Israël en guerre - Jour 363

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Un militant juif britannique de gauche interdit d’alyah et sommé de partir d’ici dimanche

Arrivé en avril comme touriste, le doctorant Leo Franks a depuis fait sa demande d'alyah. Son passeport lui a été confisqué suite à son interpellation en Cisjordanie et aujourd'hui, il est expulsé

Les forces de sécurité israéliennes tentent de disperser militants palestiniens, israéliens de gauche et étrangers lors d'une manifestation près de l'implantation israélienne Mitzpe Yair en Cisjordanie, à Masafer Yatta, non loin d'Hébron, le 10 juin 2022. (Ahmad Gharabli/AFP via Getty Images, via la JTA)
Les forces de sécurité israéliennes tentent de disperser militants palestiniens, israéliens de gauche et étrangers lors d'une manifestation près de l'implantation israélienne Mitzpe Yair en Cisjordanie, à Masafer Yatta, non loin d'Hébron, le 10 juin 2022. (Ahmad Gharabli/AFP via Getty Images, via la JTA)

JTA — En arrivant en Israël en avril dernier, Leo Franks avait dans l’idée de réaliser son rêve.

Ce Juif britannique âgé de 25 ans, qui venait de commencer son doctorat en histoire dans une prestigieuse université américaine, arrivait ainsi dans le pays dont il voulait étudier l’histoire juridique. Franks était déjà venu en Israël à plusieurs reprises et il avait même une petite amie israélienne. Mais cette fois, il voulait aussi faire son alyah et devenir Israélien.

Entré avec un visa touristique, cet étudiant diplômé de l’Université de Californie à Berkeley a rapidement entamé les démarches pour faire valoir ses droits au regard de la loi israélienne du retour, qui garantit l’octroi de la nationalité aux Juifs du monde entier – un principe au cœur de l’identité israélienne. Il s’est installé avec sa petite amie et s’est préparé pour sa nouvelle vie.

Cinq mois plus tard, il est expulsé par les services israéliens de l’immigration.

Les problèmes d’immigration de Franks ne sont pas imputables à des doutes sur sa judéité – obstacle auquel certains candidats à l’alyah se trouvent confrontés. Ses problèmes ont commencé lorsque ses convictions de gauche ont guidé ses pas jusqu’à un endroit hautement sensible de Cisjordanie et à une manifestation anti-gouvernement à Jérusalem, ce qui lui a valu d’être brièvement détenu. Franks s’estime victime de mesures de rétorsion en raison de son activisme politique et empêché de faire son alyah par des responsables du ministère israélien de l’Intérieur, compétent pour les questions migratoires et de nationalité.

« Le problème, c’est que les tribunaux laissent le ministère de l’Intérieur décider qui peut être juif en Israël, en fonction de ses opinions politiques », a-t-il déclaré lors d’une interview accordée à la Jewish Telegraphic Agency.

On ignore à ce stade dans quelle mesure l’activisme de Franks a joué dans ses problèmes d’immigration – son dossier de demande de nationalité a été mystérieusement clos et il fait actuellement l’objet d’une obligation de quitter le territoire d’ici ce dimanche.

Le ministère de l’Intérieur n’a pas fait suite aux questions de la JTA. A l’occasion de ses interactions avec Franks, le ministère a fait part d’inquiétudes tenant à ses démêlés avec les forces de l’ordre comme à ses motivations pour vivre en Israël sans toutefois justifier sa décision de l’expulser à raison de ses activités politiques.

Pour autant, Franks et son avocat, ainsi qu’un certain nombre d’observateurs de la situation des militants de gauche et de leur gestion par le gouvernement israélien, estiment que les deux sont liés.

« Le ministère le prend-il pour cible parce qu’il est une sorte d’activiste ? Difficile à dire. Il est clair que la police veut que ces militants quittent le pays, et nous voyons là le résultat des menées de ce ministère », explique l’avocate israélienne de Franks, spécialiste des questions d’immigration, Ira Rozina.

« Cette personne a le droit de faire son alyah », a-t-elle déclaré. « Pour empêcher quelqu’un d’exercer ce droit fondamental, il faut un motif des plus importants. »

Leo Franks. (Crédit : LinkedIn)

Il peut sembler logique qu’un pays refuse la nationalité à une personne qui manifeste contre lui. Mais la loi israélienne du retour, qui garantit l’octroi de la nationalité à tout Juifs ainsi qu’à ses enfants et petits-enfants, définit très strictement les motifs en vertu desquels une demande peut être refusée. C’est la cas, par exemple, des demandeurs avec un casier judiciaire, mais le refus n’est pas automatique.

Des Juifs ont pu se voir refuser l’entrée en Israël en raison de leurs opinions politiques – comme le soutien au mouvement de boycott contre Israël – mais, de notoriété publique, personne ne s’est jamais vu refuser l’alyah pour ce motif.

« Même un casier judiciaire est insuffisant », poursuit Rozina. « La personne doit présenter un danger particulièrement sérieux pour le priver de ce droit. »

Un cas isolé ?

Rozina affirme n’avoir jamais entendu parler d’un tel cas, et même si elle se refuse à tirer des conclusions définitives sur l’engagement d’Israël à accueillir des Juifs en vertu de la Loi du retour, elle dit que la situation est « étonnante et alarmante ».

Une manifestation menée par les familles des otages détenus à Gaza exige que le gouvernement israélien accepte une proposition de cessez-le-feu et un accord en vue de l’échange otages contre prisonniers à Jérusalem, le 7 mai 2024. (Crédit : Saeed Qaq/NurPhoto via Getty Images, via la JTA)

Franks, qui a grandi à Londres et a vécu un temps en Israël avec sa famille lorsqu’il était enfant, affirme n’être lié à aucune organisation d’activistes en particulier.

Mais il a pris part à des actions anti-implantations que détestent les membres du gouvernement de droite d’Israël, en particulier les ministres liés au mouvement des implantations. Ces derniers estiment que les militants de gauche qui manifestent en Cisjordanie, qu’ils soient ou non juifs, sont responsables du regain de tensions entre Israéliens et Palestiniens : ils leur reprochent en outre de priver de ses fondements la souveraineté israélienne.

La colère suscitée par ces événements a éclaté lors d’une réunion houleuse à la Knesset, en mars dernier, au cours de laquelle les députés de droite ont accusé les militants de gauche de « violences aggravées » et d’anarchisme.

Selon le Times of Israel, la députée d’extrême droite Limor Son Har-Melech, membre du parti Otzma Yehudit, a déclaré à ce sujet : « Ils [les militants pro-palestiniens] sont agressifs envers les soldats de Tsahal et les résidents d’implantations : ils endommagent les biens d’autrui, portent atteinte au nom d’Israël partout dans le monde, qu’ils diabolisent et délégitimisent, ce qui nuit à notre image ».

Le président de la sous-commission sur la Cisjordanie de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, le député Zvi Sukkot, faisant signe au député Avoda Gilad Kariv de quitter l’audience sur les activités illégales présumées des activistes pro-palestiniens et des droits civils en Cisjordanie, le 12 mars 2024. (Crédit : Noam Moskowitz/Bureau du porte-parole de la Knesset)

On s’accorde à dire que le gouvernement a redoublé d’efforts, ces derniers mois, pour juguler les manifestations en Cisjordanie.

« Cette volonté d’expulser les militants n’est pas nouvelle », affirme Omri Metzer, directeur exécutif du Fonds pour les défenseurs des droits de l’homme, qui prodigue une aide juridique aux militants israéliens et étrangers qui soutiennent les Palestiniens en Cisjordanie.

« On ignore précisément quelles mesures sont prises pour les expulser, mais cela n’a pas d’importance car la réalité est que les militants des droits de l’homme mènent leur action sous la menace de l’expulsion », poursuit-il.

Le cas de Franks prend un sens politique nouveau, estime Metzer.

« Nous savions que les militants étrangers étaient persécutés, mais nous pensions que les militants juifs étaient un peu plus protégés », ajoute-t-il. « Au vu du cas de Franks, il semble que ce ne soit plus tout à fait vrai. »

Défier la loi

Les premiers démêlés de Franks avec la loi remontent à la nuit du 6 mai, lorsqu’il a participé à une manifestation menée par les familles des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre contre la décision d’Israël d’envahir la ville de Rafah à Gaza. A la fin de cette manifestation, il a été interpelé et accusé d’avoir agressé un policier.

L’accusation a été rapidement abandonnée car, selon Franks, une vidéo de la police qui lui a été montrée au poste de police a révélé qu’il n’avait agressé personne, mais qu’il avait en fait été victime de brutalités policières.

Franks n’est pas le premier manifestant à se plaindre de brutalités policières. Les échos faisant état d’un maintien de l’ordre mené de manière agressive et illégale, en particulier lors de manifestations, se sont multipliés depuis qu’Itamar Ben Gvir, homme politique d’extrême droite, a pris en 2022 la tête du ministère de la Sécurité intérieure, chargé des forces de l’ordre. Ben Gvir s’est toujours défendu de ces accusations, tout comme il défend les forces de l’ordre en disant : « Vous êtes nos héros : sous ma direction, vous aurez mon soutien inconditionnel. »

Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir sur les lieux d’une explosion meurtrière, qui serait liée à une querelle en cours entre les familles du crime, dans la ville de Ramle, au centre d’Israël, le 12 septembre 2024. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

L’incident suivant a eu lieu un mois plus tard environ, le 19 juin, dans les collines au sud d’Hébron, en Cisjordanie. Franks dit s’y être rendu pour escorter bénévolement les bergers palestiniens, dans le but de dissuader les résidents des implantations israéliennes de les attaquer. Selon les organisations de défense israéliennes et observateurs étrangers, ces attaques ont connu une recrudescence et entraîné des sanctions de la part de gouvernements un peu partout dans le monde. Sur place, les soldats israéliens ont demandé à voir le passeport de Franks : son refus d’obtempérer lui a valu d’être brièvement détenu, explique Franks.

Il n’a pas été inculpé, mais la police a malgré tout confisqué son passeport – une pratique qui, selon Metzer, est devenue monnaie courante.

« C’est une nouvelle pratique : on vous arrête et on vous confisque votre passeport jusqu’à ce que vous cédiez et achetiez un billet pour repartir », poursuit Metzer. « Ainsi, il n’y a pas de procédure officielle d’expulsion. »

Le 7 juillet, Franks, toujours privé de passeport, a été brièvement détenu dans les collines du sud d’Hébron. Cette fois, explique-t-il, on lui a reproché d’avoir filmé les violences des résidents d’implantations contre les Palestiniens.

La détention n’a rien d’exceptionnel pour les militants dans les collines du sud d’Hébron : c’est même de plus en plus fréquent depuis quelques années, explique Chase Carter, directeur du développement et de la communication du Centre pour la non-violence juive, qui travaille depuis longtemps dans la région. Mais il parle de la réunion à la Knesset de mars dernier comme d’un tournant.

« Depuis le printemps de cette année, il y a une augmentation de la répression à l’encontre des militants étrangers, y compris des Juifs. Les arrestations arbitraires sont beaucoup plus nombreuses », commente Carter.

La confiscation du passeport de Franks lui a posé un gros problème. En effet, il en avait besoin pour un rendez-vous, le 10 juillet, au ministère de l’Intérieur, étape obligatoire dans l’instruction de sa demande d’alyah. Malgré cela, la police a refusé de le lui rendre et, le jour du rendez-vous, Franks s’est rendu au tribunal pour demander à un juge de contraindre la police à le lui restituer, ce qu’il a obtenu le lendemain.

Interrogé par les services d’immigration

Franks a donc dû demander un nouveau rendez-vous avec les services d’immigration ainsi que la prolongation de son visa touristique, qui expirait quelques jours plus tard. Il s’est rendu en personne au ministère le 14 juillet pour faire ces demandes, mais on lui a dit de revenir le lendemain avec son avocat.

Le lendemain, il a été interrogé par un agent de l’immigration. Selon une transcription officielle de la conversation soumise au tribunal et à laquelle la JTA a eu accès, il s’est agi d’un bref échange au cours duquel l’officier a questionné Franks sur sa détention, les motifs pour lesquels il s’était rendu dans les collines du sud d’Hébron et ses projets.

Franks a expliqué y être allé par « intérêt profond envers ce pays », ajoutant vouloir faire son alyah et y vivre avec sa petite amie israélienne.

À la suite de cet interrogatoire, on lui a remis un document qui a bouleversé sa vie.
Il s’agit d’une décision officielle concernant le statut de sa demande, mais pas que cela. Le document parle d’un refus de coopérer lors de l’entretien avec le fonctionnaire des services d’immigration.

« Le demandeur n’a pas voulu répondre directement aux questions et a parlé de manière évasive tout en fournissant des réponses générales et vagues », peut-on lire dans le document, remis au tribunal et communiqué à la JTA. On y lit par ailleurs que le but de son séjour en Israël n’est pas clair, alors que, selon la transcription, il a dit être en Israël pour faire son alyah.

Toujours selon ce document, le ministère s’est penché sur ses démêlés avec la justice et a constaté que « son passeport lui a été confisqué par la police en raison de crimes commis contre les forces de l’ordre » israéliennes. En dépit de ces allégations, Franks n’a fait l’objet d’aucune condamnation ou mise en accusation criminelle.

Le ministère a par ailleurs écrit avoir vérifié auprès de l’Agence juive, qui l’a aidé pour formuler sa demande d’alyah, et appris que l’instruction de ladite demande avait été clôturée.

« Sauf à faire face à des mesures de la part des forces de l’ordre, le demandeur devra avoir quitté le pays dans les sept jours suivant cet avis », conclut le document.

« Comme si le monde s’effondrait »

Franks a été stupéfait par ce qu’il a lu.

« Je me suis figé : le sol s’est dérobé sous mes pieds », confie Franks. « J’avais l’impression que la pièce tournait, j’en avais le souffle coupé, c’est comme si je n’avais plus d’air. Ce qui m’a coupé le souffle, c’est la demande de quitter le pays dans la semaine. J’avais l’impression que mon monde s’effondrait. »

Profondément ébranlé, il croit malgré tout que la décision peut être annulée.

« J’étais debout à côté de mon avocate, je la regardais : j’avais l’espoir bien réel que les tribunaux me protègent de ce jugement insensé du ministère de l’Intérieur », poursuit-il.

Son avocate a fait deux choses. D’abord, elle a déposé une demande de référé conservatoire. Ensuite, elle a demandé à l’Agence juive d’expliquer pour quelle raison on avait dit à Franks que sa demande d’alyah ne pouvait aboutir.

Quelques jours plus tard, l’Agence juive répondait par un court courriel renfermant une nouvelle révélation sur la situation de Franks. C’est en effet le ministère de l’Intérieur qui a ordonné à l’Agence juive de surseoir à examiner sa demande, explique l’Agence juive dans le courriel, qui a été remis au tribunal et communiqué à la JTA. L’Agence juive dit qu’il est contraire à son règlement de commenter les cas individuels, et ce, pour des raisons de confidentialité.

Son avocate reproche au ministère d’avoir joué un « sale tour ».

« Il a demandé le renouvellement de son visa de façon à faire aboutir sa demande et on lui a dit que sa demande était clôturée, comme si ce n’était pas eux qui l’avaient fait », explique Rozina. « Le ministère a fait tout ce qu’il pouvait pour l’empêcher de faire son alyah. »

Ira Rozina. (Crédit : LinkedIn)

Franks estime que ses convictions sont compatibles avec l’identité israélienne qu’il espère faire sienne.

« J’ai rencontré des Palestiniens dont la vie a été détruite par l’État qui représente mon peuple, par l’État auquel je suis censé faire partie », explique-t-il. « J’ai aussi rencontré des Juifs qui sont israéliens, qui sont effondrés à cause de ce qui se passe et ce qui s’est passé, par notre faute. »

Dans le cadre de la procédure judiciaire intentée par Franks, qui lui a permis de rester au-delà de la date d’expiration de son visa, le ministère de l’Intérieur a défendu ses décisions, faisant valoir qu’il n’avait jamais reçu la demande d’alyah de Franks et qu’il n’avait donc pas qualité pour contester la décision lui ordonnant de quitter le territoire. Dans la décision rendue la semaine dernière, le juge accepte donc la réponse du ministère malgré le gel inexpliqué de sa demande.

La Cour a débouté Franks et l’a condamné à verser au ministère 3 000 shekels au titre des frais de justice. Franks n’a pas les moyens de faire appel de la décision devant un tribunal supérieur, explique-t-il. Il a jusqu’à ce dimanche pour quitter le territoire.

Inutile de recommencer ?

En réponse à une question de la JTA, le ministère a publié une courte déclaration expliquant que Franks pouvait tout à fait faire une demande d’alyah depuis son pays d’origine.

Ses avocats lui ont indiqué qu’on ne lui accorderait sans doute pas de visa touristique s’il tentait de revenir et qu’il devait s’attendre à des obstacles s’il faisait une nouvelle demande d’alyah depuis l’étranger.

Pour l’heure, il est trop découragé pour envisager une nouvelle demande et il a du mal à croire qu’il ne fera pas l’objet de nouvelles brimades. Au fil de cette épreuve, ce fin connaisseur du droit israélien a acquis une connaissance pratique du sujet de sa thèse – ce qui est une bien piètre consolation face au stress de l’expulsion qui lui a coûté une relation amoureuse de près de deux ans ainsi que son rêve de devenir Israélien, du moins pour l’heure.

« J’ai le cœur brisé », confie-t-il. « J’ai dû rompre avec ma compagne, avec laquelle je venais de m’installer et avec laquelle je me voyais passer le reste de ma vie, à cause du refus de ma demande d’alyah et de cette obligation de quitter le territoire. Hier, elle m’a rendu mes téfilines, que j’avais laissées chez elle. Un symbole on ne peut plus amer, c’est pour moi une vraie tragédie. »

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