Un Israélien soupçonné de transfert illégal de fonds russes au parti de Boris Johnson
Une alerte bancaire a signalé, en 2018, un don d'Ehud Sheleg au parti conservateur britannique. Les fonds proviendraient du compte bancaire russe de son beau-père
Selon une information publiée jeudi, l’ex-trésorier du parti conservateur du Premier ministre britannique Boris Johnson est soupçonné d’avoir transféré de l’argent du compte bancaire russe d’un riche homme d’affaires de Crimée vers les coffres du parti.
Né en Israël, Ehud Sheleg, dont la famille possède la très chic galerie d’art Halcyon à Londres, est accusé d’avoir fait don de 630 255 dollars [d’origine douteuse] à la campagne électorale de Johnson en février 2018.
Selon une alerte bancaire détaillée par le New York Times jeudi, l’argent en question proviendrait de son beau-père, Sergei Kopytov, ex-politicien proche du Kremlin et homme d’affaires en Crimée.
Selon l’alerte de janvier 2021, Kopytov aurait, au début de 2018, effectué un virement de 2,5 millions de dollars sur un compte offshore lié à une fiducie de la famille Sheleg, via une série de comptes apparemment inactifs appartenant à Sheleg et son épouse, Liliia Sheleg, fille de Kopytov.
Un mois plus tard, l’argent aurait été transféré sur un compte britannique commun au couple, et un jour plus tard, un versement de plus de 630 000 $ était fait au profit du parti conservateur.
Selon les informations données, Barclays aurait précisé dans l’alerte : « Nous sommes en mesure de retracer avec certitude la trajectoire de ce don ».
« Il est possible d’affirmer avec une quasi-certitude que Kopytov est à l’origine de ce don. »
On ignore pour quelle raison l’alerte n’a été émise que trois ans après le don.
Sheleg, Kopytov, les conservateurs et Johnson ont tous nié tout acte répréhensible et refusé de commenter.
Un avocat de Sheleg a déclaré au NYT que Kopytov avait envoyé les 2,5 millions de dollars, contrepartie de la vente d’une propriété, à la fiducie familiale en cadeau et pour rembourser un prêt. Sheleg aurait emprunté l’argent de la fiducie pour faire un don à Johnson.
Mais les agents de Barclays ont noté que les comptes sur lesquels l’argent avait transité étaient vides avant et après les transferts, ce qui a suscité des soupçons d’utilisation pour en opacifier l’origine.
L’avocat de Sheleg a déclaré que les soldes n’avaient pas d’importance; seul le fait que son client n’ait pas eu besoin de l’argent de Kopytov pour faire le don était important.
« Il n’y a absolument aucune raison de supposer que le don de M. Kopytov à sa fille était destiné à faire un don au Parti conservateur », a-t-il assuré.
Kopytov a lui aussi nié avoir fait un don politique, dans une déclaration envoyée au NYT par l’entremise de l’avocat de Sheleg.
« Je n’ai aucun intérêt pour la politique britannique », a-t-il déclaré, se décrivant comme un citoyen ukrainien.
« Les dons faits par mon gendre à un parti politique britannique n’ont rien à voir avec moi ou avec l’argent que j’ai donné à ma fille. »
Il est illégal au Royaume-Uni d’accepter des dons politiques de plus de 500 livres de la part d’étrangers qui ne peuvent voter en Grande-Bretagne.
Interrogé sur l’information jeudi, Johnson a déclaré à Sky News que tous les dons des partis avaient été enregistrés « de manière régulière », rappelant que les étrangers n’étaient pas autorisés à faire des dons aux partis politiques.
Un porte-parole du Parti conservateur a refusé de dire si la source des fonds avait été vérifiée. Rien n’indique que Johnson ou le parti étaient informés de la source des fonds, ni que les forces de l’ordre aient poursuivi l’affaire ou soupçonné des actes répréhensibles.
Les conservateurs avaient chaleureusement accueilli Sheleg, nommé trésorier après avoir été responsable des dons en 2019, l’année où il a été fait chevalier. Il a démissionné de son poste de trésorier en 2021.
Selon le NYT, Sheleg aurait, par le passé, attiré l’attention suite à des réunions avec des responsables russes ou des personnalités en lien avec le crime organisé russe, malgré des relations distendues entre Moscou et Londres. Le journal a noté que les dons liés à la Russie avaient augmenté lorsqu’il était le principal collecteur de fonds.
Le frère de Sheleg, Ran Sheleg, était associé dans une société israélienne commercialisant des options binaires, instrument de placement frauduleux désormais interdit en Israël. Certains pans du secteur étaient considérés comme ayant des liens privilégiés avec des organisations criminelles russes.
Ran Sheleg, qui est également bénéficiaire de la fiducie familiale et inscrit sur la liste des dirigeants de la Halcyon Gallery de son frère, a nié toute implication dans une activité frauduleuse. Il a convenu, lors d’une enquête en 2019, que la société d’options binaires avait été un échec.
Les alertes bancaires, connues sous le nom de rapports d’activité suspecte aux États-Unis, sont des avis que les institutions financières déposent auprès des autorités pour signaler des activités suspectes. Elles sont généralement confidentielles. Le NYT n’a pas précisé comment il avait obtenu le rapport de Barclays.
En 2020, plus de 2 500 rapports d’activités suspectes déposés auprès du Département américain du Trésor ont été divulgués à Buzzfeed et au Consortium international des journalistes d’investigation, contenant des alertes émanant de 90 banques, dont la Barclays.