A Jeddah, où Israël est encore tabou, la normalisation est très loin
Après un vol direct depuis Tel Aviv pour couvrir l'étape saoudienne de la visite de Biden, je suis allé rue de la Palestine et j'ai brièvement discuté avec certains résidents
- Des visiteurs regardent la célèbre fontaine de Jeddah à Jeddah, en Arabie saoudite, le 15 janvier 2021. (Crédit : AP Photo/Amr Nabil)
- Le panneau signalant la rue de la Palestine avec la fontaine du roi Fahd en arrière-plan à Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- Une affiche pour les "Minions" dans un centre commercial de Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- La réception de l'hôtel Intercontinental Jeddah Intercontinental de Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- Le service de presse de la Maison Blanche se prépare à embarquer à bord d'un avion d'Egypt Air à destination de Jeddah, à l'aéroport Ben Gurion de Tel Aviv, le 15 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- Des fidèles se lavent les pieds à l'entrée d'une mosquée du quartier Al Balad de Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- Une journaliste pose pour un selfie à l'issue du Sommet de sécurité et de développement à Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : AP Photo/Amr Nabil)
- La vue depuis la rue de Palestine à Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- Une rue du quartier Al Balad de Jeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)
- Sur cette photo diffusée par l'Agence de presse saoudienne (SPA), le prince héritier Mohammed ben Salman, à droite, saluant le président Joe Biden, par un check après son arrivée à Jeddah, en Arabie saoudite, le 15 juillet 2022. (Crédit : Saudi Press Agency via AP)
JEDDAH, Arabie saoudite – Il est bien plus de 23 heures en cette soirée de vendredi. Je me trouve dans la ville côtière de Jeddah, en Arabie saoudite, et une population de tous les âges gravite encore, nombreuse, sur les trottoirs de la rue de la Palestine.
Certains se dirigent vers l’Ouest, vers la promenade, en bord de mer, sous une chaleur étouffante, pour profiter de la brise à peine fraîche qui arrive de la Mer rouge.
Des familles et d’autres prennent des photos devant la fontaine du Roi Fahd, un édifice qui ressemble à une bouche d’incendie et qui crache de l’eau de manière continue à 260 mètres de hauteur.
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D’autres prennent la direction opposée, qui mène aux nombreux restaurants et enseignes de chaînes américaines de fast-food installés sur ce boulevard, encore en pleine effervescence à cette heure tardive.
Malgré le nom de la rue et la présence, à Jeddah, du président américain Joe Biden – qui est arrivé directement de Tel Aviv il y a quelques heures après une rencontre avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas – la question palestinienne ne semble guère beaucoup occuper les pensées de tous ces Saoudiens sortis pour profiter de la soirée.
Pour un journaliste chargé de donner corps aux spasmes d’une activité diplomatique que les Israéliens ont considéré – avec beaucoup d’enthousiasme – comme le signe annonciateur d’une normalisation avec l’Arabie saoudite, le spectacle auquel je suis en train d’assister me semble être une illustration frappante de la manière dont le royaume appréhende la problématique palestinienne. Il place ainsi officiellement la question dans ses priorités et au sommet de son ordre du jour, il soutient farouchement la cause en paroles à toute occasion, mais il ne se montre pas, dans ses actes, outre-mesure inquiet face au conflit qui continue à bouillir à des milliers de kilomètres au nord-ouest de son territoire.

Concernant une éventuelle normalisation avec Israël, l’évocation seule de cette idée entraîne un accueil plus frais encore que la climatisation qui souffle dans le centre commercial Haïfaa, rafraîchissant les corps écrasés par la chaleur à l’extérieur, dans la rue de Palestine.
Le centre commercial, l’un de ces complexes géants caractéristiques des pays du Golfe, est dernier cri et exceptionnellement propre – ce qui en fait un lieu de rassemblement immanquable pour les locaux de tous les âges dans un pays conservateur où les bars et où les boîtes de nuit sont interdits. Dans un cinéma du centre commercial, des dizaines de jeunes quittent la salle où ils viennent de voir « Minions : Il était une fois Gru », discutant avec excitation.
« Un Juif est un Juif, que ce soit en Israël ou à Moscou », dit Sultan, vendeur de montres à un stand, avec fermeté alors que la voix de Beyoncé chantant « Halo » se fait entendre en arrière-plan dans le centre commercial étincelant.
Les généralisations que j’entends ne sont pas entièrement différentes de celles que j’ai déjà pu entendre, dans le passé, lorsque mon métier de journaliste m’amenait à couvrir le dossier des implantations de Cisjordanie.
Ayant pris connaissance de mon travail de journaliste pour un média israélien – j’ai été l’un des trois journalistes israéliens à rejoindre le service de presse de la Maison Blanche pour l’étape saoudienne du déplacement de Biden au Moyen-Orient – le commerçant n’a aucun problème à se lancer dans une diatribe sur la manière dont les Juifs, ces « ennemis de l’Islam », avaient voulu tuer le prophète Mahomet.

« Et il n’y a aucune différence entre Israël et les Juifs qui se trouvent ailleurs », affirme-t-il, disant que ces derniers « financent l’oppression des Palestiniens » depuis l’étranger et qu’il est donc impossible de leur faire confiance.
Sultan, en apprenant mon nom, reconnaît n’avoir jamais rencontré un Juif auparavant. « Le Coran dit que c’est une bonne chose que nous soyons tous différents », dit-il dans une volte-face impressionnante.

Les experts estiment qu’il faudra une volte-face similaire si la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite – un processus qui, selon Ryad, n’est pas en cours – devait obliger les Saoudiens, à terme, à réserver un accueil chaleureux aux Israéliens et aux Juifs, à l’issue de décennies d’hostilité et de diabolisation.
« Pendant des décennies, les dirigeants arabes, les manuels scolaires et la presse ont nourri des visions négatives d’Israël et dans de nombreux cas, des Juifs – et il n’y a eu que peu d’occasions de contrer ce narratif », dit Carmiel Arbit, chercheuse non-résidente à l’Atlantic Council.
« Mais il y a une problématique similaire en Israël : de nombreuses études ont montré les préjugés négatifs des Israéliens sur les Arabes et sur les musulmans », ajoute-t-elle.

A un autre stand du centre commercial, une commerçante, portant le niqab, asperge résolument mon poignet droit de ce que je suppose être le parfum le plus fort de Jeddah avant l’ouverture de sa boutique.
Elle a connaissance, comme la majorité des Saoudiens, de la présence de Biden dans la ville à l’occasion d’un sommet régional et elle exprime l’espoir que les relations puissent s’améliorer avec les États-Unis.
Avec Israël, c’est une autre histoire – elle insiste sur le fait que les Saoudiens s’opposent à la paix avec l’État juif en raison du traitement par Israël des Palestiniens.

Dans la nuit de Jeddah, alors que je suis assis dans un Uber, mon chauffeur, Ahmed, exprime un sentiment similaire à celui de nombreux autres que j’ai pu interroger dans le centre commercial : il dit ne pas avoir finalement d’avis sur la question et il affirme faire confiance au gouvernement saoudien qui, ajoute-t-il, saura agir de manière appropriée.
Je n’avais pas prévu de poser des questions à Ahmed, pour éviter ce cliché de l’interview du chauffeur de taxi. Mais en apprenant ce qui m’a amené à Jeddah, il est désireux de discuter de la question et il le fait dans un anglais maîtrisé.
Ahmed est au courant de la question du transfert des îles de la Mer Rouge qui sera évoqué lors du sommet GCC+3, ainsi que des initiatives acceptées par l’Arabie saoudite en faveur de la normalisation avec Israël afin de garantir sa prise de contrôle de Tiran et de Sanafir.
Ahmed reconnaît que la majorité des Saoudiens s’opposent à Israël mais il critique ceux qui le font pour des raisons religieuses – « une minorité », lâche-t-il.
« Si on nourrit de la haine à l’encontre d’Israël à cause des Juifs, alors on haïra tous ceux qui sont différents », insiste-t-il.

Il est difficile de nier les changements qui surviennent dans la région – après avoir emprunté le premier vol direct reliant Tel Aviv à Jeddah, vendredi, aux côtés de dizaines d’autres journalistes américains, et quelques heures seulement après l’annonce par l’Arabie saoudite de l’ouverture de son espace aérien à tous les transporteurs civils.
Une décision qui pourrait bien avoir été, comme l’ont affirmé Biden et le Premier ministre Yair Lapid, le premier pas vers la normalisation des relations entre l’État juif et le puissant royaume du Golfe. Mais Ryad continue à maintenir que les liens avec Israël ne prendront jamais l’ascendant sur la cause palestinienne, même si des récents sondages ont indiqué que le soutien apporté à de potentiels contacts avec les Israéliens est au même niveau similaire que celui révélé par les enquêtes d’opinion aux Émirats arabes unis et à Bahreïn.

Alors que je déambule rue de la Palestine, je repense à un film saoudien de 2012, « Wadjda », qui avait été au programme de l’un de mes cours d’arabe, à l’université. La réalisatrice Haifaa al-Mansour y critiquait de manière subtile le royaume conservateur pour son échec à octroyer des droits aux femmes et aux filles, tout en ouvrant une fenêtre sur les attitudes changeantes des Saoudiens à l’égard des Palestiniens.
Dans le film, une fillette de dix ans, Wadjda, rêve d’avoir enfin une bicyclette pour pouvoir faire la course contre son ami Abdullah et le vaincre. Alors qu’elle n’entretient aucun lien réel avec la religion, Wajda s’inscrit à un concours de récitation du Coran, espérant pouvoir utiliser son prix pour acheter un vélo. Mais après avoir gagné, sa professeure décide qu’au lieu d’utiliser le prix pour acheter un deux roues – faire de la bicyclette était le signe d’un manque de pudeur pour les femmes dans l’Arabie saoudite des années 2000 – elle va le donner à la cause palestinienne.

A son retour chez elle, la mère de Wajda lui demande où est l’argent du prix.
« En Palestine », répond la fillette avec colère, n’affichant que peu de préoccupation pour la cause qui l’a privée d’un vélo.
Concernant Israël, Arbit, de l’Atlantic Council, note que le renforcement des opportunités d’interactions entre les Israéliens et les Arabes du Golfe, une nouvelle dynamique survenue dans le sillage de la signature des Accords d’Abraham pourra aider, à terme, à vaincre certains préjugés à l’égard de l’État juif.
« Toutes les parties concernées ont un long chemin à parcourir pour éradiquer la haine », dit-elle. « Mais multiplier les opportunités de rencontrer l’autre et soutenir des initiatives d’éducation et de sensibilisation seront déterminants pour la promotion de la tolérance entre les pays de la région ».
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