A Har Nof, l’introspection est de mise
Alors que l’ombre de l’attaque plane encore, les fidèles écartent l’idée que les tensions au mont du Temple soit la raison du massacre
Marissa Newman est la correspondante politique du Times of Israël

Alors que les prières du Kaddish s’élèvent, plusieurs petites filles ultra-orthodoxes vêtues de chemises bleues pâles s’arrêtent devant la synagogue. Elles comptent les trous laissés par les balles dans la fenêtre.
Alors qu’elles se tiennent devant la synagogue qui a été le témoin d’un bain de sang deux jours auparavant – où quatre fidèles juifs ont été tués en pleine prière, ainsi qu’un agent de police qui a tenté d’arrêté le carnage – une petite fille, qui ne doit pas avoir plus de 7 ans, se tourne vers son amie et lui murmure : « pigoua », attaque terroriste.
Lorsque les fidèles à la mine sombre commencent à sortir de la synagogue de la congrégation de Bnei Torah dans le quartier d’Har Nof à Jérusalem après les prières du jeudi matin, on ne les entend pas se plaindre du gouvernement, il n’y a pas de rage ou d’appels à la vengeance.
Les hommes – dont beaucoup ont plus de 50 ans – ne semblent pas perturbés par le fait que l’agent de sécurité posté à l’entrée depuis mercredi soit déjà parti. Ils parlent entre eux calmement.
Ils écartent les rumeurs d’une imminente guerre de religion ou les liens prétendus entre le massacre de mardi et les tensions au mont du Temple. Ils ne cherchent pas d’explications, notamment politiques, pour trouver une raison à cette attaque. Mais au contraire, ils exhortent, calmement, à fortifier les convictions religieuses.
Alors que l’attaque a poussé les experts laïcs à entrer dans un débat sur l’imminence d’une guerre religieuse cataclysmique à cause des tensions au mont du Temple, comme le président de l’AP, Mahmoud Abbas, l’a prédit, plus d’une dizaine de fidèles d’Har Nof affirment qu’au sein de la communauté, personne ne fait le lien entre l’incident et les tensions.
La connotation clairement religieuse du massacre – les fidèles tués vêtus de leur châle de prière et avec leurs phylactères, les livres saints recouverts de sang – n’ont pas échappé aux témoins de l’attaque. Ils ont comparé cette attaque à l’Holocauste ou aux pogroms de l’Europe de l’est. Dans son éloge funéraire, le rabbin de la synagogue attaquée, Mordechai Rubin, a évoqué une série de références bibliques et talmudiques. Il s’est référé au livre des Lamentations, à Abraham et au Rabbi Akiva. Et pourtant, l’écho religieux de cette attaque n’atteint pas les fidèles de la synagogue d’Har Nof.
Yosef Pasternak, un enseignant de la yeshiva d’à côté qui s’était réfugié dans la cuisine pendant l’attaque, indique qu’il a entendu dire que les politiciens commençaient à évoquer une guerre de religion, « mais [les fidèles] ne sont pas du tout du même avis ».
L’enseignant affable s’approche ensuite d’un élève et le réprimande car il n’a pas été prié avec les autres étudiants de la yeshiva. Il revient quelques minutes plus tard. Il prend avec légèreté la question de la sécurité. « Rien ne va changer », explique-t-il en haussant les épaules. « Nous devons devenir plus forts, prier plus ».
Ce sentiment est partagé par le peu de fidèles qui ont assisté au service. Il écarte avec conviction tout lien possible entre l’attaque et les tensions au mont du Temple et refuse de critiquer le gouvernement au sujet de la situation sécuritaire. Au lieu de cela, ils invoquent un projet divin.
Yitzhak Talansky décrit le sentiment général qui règne dans la synagogue. Il explique que les personnes sont « choqués et ont un sentiment que [quelque chose] irréel [vient de se passer] ». Il ajoute que « les personnes hésitent probablement à venir » pour expliquer le peu de personnes présentes au service du matin.
« En vérité, nous ne sommes pas ce genre de congrégation Les militants politiques et tout ça », précise-t-il pour expliquer l’absence d’indignation. « [On pense] plus que c’est Dieu qui a envoyé cela, et [nous réfléchissons] à ce que nous pouvons faire pour devenir de meilleurs personnes ».
Eli Kula, un orthodoxe moderne qui se rend en général à la synagogue d’en face, pense aussi qu’il n’y pas de lien entre l’attaque terrible et les troubles avec les Palestiniens. Kula, qui défend le droit des militants juifs d’accéder au Lieu Saint « s’ils sont des croyants et veulent juste prier », s’est rendu à la synagogue attaquée en signe de solidarité. « Nous sommes un seul peuple », explique-t-il.
Il décrit l’atmosphère de la synagogue comme étant « douloureuse, sombre et endeuillée » et précise-t-il « vous n’avez pas besoin d’être un génie pour ressentir [l’atmosphère lourde] ».
A l’intérieur de la synagogue, les murs, qui récemment étaient éclaboussés de sang, ont été nettoyés.
Il n’y avait pas plus de 20 personnes au service de ce matin. Yaakov Cohen, un adolescent de la yeshiva qui suit les cours dans le même immeuble, confirme que les personnes ont peur de venir.
« Ils ont été traumatisé », souligne-t-il et ajoute que les gens semblent « très stressés et tendus ».
Mais l’un des fidèles souligne qu’en général, peu de personnes ont participé à l’office de 6h30 car il y a un office qui débute à 7h, à l’étage au-dessus, plus populaire.
Que les terroristes aient choisi de s’en prendre à un si petit minian qui est plus « comme une famille » qu’au plus grand rassemblement est « en partie un miracle », souligne Yehoshua Liff, un habitant du quartier et un membre qui se rend régulièrement au service de 6h30.
En dehors de la synagogue, deux femmes sépharades du quartier qui souhaitaient être identifiées comme Yael et Ruti tournent en dérision l’idée de renforcer la sécurité.
« On sait que ce n’est pas cela [le problème]. Ce n’est pas l’agent de sécurité. Si Dieu ne protège pas la ville, il n’y aura aucune protection », soutient Yael.
Les deux femmes, qui connaissaient de vue les 4 hommes tués, frémissent en repensant à l’attaque, et saluent le courage du policier druze, Zidan Saif, qui a été héroïque. « C’est un jour que je n’oublierai jamais », affirme Yael, qui a regardé l’attaque de son porche.
Comme les hommes, elles sont persuadées que l’attaque n’a aucun lien avec le mont du Temple. En revanche, elles maintiennent que la mort du chauffeur de bus palestinien qui a eu lieu dimanche soir – contrairement à ce que pensaient les Palestiniens, un suicide selon les conclusions de l’autopsie – a conduit au massacre.
« Nous avons besoin d’examiner nos action et réfléchir aux raisons pour lesquelles cette tragédie nous est arrivée », soutient l’une d’elles. La conversation prend alors un tournant mondain. Elles s’interrogent par exemple sur le fait de savoir si le cours de gym a été annulé à cause de l’attaque. Mais les deux femmes sont catégoriques. Les changements de routine seraient un signe de faiblesse.
« Nous sommes ici pour toujours, c’est notre maison, on ne nous en dissuadera pas, on ne bougera pas », affirme avec convition Yael.
Sur la rue Agassi, au cœur d’Har Nof, qui abrite maintenant « 4 veuves et 24 orphelins », les panneaux dans les rues – et les personnes – exhortent les gens à faire un « inventaire spirituel ». Une affiche à l’extérieur de la synagogue indique qu’il y aura un office spécial à 13h avec une liturgie de Yom Kippour. Une autre affiche annonce un service similaire au mur occidental à 15h.
Une affiche avec la photo d’un châle ensanglanté demande : « Mettez un terme à la haine ! ».
Et à l’extérieur du domicile de la famille Goldberg, endeuillée, une petite affiche demande aux journalistes de respecter l’intimité de la famille. Cette affiche souligne que « la famille Goldberg accepte la volonté divine avec amour ».