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9 décembre 1942 : la rafle des Juifs de Tunis marque le début des persécutions nazies

Commémorée à quelques jours d'intervalle par le Mémorial de la Shoah à Paris puis par Yad Vashem à Jérusalem, la Rafle de Tunis, perpétrée le 9 décembre 1942 par les nazis, reste encore et toujours un souvenir vivace dans la mémoire de ses survivants

Colonne de Juifs conduits au travail obligatoire, en Tunisie, en décembre 1942. (Crédit : Bundesarchiv, Bild 183-J20382/CC-BY-SA 3.0/WikiCommons)
Colonne de Juifs conduits au travail obligatoire, en Tunisie, en décembre 1942. (Crédit : Bundesarchiv, Bild 183-J20382/CC-BY-SA 3.0/WikiCommons)

Une date funeste et des souvenirs douloureux qui ne se sont guère atténués avec le temps. Les cérémonies qui se sont déroulées récemment à Paris et à Jérusalem pour commémorer la Rafle de Tunis en sont les preuves, et un triste rappel du calvaire endurée par les victimes juives tunisiennes.

Comme l’a écrit Serge Klarsfeld, « ils ont connu l’angoisse, les rançons, les pillages, les souffrances du travail forcé et des dizaines de morts. Ils sont passés de près d’un projet d’anéantissement. Leur histoire ne doit pas tomber dans le champ de l’oubli. »

Anne Hidalgo, la Maire de Paris, ainsi que diverses personnalités militaires et religieuses auront donc répondu présent pour ce 74e anniversaire de la rafle des Juifs de Tunis par les S.S., le 9 décembre 1942.

A Yad Vashem, lors de la commémoration israélienne, Claude Sitbon, sociologue spécialiste du judaïsme tunisien, a tenu à rappeler que « tous les Juifs tunisiens sont des survivants ».

Et des Juifs d’Afrique du Nord morts au Champ d’Honneur, il y en a eu, de même que des déportés jamais revenus des camps d’extermination européens. Les victimes assassinées dans les camps de travail forcés des nazis montrent bien que les Juifs de Tunisie ont été considérés par les forces d’occupation comme des ennemis, et traités en tant que tels.

Aux abords de l’école de l’Alliance israélite universelle, les SS raflent plusieurs centaines de Juifs au hasard

A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, 90 000 Juifs vivent en Tunisie. Communauté paisible qui a su nouer des liens de coexistence solides avec la population arabe locale, elle voit son équilibre vaciller après la défaite de juin 1940.

L’établissement du régime de Vichy en France ne va pas épargner les Juifs de Tunisie. Les nouvelles mesures antisémites du maréchal Pétain les concernent aussi. Le 8 novembre 1942, l’Allemagne envahit le pays via la Libye. Une date qui augure une période noire pour la communauté, qui va pourtant faire face.

Victime de plusieurs rafles, elle n’oubliera pas celle de Tunis, le 9 décembre 1942. Une journée-clé qui marquera aussi le début de l’instauration des camps de travail sur le territoire tunisien. Près de 5 000 Juifs y seront internés, avant que ne commencent, à partir d’avril 1943, les premières déportations vers les camps d’extermination européens.

Mais pour l’heure, c’est le SS Walter Rauff qui est choisi par Hitler pour importer la solution finale en Tunisie. En l’occurrence, l’un des assassins les plus zélés du IIIe Reich, chargé notamment en 1941 du programme d’extermination des Juifs par les camions à gaz.

Le 8 décembre 1942, Rauff va donc passer à l’action. Sa cravache s’abat sur Maurice Borgel, le président de la communauté de Tunis, honorable septuagénaire, à qui il réclame « 3 000 hommes munis de pelles, de pioches et de vivres pour le lendemain ». Borgel proteste. Il sera sauvagement battu.

La grande synagogue de Tunis. (Crédit : Maherdz/Domaine public/WikiCommons)
La grande synagogue de Tunis. (Crédit : Maherdz/Domaine public/WikiCommons)

Le matin blême qui suit, celui du 9 décembre 1942, c’est la débandade. Ce matin-là, seuls 125 hommes se présentent à l’appel des dirigeants communautaires. Rauff se rend alors à la Grande synagogue de Tunis. Il y fait irruption pour arrêter tous ceux qui s’y trouvent, ainsi que tous les Juifs qui passent à proximité.

Les rafles continuent durant la journée, notamment aux abords de l’école de l’Alliance israélite universelle, où les SS raflent plusieurs centaines de Juifs au hasard. Pour calmer les autorités nazies, les dirigeants communautaires tentent, avec l’énergie du désespoir, de recruter des hommes aptes à partir pour les camps de travail. Des affiches appellent les Juifs de 17 à 50 ans à se porter volontaire. Une initiative qui calmera Rauff : Il ne donnera pas suite à ses menaces contre les volontaires et les raflés.

En revanche, il fera arrêter cent notables juifs pour servir d’otages et être fusillés en cas de désobéissance. Tout va très vite. Dans l’après-midi, un millier de Juifs se présentent. Répartis par groupe de cinquante, ils sont embarqués vers leurs lieux de destination : les camps. Entre le 14 décembre et le 17 janvier, au fur et à mesure qu’augmente le nombre de travailleurs, les otages sont libérés.

Colonne de Juifs sous les yeux de la population musulmane, en Tunisie, en décembre 1942. (Crédit : Bundesarchiv, Bild 183-J20384/CC-BY-SA 3.0/WikiCommons)
Colonne de Juifs sous les yeux de la population musulmane, en Tunisie, en décembre 1942. (Crédit : Bundesarchiv, Bild 183-J20384/CC-BY-SA 3.0/WikiCommons)

Les communautés de Sousse et de Sfax seront mises à contribution, même si leurs membres ne seront finalement pas acheminés vers les camps. L’école de l’Alliance Israélite de Tunis est le quartier général de cette mobilisation.

Entre le 9 décembre 1942 et le mois de janvier 1943, ce sont ainsi plus de 5 000 Juifs qui devront partir vers les camps de travaux forcés. Celui de Bizerte, port maritime situé à 60 km de Tunis, reste un lieu d’exactions et de grandes violences commises envers les Juifs détenus.

Sous les bombardements quotidiens des Alliés, des hommes affaiblis par des conditions d’internement inhumaines creusent des tranchées, comblent les trous des bombes, déchargent les camions de munitions. Sous les coups et la menace constante d’exécutions sommaires.

Dans cet enfer, Avril 1943 marque un tournant. Commencent les premières déportations vers les camps en Europe. La Tunisie n’enregistrera qu’un seul convoi partant de son territoire vers les camps d’Allemagne, d’Autriche ou de Pologne. La raison ? Le manque de navires et d’avions, mobilisés ailleurs pour des besoins militaires plus urgents… Il sera organisé par voie aérienne en avril 1943.

Victor ‘Young’ Perez, boxeur juif français né à Tunis. Il a été assassiné à Auschwitz-Birkenau. (Crédit : domaine public)
Victor ‘Young’ Perez, boxeur juif français né à Tunis. Il a été assassiné à Auschwitz-Birkenau. (Crédit : domaine public)

Dix-sept innocents seront déportés, dont les noms figurent sur la liste du monument aux morts du cimetière du Borgel à Tunis. Y figure le boxeur Young Perez, champion du monde poids plumes, arrêté en France, déporté et abattu au cours des marches de la mort le 22 janvier 1945.

Et aussi, dans la liste des déportés sans retour, citons Victor Cohen Hadria, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Tunis assassiné à Auschwitz et Édouard Benjamin Dana, pupille de la Nation et résistant, déporté à Auschwitz lui aussi.

Le sinistre processus enclenché par les nazis est arrêté net par l’avancée des Alliés, qui libéreront la Tunisie en mai 1943. Peu de temps après, les dispositions décrétées contre les Juifs sont abrogées. Le décret du 3 juin réintègre tous les fonctionnaires et toutes les limitations de l’activité économique sont levées par un décret du 5 août.

Les forces allemandes auront finalement échoué dans leurs tentatives d’extermination des Juifs sur le sol tunisien. A cela, plusieurs raisons.

D’abord, les tentatives pour pousser la population musulmane au pogrom se révéleront infructueuses, grâce à l’action de dignitaires, comme Aziz Djellouli ou le grand vizir M’hamed Chenik. Le résident général Esteva fera part aux Juifs de sa « compréhension » et de sa « sympathie », refusant toute empathie avec l’occupant.

Le Bey lui-même cachera des Juifs dans ses propriétés, tout comme le feront des membres de sa famille et des dignitaires

D’autres personnalités musulmanes, comme Mohamed Tlatli à Nabeul, Ali Sakkat à Zaghouan ou Khaled Abdul-Wahab à Mahdia aideront ou protégeront eux aussi des Juifs au péril de leur vie. Le Bey lui-même cachera des Juifs dans ses propriétés, tout comme le feront des membres de sa famille et des dignitaires, dont Chenik, Bahri Guiga et El Materi.

Quant à Habib Bourguiba, leader du mouvement nationaliste tunisien en exil, il refusera toute collaboration avec les forces de l’Axe.

Aujourd’hui, il faut savoir que la Tunisie ne reconnaît pas cette date anniversaire dans ses programmes scolaires. Les médias ont préféré adopter eux aussi, hélas, une attitude négationniste.

En Israël, les autorités ont tenu en revanche à reconnaître le préjudice subi par les Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, en leur permettant de recevoir une allocation annuelle.

Le 10 février 2008, la Cour du District de Tel-Aviv a tranché : « Les Juifs tunisiens qui vivaient sous le régime nazi méritent le même statut que leurs homologues européens et ont droit à des dédommagements en tant que victimes des persécutions nazies. »

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