Israël en guerre - Jour 471

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Témoignage

‘Amos Oz m’a bouleversée quand je l’ai interviewé en 2016’

Se souvenir du sage et charmant écrivain, de son chat qui ronronne sur mes genoux et de son analyse sur Judas, un livre qu'il a écrit en serrant les dents

Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Amos Oz et son chat, dans son salon de Tel Aviv en septembre 2016 (Jessica Steinberg/Times of Israel)
Amos Oz et son chat, dans son salon de Tel Aviv en septembre 2016 (Jessica Steinberg/Times of Israel)

J’ai passé beaucoup de temps dans ma carrière à essayer d’interviewer Amos Oz, l’un des écrivains les plus prolifiques et les plus célèbres d’Israël, qui est mort vendredi, à 79 ans.

Lorsque j’ai finalement eu un entretien avec lui après la publication de Judas, son roman de 2016, j’étais nerveuse.

Je suis arrivée tôt dans sa rue de Tel Aviv, j’ai relu mes questions, je me suis assurée d’avoir assez de stylos. Je me suis présentée à son appartement, j’ai frappé à la porte, Oz a ouvert et nous nous sommes installés dans son salon. Un verre d’eau pour lui, un verre de thé glacé pour moi.

Et puis j’ai fait la connaissance de son chat. C’était un énorme chat tigré, qui avait manifestement une place privilégiée dans la maison d’Oz.

Je suis assez allergique aux chats. Je ne supporte pas qu’ils passent près de moi ou s’assoient à côté de moi, et je commence souvent à éternuer si je m’assois ne serait-ce que sur des fauteuils sur lesquels ils sont déjà assis. Mais je n’avais pas l’impression de pouvoir dire quoi que ce soit, car c’était, après tout, le chat d’Amos Oz, dans la maison d’Amos Oz. J’ai simplement prié pour ne pas éternuer.

Pendant que nous discutions, le chat s’est d’abord approché de moi, puis il m’a sauté sur les genoux. Je restais assise, rigide, mais en essayant de ne pas être trop rigide, tout en poursuivant la conversation.

« Les chats ne vous posent pas de problème ? » demanda Oz gentiment.

« Oh non, j’adore les chats », lui ai-je assuré.

Je ne peux pas dire pourquoi je ne lui ai pas simplement dit que je n’aimais pas les chats, ou que je suis allergique. Lorsque vous interviewez quelqu’un, vous voulez établir un lien avec lui, un climat relationnel et un terrain d’entente.

Et je voulais qu’Amos Oz m’aime bien, même si je savais que je n’étais qu’une intervieweuse parmi des centaines, voire des milliers de journalistes qui lui demandaient ses impressions et ses opinions et qui désiraient connaître la façon dont il écrivait.

Je ne voulais surtout pas qu’il pense que j’avais un problème avec son chat.

C’est ainsi que le chat tigré est resté sur mes genoux, ronronnant doucement pendant presque une heure pendant que nous discutions de l’écriture de Judas, des personnages du roman qu’il avait créés et de la description de Jérusalem, qui résonnait fortement depuis son enfance et son entrée dans la vie d’adulte.

Amos Oz, chez lui à Tel Aviv, évoquant ‘Judas,’ son dernier roman publié en anglais en september 2016 (Crédit : Jessica Steinberg/Times of Israel)

C’était le premier livre d’Oz depuis dix ans, et un livre avec lequel il s’était débattu pendant des décennies, a-t-il dit. « J’écris ce roman depuis des années et j’ai abandonné deux fois et je l’ai repris en serrant les dents », a-t-il déclaré. « Je pensais qu’il était trop important pour moi. »

Judas est un traité sur Judas Iscariote – le disciple tristement célèbre qui, selon le Nouveau Testament, a trahi Jésus, mais dont Oz a fini par considérer qu’il ne l’était pas et qu’il l’est devenu involontairement.

Oz fait reposer toute son hypothèse concernant Judas sur un personnage appelé Shmuel Ash, jeune universitaire qui répond à la petite annonce d’un homme âgé et solitaire, en quête d’une compagnie rémunérée. C’est l’année 1959, une époque étrange à Jérusalem, et Ash se retrouve à vivre dans une maison obscure, dans une atmosphère menaçante, buvant des “litres de thé” et discutant en permanence avec les deux autres personnages formant le triumvirat traditionnel des romans de Oz.

Oz a été étonné d’apprendre que le livre est devenu un best-seller international, traduit dans des dizaines de langues.

« Il n’y a pas de violence, pas d’agents du Mossad, pas de Shoah, pas de Palestiniens, pas d’implantations, pas de magnats russes », note l’auteur. « Il y a du sexe, mais il faut patienter. Trois personnes assises dans une pièce et qui parlent tout le temps, et quelque part dans le cheminement du roman, trois générations différentes et trois visions du monde totalement différentes qui deviennent très libres les unes avec les autres, ce qui est pour moi une sorte de miracle laïc. »

Notre conversation s’est poursuivie par une discussion plus générale sur ses écrits – ses romans et ses articles – et sur la façon dont ils sont devenus plus faciles au fil du temps.

« En fait, j’écris la même chose depuis 55 ans », dit-il, en se dénigrant. « Je ne connais aucun moyen de mesurer si j’ai même déplacé un seul grain de sable, mais je le fais. Les gens s’attendent à ce que les écrivains portent le flambeau et éclairent le chemin à travers différentes périodes de l’histoire. Vont-ils réussir ? Sont-ils de bons guides ou de mauvais guides ? Il n’y a pas de réponse toute faite. »

A ce stade, j’étais beaucoup plus détendue, même avec le chat sur mes genoux. Je n’avais même pas éternué une seule fois.

A propos de la Jérusalem de Judas et de la Jérusalem de sa propre jeunesse, je lui ai dit que j’ai vécu à Jérusalem pendant une grande partie de ma vie adulte.

« Vraiment ? » a demandé Oz. « Où habitez-vous ? »

Arnona, lui ai-je dit, non loin de chez S.Y. Agnon, dans le quartier voisin de Talpiot.

Nous avons parlé de la façon dont Jérusalem a changé au fil des ans ; elle était devenue un peu étrangère à Oz ces dernières années, dit-il, dans la mesure où il ne s’y rendait que peu fréquemment.

Il a demandé si j’aimais y vivre ; j’ai dit oui, même si j’ai parfois besoin de m’évader à Tel Aviv.

Nous parlions en anglais, une langue dans laquelle il était tout à fait à l’aise, et il m’a demandé d’où j’avais immigré et ce qui m’avait amené en Israël. J’ai hésité, non pas parce que je ne voulais pas répondre, mais parce que j’étais surprise qu’il y trouve un intérêt.

Je lui ai raconté l’histoire de ma famille, le sionisme de mon père en 1948, et son voyage avorté en Palestine pré-étatique – qui s’est terminé avec deux mois dans un camp de prisonniers libanais et son retour subséquent à New York où il a décidé de devenir rabbin.

J’ai raconté qu’il a fallu 45 ans de plus à mon père pour vivre en Israël, et que le sionisme de mon père était d’un autre genre que celui d’Oz. Il a dit que mon père était probablement un homme de son temps et de son lieu, ce qui était vrai. Mon père avait étudié à la Yeshiva University, et était un disciple de Zeev Jabotinsky ; Oz avait des héros différents.

Mais comme il l’a dit plus tôt dans l’interview, se référant à ses propres désaccords théoriques avec les idées de Jésus, les Israéliens ont tendance à être en désaccord les uns avec les autres, et c’est bien aussi.

Sur ce, notre entrevue était terminée. Je me suis levée et le chat tigré est descendu de mes genoux.

Oz était sur le point de fermer la porte derrière moi, quand il m’a demandé : « Vous aimez vraiment les chats ? »

« Pas tant que ça », répondis-je.

Il hocha la tête, comme s’il l’avait toujours su, mais il ne dit rien. J’ai fait un signe de la main pour dire au revoir.

A lire : Il n’y a d’autres traîtres, dit Amos Oz, que ceux qui craignent le changement

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