Au Liban, l’inquiétant délitement des institutions
Sans président depuis 4 mois, le pays est dirigé par un gouvernement démissionnaire aux pouvoirs réduits alors que le pouvoir judiciaire vacille et que le secteur public s'effondre
Le chef de l’un des principaux organes de sécurité au Liban a achevé son mandat vendredi sans qu’il soit remplacé, un nouvel exemple du délitement des institutions qui alimente les craintes de la communauté internationale de voir ce pays sombrer.
La crise économique et financière inédite, qui a fait plonger dans la pauvreté plus de 80 % de la population, alimente les craintes d’une dérive sécuritaire.
Malgré ces menaces, les dirigeants politiques ont été incapables de s’entendre pour prolonger le mandat du puissant général Abbas Ibrahim, directeur de la Sûreté générale, ou de lui trouver un remplaçant.
L’officier, qui a atteint l’âge de la retraite, s’était imposé comme médiateur politique au Liban et avait contribué à la libération d’otages en Syrie.
« Le pays est dans un état de délitement quasi-absolu », explique l’analyste Karim Bitar. « Nous vivons en direct un effondrement de toutes les institutions étatiques qui tenaient encore debout. »
Grèves et absentéisme paralysent presque entièrement le secteur public, les salaires étant devenus dérisoires en raison de la perte de plus de 95 % de la valeur de la monnaie nationale.
« L’Etat n’est même plus en mesure de collecter ses impôts », enregistrer l’immatriculation d’une voiture ou de transactions est quasi impossible, l’année scolaire est presque perdue pour les élèves du secteur public en raison d’une grève des enseignants, souligne l’analyste.
Selon lui, « cette crise est probablement la plus grave dans l’histoire du Liban », qui a pourtant vécu une guerre civile aux implications régionales (1975-1990) et de nombreuses secousses au cours de ses cent ans d’existence.
Jeudi, le groupe de soutien international au Liban, qui comprend notamment les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, s’est dit « profondément inquiet des ramifications de la vacance présidentielle prolongée ».
Dans un communiqué, il a averti que « le statu quo n’est pas viable » et « paralyse l’Etat à tous les niveaux », appelant « les responsables politiques et les membres du Parlement à assumer leurs responsabilités (…) en élisant un président sans délai ».
Profondément divisés entre le camp du puissant groupe terroriste du Hezbollah pro-iranien et celui de ses opposants, les députés se sont réunis à 11 reprises sans pouvoir s’entendre sur l’élection d’un successeur à Michel Aoun, dont le mandat a expiré le 31 octobre.
Depuis le 19 janvier, le chef du Parlement Nabih Berri n’a plus convoqué de nouvelle réunion, laissant la situation s’enliser.
Face à ce blocage, Paris a réuni le 6 février des représentants des Etats-Unis et de trois influents pays de la région, l’Arabie saoudite, l’Egypte et le Qatar.
La réunion a abouti à une « totale unité de vues » sur le fait que le prochain président devra « ne pas être clivant, être intègre, capable de regagner la confiance de la communauté internationale et de garantir l’unité et la cohésion du pays », indique une source diplomatique occidentale à l’AFP.
Il devra dans le même temps être « capable de travailler avec un Premier ministre et un gouvernement qui portent un projet de réforme et envoient un signal de changement et de réformes sérieuses », ajoute cette source.
La réunion a évoqué des « leviers de pression » sur les responsables politiques qui bloquent le processus, sans pour autant les préciser, d’après cette source.
Les divergences entre le président sortant et différents Premiers ministres ont conduit à des mois de paralysie politique.
Selon des sources proches de participants à la réunion, ces derniers ont constaté que les noms du commandant en chef de l’armée Joseph Aoun – jouissant de bonnes relations avec la plupart des parties politiques – et l’ancien ministre Sleiman Frangié, allié du Hezbollah, se détachaient.
Mais d’autres noms ont également été évoqués, comme Jihad Azour, responsable régional du Fonds monétaire international (FMI), avec lequel un accord est vital pour le pays.
Le FMI a dénoncé la lenteur des autorités dans la mise en place des réformes nécessaires pour débloquer les aides internationales.
Pour Karim Bitar, seul « un accord entre les puissances régionales qui se livrent des guerres par procuration sur le territoire libanais », à savoir l’Iran et l’Arabie saoudite, est capable de débloquer la situation et permettre l’élection d’un président.
L’analyste exprime la crainte de voir « une dégradation encore plus forte de la situation économique qui pourrait aboutir à des incidents sécuritaires. »
Impuissants face à cette impasse, les évêques maronites, puissante communauté chrétienne dont doit être issu le chef de l’Etat, ont appelé le 10 mars à… une « journée de prières » pour l’élection d’un président de la République.