Un livre sur les expressions judéo-alsaciennes rappelle un passé harmonieux
Alain Kahn a mené un précieux travail de collecte d’expressions judéo-alsaciennes dans la littérature et auprès d’anciens qui parlent encore le Yéddisch-Daïtsch
Alain Kahn est auteur et président de la Communauté israélite de Saverne, en Alsace, où il assume également la fonction de hazan et d’enseignant au Talmud Torah local.
Grandement impliqué dans le monde associatif et dans la vie et la mémoire du judaïsme alsacien, il a publié plusieurs ouvrages à ce sujet.
Son dernier livre, 350 expressions judéo-alsaciennes, a été publié cette année aux éditions La Nuée Bleue.
Pour ce livre, Kahn a mené un précieux travail de collecte d’expressions judéo-alsaciennes dans la littérature et auprès d’anciens qui parlent encore le Yéddisch-Daïtsch, dialecte en voie de disparition qui était parlé par les communautés juives vivant en Alsace-Moselle.
Il a choisi et sélectionné 350 expressions pour les partager et les faire perdurer : les plus emblématiques, les plus compréhensibles, les plus amusantes…
Mêlant joyeusement l’allemand, l’hébreu et l’alsacien, elles parlent des coutumes, des fêtes, du Shabbat, mais aussi du quotidien, des affaires, des chrétiens et de la cuisine.
Elles permettent de découvrir les traditions et la vie quotidienne des Juifs de la campagne alsacienne d’antan, alors peuplée de marchands de bestiaux, de filles à marier, de rémouleurs et de colporteurs.
Parmi quelques-unes des expressions sélectionnées : « Métt a gueti Frimselsoup kann m’r guet faschte » (Avec une bonne soupe aux vermicelles, on peut bien jeûner) ; « E Ponem wie a Matze » (Un visage comme du pain azyme – c’est-à-dire pâle et grêlé) ; « E luschtiger Dallèss geït éwer allèss » (Une pauvreté joyeuse, c’est mieux que tout) ; « Schmüsse koscht nix » (Papoter ne coûte rien) ; « Schauffer blôse » (Souffler dans le schofar – la trompe annonçant la nouvelle année).
Pour France 3 Régions, l’auteur a expliqué l’origine de quelques mots de ces expressions : dans « Wo kenn Nàrr esch, isch kenn Sém’he » (S’il n’y a pas de fou, il n’y a pas de joie), « Sém’he vient de l’hébreu sim’ha, la fête », précise l’auteur.
Dans « Bass uff, s’esch e Klafte ! » (Fais attention, c’est une méchante femme), « Klafte vient de l’hébreu kelavta, chienne. » Ou encore : « Er schmüsst wie e Schawwesgoye » (Il papote comme la non-juive du shabbat). « La non-Juive était une femme du village qui venait aider les familles juives à allumer le feu et la lumière au moment du shabbat », explique Alain Kahn. « Mais comme elle passait de maison en maison, elle avait aussi la réputation d’être une commère. » Et « schmüsst fait référence au mot hébreu chemouot, potins. »
Ces expressions rappellent ainsi un passé plutôt harmonieux, quand communautés juives et non-juives cohabitaient relativement paisiblement en Alsace, avant la Shoah – un vivre-ensemble qui a fait naître ce dialecte singulier, qui mélange l’alsacien et un hébreu germanisé.
« Le judéo-alsacien est un véritable patrimoine », explique Alain Kahn. La preuve qu’ici, Juifs et non-Juifs vivaient bien ensemble. Et c’est important de ne pas l’oublier. »
Alors que la communauté comptait de nombreux pauvres, des expressions de ce genre sont apparues : « Er hot de Dallèss in séve Farwe » (Il a la misère en sept couleurs – il est complètement fauché). « Dallèss est un dérivé de l’hébreu dalouth, la pauvreté. Et cette phrase signifie qu’il est dans une misère aussi complète que l’est l’arc-en-ciel lorsqu’il arbore ses sept couleurs. »
Pour son livre, Alain Kahn a encore pu consulter quelques témoins directs et locuteurs du judéo-alsacien, « tous très âgés ». Il a aussi consulté différents anciens ouvrages, dont celui d’un rabbin de Bâle, et un lexique établi par le spécialiste dialectal Raymond Matzen.
Le livre présente également un lexique des prénoms judéo-alsaciens et douze comptines.
L’auteur explique que certains Alsaciens non-juifs connaissent toujours certains termes de la langue. « Si on parle avec les habitants, ils sont contents de réentendre certains mots. Ils s’en souviennent et les connaissent encore », dit-il. À l’époque, le Yéddisch-Daïtsch pouvait être compris voire même parlé par certains non-Juifs alsaciens.
La langue a aussi déteint sur l’alsacien, avec des mots d’origine hébraïque tels que : scheufel (médiocre), màschugge (fou), Dooges (arrière-train) ou Migges (camelote).
Alain Kahn avait déjà publié auparavant ‘Histoires’ judéo-alsaciennes (2011), La communauté juive de Saverne : cinq siècles d’histoire (2003), ainsi que de nombreux articles.