Sharansky nous parle de la liberté et de l’échec des accords d’Oslo
C'est devant une salle comble que l'ancien “refuznik soviet” a proposé une analyse sérieuse, avec une touche de légèreté, face à un public anglophone pour un évènement du Times of Israël
En tant que soviétique et prisonnier de Sion, Anatoly Borisovich Shcharansky a été plusieurs fois confronté à la mort. Mais il savait que bien que son corps ait été emprisonné pendant neuf ans, il mourrait en homme libre.
« J’aimais beaucoup, durant les interrogatoires, raconter [aux interrogateurs] des blagues anti-soviétiques », se souvient l’ancien refuznik, aujourd’hui connu sous le nom de Natan Sharansky.
« Et ils éclataient de rire presque à chaque fois, et ils n’avaient pas le droit. Je leur disais ‘vous ne pouvez pas rire quand vous le voulez, et vous voulez me dire que je suis en prison et que vous êtes libres ?’ », raconte Sharansky devant une salle comble à Jérusalem, lors d’un évènement organisé par Le Times of Israël Présente dimanche soir.
À sa libération en février 1986, Sharansky a émigré en Israël et a rejoint sa femme Avital, qui avait mené les efforts internationaux pour obtenir sa libération. Il a ensuite poursuivi son militantisme au nom du judaïsme soviétique. En 1995, par manque de moyens politiques pour aider ses compatriotes, il a cofondé Yisrael Ba’Aliyah, avec Yuli Edelstein, également refuznik. Leur slogan résonnait comme une plaisanterie : « nos dirigeants commencent en prison et finissent en politique ».
Cependant, après avoir remporté sept sièges aux élections de 1996 et après avoir été plusieurs fois ministre, Sharanksy, un politicien toujours réticent, a démissionné, la dernière fois, de la Knesset. (Il avait déjà démissionné d’autres gouvernements, en protestation contre des politiques comme le plan de partition de Jérusalem d’Ehud Barak, ou le projet de désengagement d’Ariel Sharon).
Pour expliquer comme un dissident intransigeant devient un mauvais politicien, Sharansky plaisanta : « j’étais dans quatre gouvernements, et j’ai démissionné deux fois. J’étais dans quatre prisons, et je n’ai jamais démissionné ».
« J’étais dans 4 gouvernements, et j’ai démissionné 2 fois. J’étais dans 4 prisons, et je n’ai jamais démissionné »
Natan Sharansky
Cependant, à son poste actuel, il est probablement célèbre pour sa capacité à rassembler tous les courants du judaïsme autour d’une table. Depuis juin 2009, Natan Sharansky est à la tête de l’Agence juive pour Israël, qu’il a remaniée pour axer l’institution non plus sur l’immigration, mais sur l’identité juive. Bien qu’il ait annoncé son départ à la retraite, en l’absence de successeur – et en l’absence d’espace de prière égalitaire au mur Occidental – le conseil lui a demandé de prolonger son mandat d’un an.
Avec une juste dose de légèreté, c’est au cours d’une interview par le journaliste Matthew Kalman que Sharansky a livré de très sérieuses analyses politiques et sociales.
Les points suivants sont des morceaux choisis des propos de Sharanksy sur la signification de la liberté, sur la façon dont les accords d’Oslo ont mené à la dictature et au conflit, et les « préjugés étranges » qu’ont les Israéliens contre 65 % des Juifs américains.
Grandir juif avec un double discours
La vie était dénuée de deux choses : l’identité, le fait de vivre dans un environnement complètement assimilé, où nous savions très bien que nous étions Juifs, parce que c’était écrit sur les papiers d’identité de nos parents. Toutes les conversations à la maison tournaient autour de la discrimination, de l’antisémitisme, des restrictions. Et parallèlement, nous ne connaissions même pas des mots comme Pessah ou Hanoukka, ni même bar-mitzva ou brit mila, ces mots n’existaient pas dans notre vie. Être juif était une forme de maladie à laquelle il fallait s’habituer.
« Être juif était une forme de maladie »
Natan Sharansky
La deuxième chose dont nous étions privés, c’était la liberté. Depuis l’âge de cinq ans, depuis le jour où [le dictateur soviétique Joseph] Staline est mort, je me souviens précisément du moment où Staline est mort, quand mon père m’a expliqué que c’était une bonne chose, parce qu’il était dangereux pour nous, pour les Juifs, et pour de nombreuses autres personnes. Je devais me rappeler qu’un miracle s’était produit : Staline est mort quand nous courrions de graves dangers, je ne devais le dire à personne et faire ce que tout le monde faisait.
Le lendemain, je suis allé à l’école maternelle, et je pleurais avec tous les enfants et je chantais notre gratitude pour cette enfance heureuse, reconnaissant au « Petit Père des peuples ».
Donc je pleurais, je chantais, et je me souvenais qu’un miracle s’était produit et que je devais être très heureux. C’est un état d’esprit classique pour un citoyen soviétique, et c’est comme cela que nous vivions. Sans identité, sans liberté. Et quand nous les avons récupérés, ce fut une sensation très puissante.
La liberté est un état d’esprit
La liberté n’est jamais théorique. Vous êtes libres ou vous ne l’êtes pas. J’ai eu la chance de vivre comme esclave soviet, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à ma vingtaine, quand j’ai cessé de vivre ma double-vie, et que je suis devenu quelqu’un de libre.
Donc le fait que j’ai été incarcéré physiquement dans certaines conditions n’importe pas réellement. Dès lors que l’on dit ce que l’on pense, et que l’on fait ce en quoi on croit, dès lors que l’on décide que désormais, je suis le seul à pouvoir m’humilier, à pouvoir avoir honte de ce que je fais ou ne fais pas, et si je n’ai pas honte de ce que je fais, si je suis une personne libre, si j’ai le sentiment de faire partie de ce processus historique et que je suis fidèle à l’image de Dieu selon laquelle nous avons été créés, alors je suis une personne libre.
Au moment où vous la ressentez, au moment où vous en profitez, personne ne peut vous la retirer, elle n’est plus théorique.
Les Accords d’Oslo, un « crime » pour le peuple palestinien
Il faut tenter de faire la paix avec ceux qui nous entourent. Mais ne vous méprenez pas : la paix face à un dictateur ne peut être basée que sur votre pouvoir. Si le dictateur a peur, vous serez en position de force.
Mais il n’en va pas de même pour les pays démocratiques. Pourquoi ? Parce que les pays démocratiques, le gouvernement, les dirigeants, dépendent de leur peuple, et par conséquent, doivent transmettre les biens à leur peuple, et la paix est donc leur propre intérêt politique.
« Le défi d’un dictateur, c’est de garder son peuple sous contrôle, et c’est pour cela qu’il a besoin que vous soyez son ennemi »
Natan Sharansky
Dans une dictature, le peuple dépend du dictateur, donc le défi d’un dictateur, c’est de garder son peuple sous contrôle, et c’est pour cela qu’il a besoin que vous soyez son ennemi.
Je pense que l’une de nos plus grandes erreurs – un crime, presque – était les accords d’Oslo. Parce que les accords d’Oslo étaient basés sur l’idée, et Yitzhak Rabin, que sa mémoire soit bénie, en parlait le mieux, qu’Arafat étant un dictateur était une bonne chose pour nous. « Sans Cour suprême, sans liberté de presse, sans organisation de défense des droits de l’homme, Arafat se battrait pour nous contre le Hamas bien mieux que ce que nous pouvions faire contre le Hamas. »
C’est ce qui avait été dit deux semaines après la signature des accords d’Oslo, et c’est à ce moment que j’ai écrit mon premier article dans lequel je m’y oppose. J’avais dit que nous ferons tout pour qu’il soit un dictateur fort. Et, en tant que dictateur fort, il fera tout pour que son peuple nous haïsse. Il n’y a aucun autre moyen pour qu’un dictateur survive.
Le fait est que nous ignorions cela en Israël, mais aussi en Amérique, dans le monde libre, nous cherchons des dictateurs qui amèneront la paix. Cela n’arrivera jamais. S’ils sont dictateurs, la paix n’arrivera que grâce à la force de nos ennemis.
Durant le processus des accords d’Oslo, quand j’ai commencé à évoquer ce que nous devons soutenir, le ministère des Affaires étrangères de l’époque, Yossi Beilin m’avait dit : « Anatoly, tu parles de choses qui prendront probablement 10 ou 15 ans ». J’avais répondu. « Peut-être ». [Ce à quoi Beilin avait rétorqué] « Et nous allons faire la paix en trois ans. » C’est ce qu’il avait dit. C’étaient les accords d’Oslo : « la paix en trois ans, et nous n’avons pas de temps à perdre ». Et depuis, chaque gouvernement tente de faire la paix en trois ans.
Les préjugés israéliens sur le judaïsme réformé et conservateur
Je ne sais pas à quel point les [mouvements réformés et conservateurs] perceront, ou ne perceront pas [en Israël]. Ce que j’ai sais, c’est que si Israël veut garder le rôle qu’avaient déclaré ses dirigeants, et en quoi croyaient ses dirigeants, à savoir, que nous sommes un foyer pour tous les Juifs du monde, nous ne pouvons pas dire à 65 % des Juifs américains qu’ils sont les bienvenus en Israël, mais sans leurs rabbins et sans leurs communautés. Nous devons être un lieu d’accueil pour toutes les communautés et tous les mouvements du monde.
« Tant d’Israéliens ont d’étranges préjugés à l’égard des Juifs réformés et conservateurs »
Natan Sharansky
J’ai été invité à m’exprimer dans de nombreuses instances, et il s’est avéré que tant d’Israéliens ont d’étranges préjugés à l’égard des Juifs réformés et conservateurs. J’avais dit une fois : « ce que vous dites me rappelle ce que les gens disaient des Juifs en URSS ». Une espèce de complot secret de la part des réformés pour détruire le judaïsme en forçant à l’assimilation et aux mariages mixtes. Et maintenant, ils veulent importer le mariage mixte en Israël et conquérir la société israélienne en détruisant son caractère juif. Et c’est ce que l’on entend de la bouche de gens normaux, qui n’ont jamais rencontré de Juifs réformés.
Nous avons récemment reçu une délégation de haut membres de la Knesset [aux États-Unis], et l’un d’eux est le représentant du parti le plus à droite de notre échiquier [politique]. Pour la première de sa vie, il était en Amérique, à San Francisco, dans une synagogue réformée… et je lui ai demandé « Alors, vous pensez que vous voterez différemment ? »
Et il a répondu : « Non, je dois garder la ligne conductrice de mon parti. Mais laissez-moi vous dire que désormais, je comprends qu’ils font partie de mon peuple, et que je dois être en contact avec eux. »
Et j’ai envie de vous dire, que juste pour cette phrase, ça valait la peine de lui payer son billet d’avion.
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