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Schumer veut codifier la définition de l’antisémitisme de l’IHRA

Parmi les opposants au projet de loi, des critiques de Trump qui disent qu'il pourrait lui permettre de s'en prendre à ses ennemis politiques ; l'ACLU "dit que la définition va « trop loin" en criminalisant les discours politiques protégés

Le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, un démocrate de New York, s'adresse aux journalistes au Capitole des États-Unis à Washington, DC, le 13 novembre 2024. (AP Photo/J. Scott Applewhite)
Le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, un démocrate de New York, s'adresse aux journalistes au Capitole des États-Unis à Washington, DC, le 13 novembre 2024. (AP Photo/J. Scott Applewhite)

WASHINGTON (JTA) — L’une des dernières actions entreprises par le sénateur Chuck Schumer à son poste de leader de la majorité au sénat semble être une tentative qui vise à codifier une définition controversée de l’antisémitisme – une définition qui est accusée de grignoter la liberté d’expression par ses opposants, que ce soit à la droite ou à la gauche de l’échiquier politique.

Le représentant démocrate juif de New York a ainsi annoncé, vendredi, qu’il souhaitait pouvoir attacher le texte de l’Antisemitism Awareness Act – une législation entrant dans le cadre de la lutte contre la haine antijuive qui a été adoptée à une majorité écrasante par la Chambre des représentants, au mois de mai dernier – à un projet de loi sur les crédits de défense qui doit être approuvé.

Ce projet de loi de défense, la « National Defense Authorization Act », en est au dernier stade de négociation – participent à ces pourparlers les leaders des deux parties qui siègent au sénat et à la Chambre américaine des représentants.

L’Antisemitism Awareness Act, tel qu’il a été adopté à la Chambre au mois de mai dernier, ferait de l’antisémitisme un type de discrimination susceptible de déclencher une action corrective au regard du titre VI, la section de la loi sur les droits civils de 1964 qui interdit la discrimination dans les établissements d’enseignement recevant des fonds fédéraux.

La définition de l’antisémitisme utilisée dans le cadre de projet de loi – une définition qui avait été rédigée par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) – a été adoptée par de nombreux pays, autorités locales, universités et autres. Elle suscite toutefois l’opposition de la gauche dans la mesure où elle inclut certaines critiques à l’égard d’Israël dans sa définition de la haine antijuive. Au mois de mai, certains membres de la droite chrétienne s’étaient également opposés à la définition qui considère comme antisémite l’accusation ancestrale de déicide.

La législation avait été considérée comme nécessaire en partie en raison des affirmations qui laissaient entendre que certains campus étaient devenus des foyers d’antisémitisme dans le contexte de la guerre qui oppose actuellement Israël au Hamas à Gaza.

« Comme il a toujours dit qu’il le ferait, le sénateur Schumer a proposé hier dans ses négociations avec les dirigeants du Congrès d’ajouter sa loi de lutte contre l’antisémitisme à la NDAA, un texte qui doit être adopté, sous la forme d’un amendement », a écrit dans un courriel envoyé vendredi son porte-parole. « Les républicains examinent actuellement sa requête. »

Une pancarte sur laquelle on peut lire « université de Palestine » lors d’un campement anti-Israël, sur le campus de l’université de Washington, à Seattle, le 29 avril 2024. (Crédit : Lindsey Wasson/AP)

Si le communiqué transmis par Schumer paraît légèrement défensif, c’est parce que les républicains et les conservateurs ont raillé le politicien démocrate qui avait tardé à prendre en charge ce projet de loi – un retard qui, selon eux, était une tentative délibérée visant à protéger le parti démocrate avant les élections. Un certain nombre de démocrates, au sénat, ont indiqué qu’ils s’opposaient à la législation en vertu du Premier amendement, en raison de leurs réserves face aux clauses de la définition de l’IHRA qui concernent Israël.

« Après avoir traîné pendant les six mois qui ont suivi l’adoption du projet de loi à une majorité écrasante à la chambre, je suis heureux de constater que le sénateur Chuck Schumer a enfin cédé aux pressions et qu’il fait dorénavant avancer l’Antisemitism Awareness Act », a noté Mike Lawler, représentant républicain de New York qui, aux côtés du représentant démocrate du New Jersey Josh Gottheimer – qui est Juif – avait avancé la loi jusqu’à son adoption, à 320 voix « Pour » contre 91 « Contre », devant la chambre américaine des représentants.

Fox News, la chaîne de droite, s’est pour sa part focalisée sur le positionnement qui a été celui de Schumer concernant le projet de loi. Le New York Post, journal de la ville natale de Schumer dont l’un des propriétaires est également l’un des propriétaires de Fox, lui avait vivement recommandé dans un éditorial publié la semaine dernière de faire de la législation une priorité avant que son statut historique d’élu juif le plus ancien de toute l’Histoire des États-Unis ne prenne fin, le 3 janvier – date à laquelle les républicains prendront le contrôle du sénat, de la chambre des représentants et, plus tard, de la présidence.

Le raz-de-marée républicain a accru les inquiétudes parmi les critiques du texte qui affirment que Trump n’aura besoin d’aucun outil supplémentaire pour mettre à exécution sa menace d’instrumentaliser la loi pour poursuivre ses ennemis politiques.

« Il y a une réelle inquiétude, actuellement, qui est entraînée par le fait que l’exécutif se verra offrir des pouvoirs supplémentaires pour les quatre années à venir », indique Kevin Rachlin, le directeur de Nexus, un groupe juif qui fait la promotion d’une définition différente de l’antisémitisme, définition qui prend en compte les préoccupations liées aux réserves de l’IHRA face à tous les discours critiques à l’égard d’Israël. Interrogé dans son bureau de Washington, Rachlin ajoute craindre que Trump n’utilise cet outil pour « ôter toute légitimité à ses adversaires politiques, pour leur ôter tout financement et pour les attaquer en utilisant les institutions du gouvernement. »

L’équipe de Trump en charge de la transition n’avait pas répondu à une demande de réaction au moment de l’écriture de cet article. Trump a également annoncé qu’il chercherait à faire fermer le département américain de l’Éducation, dont le bureau des Droits civils statue sur les dossiers de discrimination – et notamment sur les affaires d’antisémitisme présumé.

L’ancien président américain Donald Trump, alors candidat républicain à l’élection présidentielle, pose pour des photos avec des membres de la famille d’Edan Alexander, un otage détenu par le Hamas, après avoir visité la tombe du rabbin Menachem Mendel Schneerson, le 7 octobre 2024, à New York. (Crédit: AP Photo/Yuki Iwamura)

Schumer a récemment été également âprement critiqué pour avoir conseillé, semble-t-il, aux administrateurs de l’université de Columbia de ne pas céder aux critiques laissant entendre que l’établissement encouragerait l’antisémitisme – leur disant qu’il s’agissait là d’une idée exclusivement avancée par les républicains.

Pendant l’été, le pasteur John Hagee, fondateur du groupe Christians United for Israel qui avait exercé des pressions pour que le projet de loi soit adopté, s’était moqué de Schumer en raison de l’invocation fréquente de son nom – qui dérive d’un mot en hébreu, « shomer », qui signifie « le gardien ».

« Vous pouvez vous autoproclamer ‘gardien d’Israël’ mais j’ai envie de vous dire aujourd’hui que si vous êtes dans l’incapacité de permettre qu’il y ait un vote, au sénat, sur cette loi de sensibilisation à l’antisémitisme avant la fin de ce congrès, alors votre tutelle ne sera qu’une blague », avait déclaré Hagee lors d’un sommet organisé par son organisation à Washington, au mois de juillet dernier.

Une déclaration préenregistrée de Schumer qui a été diffusée lors d’une manifestation pro-israélienne à Washington, la semaine dernière, a entraîné quelques huées.

Avant l’annonce de Schumer – qui était attendue – les groupes libéraux qui s’opposent au projet de loi, estimant que ce dernier empiètera sur la liberté d’expression, s’étaient déjà unis pour exprimer leur désaccord.

L’American Civil Liberties Union (ACLU) a envoyé un courrier, jeudi, à tous les sénateurs, dénonçant le caractère « trop large » de la définition de l’IHRA.

« Elle confond le discours politique protégé et les discriminations qui ne le sont pas », est-il écrit dans la missive. « Ancrer cette définition dans la loi entravera l’exercice des droits relatifs au premier amendement et risque de compromettre les initiatives légitimes et importantes qui sont prises par le ministère de l’Éducation en matière de lutte contre les discriminations ».

Parmi les exemples d’antisémitisme qui, selon l’ACLU, relèvent du discours politique – en opposition aux discours de haine – « le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, par exemple, en affirmant que l’existence de l’État d’Israël est une initiative raciste » ; « faire des comparaisons entre les politiques israéliennes contemporaines et celles des nazis » et « appliquer la règle du deux poids, deux mesures en exigeant d’Israël un comportement qui n’est ni attendu, ni demandé à une autre nation démocratique ».

Le représentant américain Matt Gaetz s’exprime sur la colline du Capitole à Washington, le 12 mars 2024. (Crédit : Nathan Howard/AP)

Mais ce n’est pas seulement la gauche qui s’oppose à ce texte : Parmi les 91 personnes qui avaient voté en sa défaveur à la chambre, il y avait 21 républicains, dont le représentant de Floride Matt Gaetz qui vient tout juste de quitter le congrès, le président élu Donald Trump l’ayant désigné au poste de procureur-général.

Gaetz et d’autres, pour leur part, s’étaient focalisés sur un exemple précis présenté dans la définition de l’IHRA, qui estime qu’il est antisémite « d’utiliser les symboles et les images associées à l’antisémitisme classique (les accusations de déicide entraînées par la crucifixion de Jésus ou la diffamation du sang) pour caractériser Israël ou les Israéliens ». La mort de Jésus par la faute des Juifs est un évangile, affirment-ils, ce qui reflète un point de vue traditionnel que la majorité des courants chrétiens ont cherché à décourager – voire à éliminer – au cours des dernières décennies.

D’autres conservateurs avancent des arguments plus proches de ceux qui sont invoqués par la gauche, disant que les discours qui sont condamnés par la définition de l’INHRA peuvent, en effet, être abjects mais qu’ils sont toutefois protégés. Dans un article écrit dans Free Press au mois de mai, Christopher Rufo, une personnalité à l’avant-garde des efforts livrés pour mettre un terme à ce qu’il appelle le « wokisme », a associé sa plume à celle d’un auteur palestinien pour dénoncer le projet de loi qui « utilise les mêmes principes coercitifs et destructeurs que les principes DEI » – ces principes de diversité, d’équité et d’inclusion que Rufo espère marginaliser, si ce n’est faire définitivement disparaître.

Elan Carr, le directeur-général de l’Israeli American Council – qui figure parmi les nombreux groupes juifs du centre et de droite qui apportent leur soutien au texte – déclare que les accusations laissant entendre que la législation entravera la liberté de discours sont de mauvaise foi.

Le projet de loi, souligne-t-il, définit ce qui constitue l’antisémitisme afin de déterminer si des discriminations ont été commises à l’encontre d’une population protégée. Exprimer les points de vue définis par l’IHRA ne déclenchera pas d’action, dit-il – mais les utiliser dans le but de nuire ou d’intimider des étudiants aura des conséquences.

« L’AAA codifie l’utilisation de la définition de l’IHRA avec pour objectif de déterminer si quelque chose est antisémite, et elle oblige ensuite l’application du Titre VI quand il s’avère que quelque chose est discriminatoire, rien de plus », commente-t-il au cours d’un entretien.

Les parrains du projet de loi déclarent qu’il sera un outil déterminant dans la lutte contre l’antisémitisme sur les campus, une question qui est devenue l’une des priorités des organisations juives.

« Je suis heureux de constater que l’Antisemitism Awareness Act sera présenté au vote au sénat », a déclaré le représentant démocrate de Floride Jared Moskowitz, qui est Juif. « Ce texte a bénéficié d’un large soutien bipartisan à la chambre et le moment est venu, pour le sénat, de protéger les étudiants juifs et de mettre un terme à la haine dont nous sommes témoins sur les campus de nos établissements supérieurs ».

Kathy Manning, représentante démocrate de Caroline du Nord, s’exprime lors d’une conférence de presse avec d’autres démocrates de la Chambre des représentants le 27 juin 2024 à Washington, DC. (Crédit :Samuel Corum / Getty Images via AFP)

Kathy Manning, représente démocrate de Caroline du nord, elle aussi Juive, a fait savoir dans une interview qu’elle espère que Schumer introduira dans l’amendement certains éléments de sa loi, le Confronting Antisemitism Act, qui prévoit de créer un poste de coordinateur national de la lutte contre l’antisémitisme dans le cadre d’une approche incluant l’ensemble du gouvernement.

« La définition de l’IHRA est un instrument dans une boîte à outils bien plus large – mais il faut avoir un coordinateur national à la Maison Blanche, qui sera placé sous l’autorité du président, un responsable dont le travail sera de convoquer un panel interagences pour surveiller ce qui se passe sur le terrain et qui s’assurera que chaque agence concernée fera vraiment le maximum pour combattre l’antisémitisme », a-t-elle expliqué.

Avec la victoire remportée par les républicains à la Maison Blanche, au sénat et à la Chambre, l’Assemblée générale du groupe Jewish Federations of North America (JFNA) a fait part d’un certain enthousiasme entraîné par la certitude que la loi sera adoptée et mise en œuvre.

Ethan Roberts, qui est le directeur exécutif adjoint du Conseil des relations de la communauté juive du Minnesota et des Dakotas au sein des JFNA, a noté que les défenseurs de la cause juive avaient été frustrés par le rythme des mesures prises par l’administration Biden dans le cadre de la lutte contre l’antisémitisme sur les campus.

« Il y a beaucoup d’enquêtes qui ne semblent pas aller très loin en ce moment à l’Office des droits civils du département de l’Éducation », a-t-il fait remarquer, en référence aux enquêtes relatives au titre VI. « Avec la victoire des républicains, nous espérons que des mesures seront prises dans ce domaine ».

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