Alfred Moses découvre pour la première fois le Codex Sassoon qu’il a acheté
Entouré des siens, l'ancien ambassadeur américain a découvert la bible vieille de 1 200 ans et acquise pour plus de 30 millions de dollars, qu'il a offerte à un musée de Tel Aviv
JTA — En ce mercredi matin, dans un immeuble de bureau de Manhattan, Alfred Moses, âgé de 93 ans, est assis dans un petit fauteuil blanc, devant une table ronde en bois. Il tourne délicatement les pages du livre âgé de plus d’un millénaire qui est ouvert devant lui.
Il y a deux semaines, Moses a payé un prix sans précédent pour le livre, soit plus de 38 millions de dollars au total. Mais c’est la première fois qu’il l’a enfin entre les mains.
Ce livre, c’est le Codex Sassoon, la copie la plus ancienne de la Bible hébraïque – elle est presque complète. Moses en a fait l’acquisition au nom du musée du peuple juif ANU à Tel Aviv. Et aujourd’hui, dans les bureaux de Sotheby’s, situés dans l’Upper East Side office, Sharon Mintz, spécialiste de la Judaïca au sein de la maison de ventes aux enchères, offre au nonagénaire et à ses proches une leçon d’histoire sur le précieux ouvrage.
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Mintz, les mains propres, sans gants, tourne à son tour les pages du livre, faisant remarquer les arrêts inscrits entre les lignes de texte et l’épaisseur des pages de parchemin – quoique légèrement plus fines à certains endroits où les scribes avaient griffé les notes inscrites par leurs prédécesseurs. Avant que Moses n’achète le livre lors d’une vente très attendue chez Sotheby’s, le 17 mai, le Codex Sassoon avait eu plusieurs propriétaires – le dernier était Jacqui Safra, membre de la grande famille du milieu de la banque. Et avant lui, dans les années 1920, l’ouvrage avait appartenu au collectionneur de livres juifs David Solomon Sassoon.
Il sera dorénavant accueilli au musée de l’ANU, qui l’avait exposé au début de l’année.
« Ce livre est une source d’inspiration ; voir un manuscrit vieux de 1 200 ans dans un parfait état – à tel point qu’on peut encore le lire aujourd’hui – c’est totalement stupéfiant », s’émerveille Moses. « Il y a les voyelles, les expressions figuratives… C’est remarquable. C’est un ouvrage qui est préservé depuis 1 200 ans. Et c’est nous qui en sommes les bénéficiaires ».
Moses, avocat de carrière, a été ambassadeur américain en Roumanie sous l’administration Clinton et il a été président de l’AJC (American Jewish Committee). Il a regardé avec anxiété la vente aux enchères sur internet, depuis son domicile de Washington, inquiet à l’idée qu’un autre enchérisseur possible, comme le musée de la Bible – également situé à Washington – ne vienne le concurrencer. Les représentants des Amis américains de l’ONU, une organisation qui soutient le musée, craignaient que l’ouvrage ne termine dans une collection privée et que le public ne soit plus en mesure d’y accéder pendant encore une génération.
« Je pensais que mes chances étaient d’à peu près 50-50 », déclare Moses. « Mais j’étais prêt à l’acheter si je pouvais me le permettre ».
Il devait verser 32,5 millions de dollars – une somme placée comme « enchère irrévocable » auprès de Sotheby’s avant la vente, selon Bloomberg. Il a fini par monter à 33,5 millions de dollars après la proposition d’un autre enchérisseur, à 33 millions. Les frais élèvent la facture totale à 38,1 millions de dollars.
Il a pris la décision d’offrir le livre à l’ANU – une institution qu’il soutient depuis des années, notamment en tant que président de son conseil d’administration honoraire – en partie parce qu’il considère que le musée s’est mis au service des Juifs du monde entier. Il dit avoir le sentiment que d’autres institutions prestigieuses accueillant des artéfacts historiques dans le pays, comme le Musée d’Israël à Jérusalem, s’adressent davantage aux Israéliens plus spécifiquement.
« C’est le musée du peuple juif et je voulais que le Codex soit mis à disposition du peuple Juif », explique-t-il. « Le musée d’Israël est merveilleux. Mais c’est le musée d’Israël. Je voulais que le Codex soit mis à disposition du peuple juif ».
Moses fait ce don considérable à une période marquée par les tensions, alors qu’un mouvement de protestation balayant tout le pays fait rage pour s’opposer aux tentatives du gouvernement d’affaiblir le système judiciaire israélien et alors que les frictions persistent entre l’administration Biden et le gouvernement de droite, d’extrême-droite et religieux de Netanyahu. Mais Moses considère que ces crispations sont temporaires.
« Je pense qu’il y a un peu d’inquiétude chez les Juifs américains en ce qui concerne ce qui est en train d’arriver au niveau politique en Israël, mais c’est transitoire. D’ici 20 ans, ça appartiendra au passé », estime-t-il. « On a une vision de l’Histoire à plus long-terme. Israël est le foyer du peuple juif. Qui les Israéliens élisent au gouvernement, le Premier ministre, c’est une décision israélienne ».
Mais Moses réfléchit, disant que le livre pourrait bien quitter Israël malgré tout. Pendant sa leçon d’histoire, Mintz explique qu’une partie du mystère entourant la provenance du livre réside dans sa disparition de la ville médiévale de Makisin – la ville contemporaine de Markada, en Syrie – en l’an 1400 à peu près. Selon une inscription figurant sur la dernière page du livre, il avait été enlevé de la synagogue pendant une attaque menée contre la ville et il avait été confié aux soins de Salama ibn Abi al-Fakhr, qui avait eu pour instruction de le rendre dès que Makisin serait reconstruite.
C’est à ce moment-là de la leçon que Moses se laisse aller à plaisanter : Si une communauté juive devait se réimplanter à Markada, serait-il dans l’obligation de rendre l’ouvrage ?
Une perspective qui n’est guère probable au vu de la situation en Syrie à l’issue de plus d’une décennie de guerre civile et de la disparition presque totale des communautés juives du pays, pourtant florissantes dans le passé. Mintz note également que si l’existence du Codex à Markada a été établie, il n’y a que peu d’informations sur la communauté juive qui vivait dans la ville.
Pour le moment, Moses espère que le trésor culturel qu’il vient d’acquérir sera considéré comme la propriété des Juifs du monde entier.
« Je pense que le Codex Sassoon va apporter de la satisfaction, de la joie et de la fierté à des dizaines de milliers de visiteurs – peut-être à des centaines de milliers, voire à des millions », ajoute Moses.
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