les élections du 9 avril, ou si elle décidera de prendre ses chances avec une Autorité palestinienne entravée, et où le nouvel arrangement pourrait mener en termes de situation sécuritaire, tout reste à voir.

Un manifestant palestinien court près de pneus en flammes lors d’une manifestation près de la clôture le long de la frontière avec Israël, à l’est de la ville de Gaza, le 15 février 2019. Un véhicule militaire israélien se trouve de l’autre côté de la clôture. (Saïd Khatib/AFP)

Une chose est certaine : Les ennuis se préparent.

Dimanche, alors que les employés de l’AP abandonnaient Kerem Shalom, le Hamas a retourné sa colère contre Israël, renouvelant les manifestations de nuit (par opposition au vendredi hebdomadaire) et les opérations de sabotage menées par ses « unités de nuit » à la frontière Israël-Gaza.

Lors d’une manifestation à la frontière, un engin explosif a été lancé sur les soldats de Tsahal, blessant modérément un soldat, tandis que 19 Palestiniens ont été blessés par des tirs des Forces israéliennes. La relation triangulaire Israël-AP-Hamas est plus fragile qu’auparavant, et il est probable qu’elle s’intensifiera au cours des prochaines semaines.

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