Accusant son dirigeant de copinage, le ministère demande la dissolution du KKL
Le ministère de la Justice parle de mauvaise gestion du KKL, qui pèse plusieurs milliards d'euros, et les bureaux à l'étranger se disent déçus par la maison mère israélienne
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
D’après la première version d’un rapport cinglant réalisé par un enquêteur commissionné par le ministère de la Justice, la direction du Fonds national juif serait coupable de comportements répréhensibles. Le document recommande d’envisager la dissolution de l’organisation vieille de 117 ans.
Ces accusations visant le KKL, connu en hébreu sous le nom de Keren Kayemeth LeIsrael, interviennent dans un contexte de pressions croissantes émanant de succursales à l’étranger, les dons diminuant et les coûts augmentant. Ces allégations remettent en cause l’avenir de ce mastodonte pesant plusieurs milliards d’euros, célèbre pour ses boîtes bleues très répandues, autrefois synonymes, pour la diaspora, de soutien à Israël.
Le document du ministère de la Justice affirme, entre autres, que Daniel Atar – chef de l’organisation israélienne depuis 2015 – est responsable de dizaines de nominations d’amis politiques et autres sympathisants, ainsi que d’accords de parrainage qui, d’après certaines sources, seraient contraires aux règles du KKL, et fait preuve d’une mauvaise gestion.
Selon le journal économique Calcalist, qui a publié l’article le mois dernier, le comptable enquêteur Izik Slovodiansky, qui a agi au nom du Registre des fiducies, recommande aux autorités de considérer la possibilité de séparer l’organisation en deux. Le KKL, dans un communiqué publié dimanche soir, a qualifié la proposition de délirante.
Le Fonds, créé en 1901 pour acheter et développer des terres pour les implantations juives et célèbre pour les centaines de millions d’arbres qu’il a plantés dans tout Israël, est le détenteur pour le compte du peuple juif de quelque 13 % des terres du pays, dont la gestion incombe à l’Autorité des Terres d’Israël.
Sorte d’ONG officiellement enregistrée en tant qu’entreprise au service de la population, elle intervient dans les domaines forestier, de l’eau, de l’éducation, du développement communautaire, du tourisme, de la recherche et du développement.
On ne sait pas encore exactement quelle autorité juridique pourrait démanteler le Fonds.
La direction du JNF Israël, qui compte 37 membres nommés, est composée de personnes qui reflètent la répartition du pouvoir au sein de l’exécutif de l’Organisation sioniste mondiale, son organe principal. Le règlement permet au président du Fonds de procéder à quatre nominations de son choix.
Cependant, d’après ces allégations, Atar, un vétéran du parti travailliste qui avait promis de faire le ménage au sein de l’organisation, a réalisé certaines nominations pour accorder des faveurs à un grand nombre de personnes. Parmi les bénéficiaires présumés – certains jouissant de salaires élevés et de voitures de fonction – figurent des compagnons du parti travailliste, des amis de son unité militaire et des fonctionnaires du Conseil régional de Gilboa, dans le nord d’Israël, qu’il présidait auparavant.
Il y a environ un an et demi, le Registre des fiducies (Rasham HaHekdeshot) du Ministère de la Justice nommait Slovodiansky – un ancien enquêteur principal du département pénal de l’Autorité fiscale israélienne – pour mener une enquête spéciale sur des allégations de copinage et d’irrégularités financières.
Plusieurs membres du KKL contactés par le Times of Israel ont refusé de divulguer les détails du projet de rapport, affirmant qu’ils ne voulaient pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » et éclipser tout le bon travail réalisé par l’organisation.
Mais l’un d’eux a confirmé les allégations selon lesquelles Atar aurait procédé à des dizaines de nominations d’amis.
Dans un communiqué officiel, le Fonds a déclaré que toutes les nominations professionnelles ont été faites en fonction des compétences personnelles de chacun.
Il a fustigé le projet de rapport, le qualifiant de « biaisé » et prétendant que les conclusions avaient été rédigées à l’avance, « avec l’aide des parties intéressées qui souhaitent ‘régler leurs comptes’ avec le KKL ».
La proposition de démantèlement du Fonds est « délirante et à la limite de la folie », a déclaré l’organisation.
Celle-ci a exigé que le rapport ne soit pas divulgué tant que ses avocats n’auraient pas été en mesure d’y répondre comme il se doit.
« Le KKL a l’intention de préparer une réponse détaillée et structurée au projet de rapport et nous pensons qu’il [le rapport] va changer totalement. Pour cette raison, le KKL a exigé de voir les éléments sur lesquels se fondait le projet », indique le communiqué.
La semaine dernière, l’organisation a adressé une requête administrative pour obtenir ces éléments.
Atar, quant à lui, a apparemment cherché à s’assurer que le projet de rapport soit vu par le moins de personnes possible.
Le Registre des fiducies aurait accepté la demande d’Atar de ne lui remettre qu’une seule copie papier du projet de rapport d’environ 70 pages, à condition qu’il le distribue aux membres de la direction et du comité de vérification externe, lequel est dirigé par le juge à la retraite Uri Shtruzman.
Atar a d’abord gardé le rapport pour lui. Lorsque son existence a été rendue publique, il a permis à la direction de le consulter, mais sans le sortir du bâtiment, avant une réunion le 31 décembre, au cours de laquelle les avocats et responsables du KKL en avaient fait une présentation orale uniquement.
Les membres du comité de vérification externe ont été invités à en voir une copie dans les bureaux du cabinet d’avocats Herzog, Fox et Neeman du Fonds.
Un porte-parole du ministère de la Justice a déclaré dimanche à la Dixième chaîne que l’enquête avait été menée de manière professionnelle, que le ministère n’avait pas encore donné son aval au rapport et que la ministre de la Justice Ayelet Shaked n’y avait pas été directement mêlée.
Promesse de faire le ménage
Avant que le ministère de la Justice n’ordonne son audit, Atar s’était engagé à faire le ménage dans l’organisation.
Cela faisait déjà suite à un rapport de janvier 2017 du contrôleur de l’État Yosef Shapira, qui avait qualifié le KKL Israël de pléthorique et peu transparent, sous sa direction précédente.
Dans son rapport cinglant, Shapira indiquait que les fonds avaient peut-être été mal gérés et qu’il y avait des conflits d’intérêts.
Sous la direction d’Efi Stenzler du parti travailliste et du coprésident Eli Aflalo (du parti Kadima désormais dissous), l’organisation a distribué environ 1 milliard de shekels (plus de 250 millions d’euros) à quelque 500 projets entre 2012 et 2014 sans aucun critère, transparence ou documentation, selon le contrôleur d’Etat.
Atar a répondu au contrôleur de l’État en mai 2017 par un « Rapport sur les corrections d’irrégularités« , dans lequel il expliquait qu’il avait hérité « d’une organisation qui fonctionnait sans méthodes, procédures ni règlements administratifs appropriés, ainsi que sans critères d’allocation des ressources. Il s’agissait d’une organisation dotée d’un personnel professionnel réduit, d’un petit nombre de contrôleurs et manquant de connaissances administratives ; une organisation fonctionnant sans transparence et sans séparation claire entre les activités de ses représentants politiques élus et celles de son échelon professionnel. »
« Ce qui s’est passé avant ne sera jamais reproduit », avait promis Atar à l’époque.
Baisse de la collecte de fonds, hausse des coûts
L’enquête et le projet de rapport du ministère de la Justice arrivent à un moment où les dons destinés au KKL Israël sont en baisse et ses coûts de collecte de fonds, en hausse.
Le rapport financier 2017 de l’organisation (en hébreu) – le dernier public – montre que les dons ont atteint les 83,2 millions de shekels (20,8 millions d’euros) contre 139 millions (34,5 millions d’euros) l’année précédente.
Toutefois, les coûts de collecte de fonds ont presque doublé, passant de 44,5 millions de shekels (11 millions d’euros) en 2016 à 74,2 millions de shekels (18,5 millions de d’euros) en 2017.
Les demandes d’entretien avec un représentant du KKL formulée par le Times of Israel par voie officielle pour évoquer ces chiffres ont été rejetées.
L’organisation a préféré publier un communiqué qui ne traitait pas directement des coûts plus élevés de la collecte de fonds, mais d’une augmentation des coûts en général, qu’elle attribuait à l’élargissement de sa portée au-delà d’Israël pour « accroître la sécurité des communautés juives à l’étranger et renforcer leurs liens avec l’État d’Israël ».
« La baisse des revenus et l’augmentation des dépenses sont le résultat des immenses efforts déployés par les représentants du KKL-JNF dans le monde entier pour encourager l’immigration, l’éducation, la défense d’Israël, la lutte contre le BDS », peut-on lire dans ce communiqué.
Un haut responsable du KKL, qui a demandé l’anonymat, a déclaré au Times of Israel que la baisse des dons reflétait en fait un pas positif vers une plus grande transparence.
Depuis de nombreuses années, le KKL a permis à des donateurs étrangers de transférer des fonds par son intermédiaire à des projets autres que ceux du KKL en Israël, et ces sommes ont été incluses dans les rapports publiés au fur et à mesure que des fonds étaient collectés.
En 2016, avec l’accord d’Atar, le comité chargé de ces transferts a été dissous par crainte que certaines personnes ne l’utilisent pour blanchir de l’argent.
Une fois ce robinet fermé, le montant global des dons a considérablement diminué.
Tensions à l’étranger et dans le pays
Cependant, même les chiffres en baisse des collectes de fonds sont quelque peu trompeurs, le KKL Israël prétendant qu’une partie des sommes collectées par ses bureaux étrangers n’a jamais figuré sur les comptes bancaires du siège israélien.
Depuis un certain temps, des détracteurs reprochent au KKL en Israël d’être trop bureaucratique et de ne pas comprendre que les donateurs d’aujourd’hui comptent davantage avoir leur mot à dire sur la façon dont leur argent est dépensé.
Ce genre de revendications ont poussé deux bureaux à l’étranger – aux États-Unis et au Royaume-Uni – à se séparer effectivement de leur organisation mère à Jérusalem, à créer leurs propres bureaux dans la capitale israélienne et à soutenir directement des projets gérés par le KKL, ainsi que par d’autres ONG, comme bon leur semble.
L’organisation américaine, connue sous le nom de Jewish National Fund (Keren Kayemeth LeIsrael) Inc. a transféré 33,4 millions de dollars à Israël en 2017, sur un revenu net total de 116 millions de dollars.
Mais seulement 6,3 millions de dollars environ ont été dépensés pour des initiatives que le KKL Israël finançait également, et pas un sou n’est passé par les caisses du KKL Israël – tout a été transféré directement aux projets eux-mêmes.
Ces 6,3 millions de dollars font partie des 12,6 millions de dollars recueillis par le KKL Israël en Amérique du Nord, le reste provenant du KKL Canada.
Curieusement, et semble-t-il, en raison de méthodes comptables différentes, le KKL Canada – qui continue de verser les fonds envoyés en Israël via le KKL à Jérusalem – a déclaré n’avoir envoyé que 4,25 millions de dollars américains en 2017.
Les antennes canadienne et australienne se révèlent en désaccord avec le bureau de Jérusalem et sont en pourparlers avec le KKL Israël pour redéfinir leurs relations.
Et les bureaux à l’étranger ne sont pas les seuls mécontents.
Les actifs du KKL Israël s’élevaient à 12,3 milliards de shekels (3 milliards d’euros) en 2017, et son bénéfice net pour cette année-là était de 509 millions de shekels (127 millions de d’euros).
Le gouvernement israélien veut qu’une partie de cette richesse profitent à ses propres projets prioritaires nationaux de façon encadrée.
Conformément à un accord conclu en novembre 2015, le KKL a transféré un peu plus de 2 milliards de shekels (500 millions d’euros) à l’État en 2016 et 2017.
Mais les relations se sont détériorées après qu’Atar a promis oralement 2 milliards de shekels supplémentaires au Trésor public, avant que le conseil d’administration ne le reprenne et lui demande de retirer son offre.
Ceci avait entraîné l’adoption l’année dernière d’une loi obligeant le KKL à transférer 65 % de ses recettes au ministère des Finances chaque année, ou à commencer à payer 26 % d’impôt sur ses bénéfices.
Une source au sein de l’organisation, qui a qualifié la loi de « scandaleuse », a déclaré que le KKL et des représentants du gouvernement allaient se réunir pour discuter des impôts, du statut juridique de l’organisation, et d’autres questions.
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