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Interview

Surcycler les fèces, ou quand dépasser les blocages présente de nombreux avantages

Dans son livre, la jounaliste Lina Zeldovich affirme que l'humanité gaspille une ressource précieuse qui peut être utilisée comme fertilisant, biocarburant ou comme médicament

  • L'équipe de collecte des déchets de l'entreprise Loowatt fait sa tournée quotidienne à  Tananarive, la capitale de Madagascar. Les déchets sont collectés dans des sacs biodégradables et manuellement chargés dans un digesteur qui les transforme en fertilisants et en biocarburant. Dans les endroits où l'approvisionnement en eau n'est pas fiable, des techniques d'assainissement servent d'alternative fiable. (Autorisation : Dennis Cieri)
    L'équipe de collecte des déchets de l'entreprise Loowatt fait sa tournée quotidienne à Tananarive, la capitale de Madagascar. Les déchets sont collectés dans des sacs biodégradables et manuellement chargés dans un digesteur qui les transforme en fertilisants et en biocarburant. Dans les endroits où l'approvisionnement en eau n'est pas fiable, des techniques d'assainissement servent d'alternative fiable. (Autorisation : Dennis Cieri)
  • Un digesteur personnel de HomeBiogas fabriqué à Beit Yanai, en Israël et conçu par Yair Teller et Oshek Efrati coûte environ 700 euros et il peut être livré presque n'importe où dans une boîte compacte. Des modèles similaires peuvent être attachés à des toilettes biologiques pour produire des fertilisants et du biocarburant. (Autorisation : Lina Zeldovich)
    Un digesteur personnel de HomeBiogas fabriqué à Beit Yanai, en Israël et conçu par Yair Teller et Oshek Efrati coûte environ 700 euros et il peut être livré presque n'importe où dans une boîte compacte. Des modèles similaires peuvent être attachés à des toilettes biologiques pour produire des fertilisants et du biocarburant. (Autorisation : Lina Zeldovich)
  • L'équipe de collecte des déchets de la firme Loowatt fait sa tournée quotidienne à Tananarive, la capitale de Madagascar. Les déchets sont collectés dans des sacs biodégradables et manuellement chargés dans un digesteur qui les transforme en fertilisants et en biocarburant. Dans les endroits où l'approvisionnement en eau n'est pas fiable, des techniques d'assainissement servent d'alternative fiable. (Autorisation : Dennis Cieri)
    L'équipe de collecte des déchets de la firme Loowatt fait sa tournée quotidienne à Tananarive, la capitale de Madagascar. Les déchets sont collectés dans des sacs biodégradables et manuellement chargés dans un digesteur qui les transforme en fertilisants et en biocarburant. Dans les endroits où l'approvisionnement en eau n'est pas fiable, des techniques d'assainissement servent d'alternative fiable. (Autorisation : Dennis Cieri)
  • Lina Zeldovich, autrice de ‘The Other Dark Matter.’ (Autorisation)
    Lina Zeldovich, autrice de ‘The Other Dark Matter.’ (Autorisation)
  • Des silos futuristes argentés en forme d'œufs à l'usine de traitement des eaux usées de Newtown Creek, qui transforment les déchets humains en biocarburant. (Crédit : Lina Zeldovich)
    Des silos futuristes argentés en forme d'œufs à l'usine de traitement des eaux usées de Newtown Creek, qui transforment les déchets humains en biocarburant. (Crédit : Lina Zeldovich)

Quand Lina Zeldovich, journaliste à New York, s’est rendue en Israël dans le cadre d’une bourse octroyée par l’université Ben-Gurion, en 2018, elle a rencontré Amit Gross et Yair Teller – deux scientifiques israéliens qui ont pris au sens littéral du terme l’adage « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme, » la célèbre maxime apocryphe du chimiste français Antoine Lavoisier, mort en 1794, souvent présenté comme le père de la chimie moderne.

Gross, chercheur à l’université Ben Gurion et Teller, président et cofondateur de HomeBiogas, à Beit Yanai, transformaient alors les déchets humains en biocarburant, en fertilisant ou les deux. Et s’il est vrai qu’il est impossible de changer le plomb en or, les chercheurs de la Start-Up Nation ont trouvé un moyen de réaffecter ces fèces peu ragoûtantes à des missions autrement honorables – et ils aident même leurs voisins palestiniens à faire de même.

Dans un programme de 2015 appelé Partenariat pour la paix, Teller et de directeur-général de HomeBioGas, Oshik Efrati, avaient ainsi envoyé certains de leurs « digesteurs anaérobie », qui transforment les déchets organiques en méthane, aux villageois palestiniens installés dans des zones isolées de Cisjordanie. Un projet qui avait rassemblé des étudiants israéliens et palestiniens et, plus tard, des modèles ont été envoyés à Gaza pour le compte de l’ONU et de la Croix rouge.

De manière générale, confie Zeldovich au Times of Israel, « je pense que l’approche choisie par les Israéliens face au recyclage et à la réutilisation des déchets, pour un si petit pays, avec cette grande variété d’idées – je pense que c’est réellement impressionnant ».

Des innovations similaires, il y en a maintenant dans le monde entier – et, pour Zeldovich, « il était temps ». Elle espère que le grand public changera enfin sa manière de gérer les déchets – un sujet qui la passionne depuis son enfance passée dans une famille de scientifiques juifs dans l’ex-Union soviétique. Et elle présente maintenant les résultats des recherches qu’elle a pu mener à ce sujet dans un nouveau livre, intitulé The Other Dark Matter: The Science and Business of Turning Waste Into Wealth and Health.

Le livre sera sans doute une occasion unique et sans pareil d’en apprendre davantage sur les excréments – ou de découvrir les nombreux calembours sur le sujet des autres auteurs qui ont pu s’y intéresser. Mary Ellen Hannibal a salué l’ouvrage de Zeldovich qui est, selon elle, une lecture « indispensable » sur « ce que nous appelons ‘l’anthropo-selle‘ [anthropocène] tandis que Mary Roach a déclaré moins élégamment que « c’est qu’il est bien, ce livre de merde ».

Lina Zeldovich, autrice de ‘The Other Dark Matter.’ (Autorisation)

Et c’est vrai qu’il est bien. L’ouvrage nous raconte ce qui arrive très exactement après que l’on a tiré la chasse d’eau – et la manière dont les sociétés ont pris en charge cette problématique depuis l’aube de la civilisation.

Les lecteurs découvrent l’exemple d’une architecture romaine qui est aussi ancienne que le Colisée, les routes ou les aqueducs – à savoir la Cloaca Maxima, le système d’égout épique de la Ville éternelle.

Ils découvrent également l’origine à Londres, au 19e siècle, d’une technique de traitement des déchets humains largement utilisée en Occident qui, si elle a amélioré le niveau de vie, reste encore nuisible pour l’environnement.

Et ils rencontrent des innovateurs du monde entier qui cherchent à changer les idées reçues en surcyclant les fèces pour en faire un biocarburant, ou fertilisant ou même un médicament (ainsi, il est possible de faire don de ses excréments pour des transplantations fécales qui, paraît-il, sauvent des vies).

Et les fèces ont même une pertinence s’agissant de la pandémie de COVID-19 : Biobot, une firme de Cambridge, dans le Massachusetts, utilise des robots qui traquent des traces de coronavirus dans les réseaux d’égout, ce qui aide à prévenir de futures flambées du virus.

Un digesteur personnel de HomeBiogas fabriqué à Beit Yanai, en Israël et conçu par Yair Teller et Oshek Efrati coûte environ 700 euros et il peut être livré presque n’importe où dans une boîte compacte. Des modèles similaires peuvent être attachés à des toilettes biologiques pour produire des fertilisants et du biocarburant. (Autorisation : Lina Zeldovich)

Le sujet est ambitieux et il est urgent, selon l’autrice – les selles sont riches en nitrogène et ce produit chimique se répand hors des canalisations, endommageant les écosystèmes des marais, ce qu’elle qualifie « de formidable bombe à retardement fabriquée par les eaux usées ». C’est aussi un sujet largement mis de côté lors des conversations, trop malodorant, trop grossier, du genre à vous couper l’appétit ou à vous renvoyer dans votre raisonnable hypocondrie – c’est d’excréments qu’il s’agit, après tout. De multiples éditeurs ont ainsi refusé l’idée de livre de Zeldovich avant que University of Chicago Press n’accepte de risquer l’aventure.

« Cela a pris très longtemps de laisser mûrir l’idée, de la laisser surgir », dit Zeldovich. « De vraiment croire que je pourrais intéresser un éditeur, puis des lecteurs. Il m’a fallu du temps pour m’en convaincre. »

Mais en réalité, l’intérêt pour le sujet est croissant. Les fèces inspirent des poèmes, des performances artistiques, des expos – un musée leur est même entièrement consacré en Inde. Le lundi qui a suivi le Super Bowl (qui est tombé, cette année, le jour de la Saint-Valentin) a été désigné Journée nationale de l’excrément. La fondation Bill et Melinda Gates a reconnu l’importance du sujet en 2011 quand elle a lancé un concours récompensant la meilleure conception de toilettes, citant les milliards de personnes qui vivent encore avec des installations sanitaires inadéquates et les risques pour la santé qui en résultent.

« Au cours de la dernière décennie, j’ai constaté le changement des attitudes à l’égard des selles », note Zeldovich. « Au niveau sociétal, j’ai commencé à voir des gens qui voulaient savoir ce qu’étaient exactement les excréments, ce qu’ils devenaient après avoir tiré la chasse d’eau. Le sujet n’est plus tabou ».

Zeldovich elle-même a été sensibilisée à la question de la gestion des déchets depuis toute petite, quand ses parents vivaient encore en Union soviétique. Son grand-père faisait du compostage et elle avait ainsi réalisé que les excréments n’étaient pas forcément quelque chose de dégoûtant, mais qu’ils étaient aussi une matière première précieuse qui nourrissait le jardin familial. Elle explique avoir été étonnée par la manière dont son aïeul parvenait à surcycler les déchets de toute la famille en en faisant un fertilisant, l’utilisant pour cultiver les légumes présentés sur la table familiale. Les bureaucrates soviétiques avaient finalement obligé la famille à partir ailleurs, ce qui avait mis un terme à cette expérience de compostage mais ce qui ne devait pas éteindre pour autant l’intérêt porté par Zeldovich au sujet.

L’équipe de collecte des déchets Loowatt fait sa tournée quotidienne à Antananarivo, la capitale de Madagascar. Les déchets sont collectés dans des sacs biodégradables et manuellement chargés dans un digesteur qui les transforme en fertilisants et en biocarburant. Dans les endroits où l’approvisionnement en eau n’est pas fiable, des techniques d’assainissement servent d’alternative fiable. (Autorisation : Dennis Cieri)

Dans sa carrière de journaliste, elle a remarqué que ses articles les plus cliqués sur internet étaient consacrés aux selles humaines. Deux d’entre eux ont été distingués par un prix.

Pour les besoins de l’un de ses articles, elle est allée à Madagascar où elle a découvert les conditions sanitaires déplorables qui prévalent à Tananarive, la capitale du pays – des latrines ouvertes qui débordent quand il pleut, faisant dévaler les eaux usées dans les rues, ce qui contamine l’approvisionnement en eau. Elle a interviewé les employés de Loowatt, une start-up déterminée à changer les choses. L’entreprise fabrique des toilettes avec des sacs qui collectent les déchets humains. Les sacs sont ensuite récupérés et envoyés dans un laboratoire central où les déchets sont transformés en biocarburant et en fertilisant. Zeldovich se souvient être entrée dans une pièce remplie de caisses et de boîtes contenant des excréments humains.

L’équipe de collecte des déchets de l’entreprise Loowatt fait sa tournée quotidienne à Tananarive, la capitale de Madagascar. Les déchets sont collectés dans des sacs biodégradables et manuellement chargés dans un digesteur qui les transforme en fertilisants et en biocarburant. Dans les endroits où l’approvisionnement en eau n’est pas fiable, des techniques d’assainissement servent d’alternative fiable. (Autorisation : Dennis Cieri)

« Le laboratoire de recherche et développement dans lequel je suis entrée avait une pièce pleine de selles qui étaient en train de fermenter tout autour de moi », s’exclame-t-elle.

Les employés ont tous voulu lui serrer la main. Ce qu’elle a accepté de faire après une pause. En y réfléchissant a posteriori, elle a réalisé que si tous ces excréments s’étaient d’ores et déjà transformés en compost, il n’y avait pas de problème sanitaire qui se posait en réalité.

Aux États-Unis, dit-elle, la pratique prédominante en matière de gestion des déchets est l’usage d’un réseau d’égout. Les déchets partent dans les toilettes et ils traversent des canalisations souterraines jusqu’à une usine d’assainissement, où ils sont traités. Les eaux usées sont retirées, elles sont traitées et elles retournent dans l’environnement, tandis que les boues restantes sont utilisées comme sites de décharge ou elles sont brûlées.

Mais ce système, explique Zeldovich, présente plusieurs problèmes. Il a été établi pour traiter à la fois les eaux usées et les eaux de pluie et, quand il pleut, les excédents d’eau sont envoyés dans des plans d’eau, avec les eaux usées. Du nitrogène s’échappe alors des canalisations, entraînant des ravages dans les marais. Zeldovich a eu l’occasion d’en examiner plusieurs dans le Massachusetts.

« Dans son évolution, la vie aquatique a appris à vivre avec un faible niveau de nutriment », explique-t-elle. « Les substances qui ne devraient pas se trouver là et qui se trouvent en trop grande quantité, ou la présence d’algues toxiques évincent toutes les formes de vies autres, elles absorbent une grande partie de l’oxygène qui se trouve dans l’eau. C’est à ce moment-là que la vie aquatique commence à mourir. Et c’est particulièrement vrai concernant les marécages dans les zones côtières qui représentent un écosystème très important. »

Pour Zeldovich, les pratiques utilisées dans le passé par les sociétés qui utilisaient les excréments pour nourrir les sols pauvres sont bien meilleures (comme vous le constaterez vous-même, toutes les sociétés n’ont pas été aussi éclairées). Dans le Japon féodal, les ouvriers collectaient les selles, ils les entreposaient sur des navires et en faisaient des fertilisants. Comme l’explique Zeldovich, cette initiative avait tellement profité aux sols japonais que les excréments étaient devenus une matière première précieuse, entraînant même des conflits sur celui qui aurait la chance de les collecter.

Des systèmes similaires existaient dans la Chine préindustrielle, et chez les Flamands des Pays-Bas. Ces derniers avaient estimé que leurs sols étaient tellement pauvres qu’ils nécessitaient un fertilisant fabriqué non seulement à partir des selles humaines, mais également à partir d’urine et d’excréments de chiens et de poules.

Des silos futuristes argentés en forme d’œufs à l’usine de traitement des eaux usées de Newtown Creek, qui transforment les déchets humains en biocarburant. (Crédit : Lina Zeldovich)

Revenant à l’Amérique contemporaine, Zeldovich salue l’approche qui est adoptée sur la côte Est des États-Unis.

La principale usine de traitement des déchets de New York, à Brooklyn, propose des visites à une date à la fois improbable et populaire – le jour de la Saint-Valentin. Zeldovich se souvient être allée, un 14 février, sur ce site gigantesque – avec un paysage urbain panoramique au-dessus d’elle, les excréments d’un million de New Yorkais en dessous et des structures géantes, appelées œufs digesteurs, qui transforment les selles en biocarburant avec l’aide des bactéries. Elle regrette pourtant que la ville de New York ne fabrique pas autant de fertilisant à partir de ces déchets que peut le faire Washington.

Elle indique que l’une des raisons est expliquant que New York est à la traîne est « qu’il y en a trop – il faut dire qu’il y a une surproduction de fèces à New York ».

S’il ne serait pas possible de redistribuer localement tous les fertilisants résultant du traitement des déchets humains de la Grande Pomme, Zeldovich dit qu’il serait formidable qu’ils soient envoyés dans le Midwest pour les cultures agricoles, ou vers la Floride ou la Californie. Mais, ajoute-t-elle, des problèmes de temps et d’argent rendent une telle perspective peu probable pour le moment.

Dans la capitale du pays, elle a visité un site de gestion des déchets qui transforme les excréments de la ville – notamment les fèces bipartisanes de la Maison Blanche et du Capitole – en biocarburant et en fertilisant. Ce dernier est vendu sous le nom de BLOOM. Il a l’apparence et l’odeur du terreau, selon Zeldovich, et son usage est sûr.

« Je pense que leur méthode de prise en charge des déchets est vraiment brillante », note Zeldovich. « A mes yeux, c’est la plus proche de ce que pouvait faire mon grand-père à une échelle qui est, bien sûr, beaucoup plus grande ».

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