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A Cannes, le visage invisible du pouvoir en Iran

Le tournage du film à Téhéran avait été entamé deux semaines avant le mouvement de contestation déclenché avec la mort à la mi-septembre de Mahsa Amini

De gauche à droite : L'actrice iranienne  Faezeh Rad, le réalisateur Ali Asgari, l'acteur  Majid Salehi et le réalisateur Alireza Khatami pendant une séance photo pour le film "Ayeh Haye Zamini" (Terrestrial Verses) au 76e festival de Cannes, dans le sud de la France, le 24 mai 2023. (Crédit  : Loic Venance/AFP)
De gauche à droite : L'actrice iranienne Faezeh Rad, le réalisateur Ali Asgari, l'acteur Majid Salehi et le réalisateur Alireza Khatami pendant une séance photo pour le film "Ayeh Haye Zamini" (Terrestrial Verses) au 76e festival de Cannes, dans le sud de la France, le 24 mai 2023. (Crédit : Loic Venance/AFP)

C’est Big Brother, version iranienne: à travers des scènes montrant des gens ordinaires aux prises avec un pouvoir sans visage, « Terrestrial verses » d’Ali Asgari et Alireza Khatami, présenté à Cannes, dissèque un système dans toute son absurdité.

« Tout le monde nous dit que nous sommes kafkaïens », affirme à l’AFP Ali Asgari au sujet de ce film sélectionné à « Un certain regard ».

Le tournage à Téhéran avait été entamé deux semaines avant le mouvement de contestation déclenché avec la mort à la mi-septembre de Mahsa Amini.

Après avoir filmé à huis clos trois tableaux, les deux réalisateurs avaient fait une pause au plus fort de la contestation.

« C’était très triste de voir la prophétie de ce film se réaliser dans la rue. Raconter ces histoires ne pouvait être plus opportun », a indiqué M. Khatami.

Sous forme de « vignettes » et sur un ton non dénué d’humour, les séquences montrent chaque citoyen en plan fixe, le spectateur n’entendant que la voix de leur interlocuteur.

« C’était important qu’on ne voit pas le visage; c’est comme si c’était une seule personne, un seul système », précise Ali Asgari.

Un homme venu enregistrer le nom de son nouveau-né, une mère et sa fillette dans un magasin de vêtements, une jeune femme passant un entretien d’embauche, une dame cherchant son chien perdu au commissariat de police.

Des scènes a priori banales mais qui très vite virent à l’absurde.

L’homme qui veut appeler son fils David se voit refuser ce prénom « car c’est européen et pas iranien ». « Pourquoi pas Daoud? », lui intime le fonctionnaire du registre civil.

La fille qui cherche à être embauchée est victime d’un harcèlement sexuel insidieux; un autre homme cherchant un emploi est longuement interrogé pour vérifier qu’il est pratiquant; et la dame qui cherche son chihuahua est sermonnée sur le fait que les « chiens sont impurs ». « Pourquoi n’adoptez-vous pas un canari? », dit le policier.

De gauche à droite : L’acteur iranien Farzin Mohaddes, le réalisateur Alireza Khatami et le réalisateur Ali Asgari pendant une séance photo pout le film « Ayeh Haye Zamini » (Terrestrial Verses) au 76e festival de Cannes, dans le sud de la France, le 24 mai 2023. (Crédit : Patricia DE MELO MOREIRA / AFP)

« Oeuvre philosophique »

Alireza Khatami ne veut pas parler de « portraits d’Iran », car « nous ne voulons pas prétendre représenter l’esprit de toute une nation… mais chaque Iranien se reconnaîtra dans l’une de ces scènes ». « C’est plus une oeuvre philosophique sur le fonctionnement d’un système qu’un manifeste politique », dit-il.

L’idée est née après l’interdiction d’un tournage qu’il voulait faire. « On se disait combien les conversations que nous avons eues avec les autorités étaient absurdes », se souvient-il.

Le dernier tableau montre d’ailleurs un réalisateur, qui veut faire un film sur sa mère battue par le père. Un responsable lui demande de « retirer » 12 pages du scénario. « Vous ne pouvez faire tuer votre père dans le film », le sermonne-t-il.

« Cette conversation est à 95% vraie. La plupart des dialogues sont basés sur des histoires vraies… et tout ce que vous voyez dans le film n’est pas nouveau, c’est juste raconté différemment », explique M. Khatami.

« J’ai six soeurs et certains personnages sont inspirés de choses qu’elles m’ont racontées », indique M. Asgari.

Un tableau en particulier fait écho à l’affaire Mahsa Amini, décédée trois jours après avoir été arrêtée par la police des moeurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict imposant aux femmes notamment le port du voile dans la République islamique.

Dans le film, une femme se voit menacée de confiscation de sa voiture car des images de caméra surveillance ont montré qu’elle avait enlevé brièvement son voile. « C’est un crime », lui assène son interlocuteur.

Deux actrices du film, Sadaf Asgari et Faezeh Rad, ont posé mercredi sans voile.

Malgré quelques manifestations sporadiques, la révolte a baissé en intensité. Mais le réalisateur qui vit désormais à Toronto reste optimiste. « Les jeunes gens dans les rues de Téhéran, ils savent ce qu’ils veulent. C’est la première fois de ma vie que j’ai de l’espoir ».

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