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Bachar al-Assad, l’autocrate qui a survécu au Printemps arabe

Contre toute attente, malgré l'isolement international et au prix d'une guerre civile dévastatrice, l'homme fort de Damas est resté aux commandes après la vague des révoltes arabes

Le président syrien Bachar al-Assad écoute son homologue russe Vladimir Poutine lors de leur rencontre à Damas, en Syrie, le 7 janvier 2020. (Crédit : Alexei Druzhinin/Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)
Le président syrien Bachar al-Assad écoute son homologue russe Vladimir Poutine lors de leur rencontre à Damas, en Syrie, le 7 janvier 2020. (Crédit : Alexei Druzhinin/Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

Ben Ali, Moubarak, Kadhafi… Lorsque la vague des révoltes arabes a déferlé sur la région début 2011, emportant l’un après l’autre ses autocrates, les jours au pouvoir du Syrien Bachar al-Assad ont aussi paru comptés.

Une décennie plus tard, après avoir un temps perdu le contrôle de la majorité du territoire syrien, l’homme fort de Damas reste aux commandes. Contre toute attente, malgré l’isolement international et au prix d’une guerre civile dévastatrice.

Lorsque les manifestations pro-démocratie débutent en mars 2011, la capacité de M. Assad, ophtalmologue formé au Royaume-Uni, et de sa minorité alaouite à résister à la lame de fond régionale pose clairement question.

Mais l’endurance de « Bachar », qui a succédé à son père Hafez en 2000 après trois décennies d’un règne de fer, et son sang-froid, combinés à une myriade de facteurs favorables – emprise sur les appareils sécuritaires, désengagement de l’Occident, soutien déterminant de la Russie et de l’Iran – lui ont permis de sauver sa peau, selon les analystes.

« Des années après que le monde entier a réclamé son départ et pensé qu’il serait renversé, ce même monde veut aujourd’hui se réconcilier avec lui », estime le politicien libanais Karim Pakradouni, qui a longtemps joué les médiateurs entre Damas et les différents partis libanais.

« Assad a su jouer le temps long ».

Photo d’illustration : Des réfugiés syriens traversent la frontière avec l’Irak au poste-frontière de Peshkhabour, à Dahuk, à 430 kilomètres au nord-ouest de Bagdad, en Irak. Les scientifiques avertissent que le changement climatique va compliquer et empirer les menaces sécuritaires dans le monde comme les guerres civiles, les conflits entre nations et le problème des réfugiés. Photo prise le 20 août 2013 (Crédit : AP Photo/Hadi Mizban, File)

« Sans concession »

Au commencement ? Comme ailleurs, des manifestations pour la dignité, la liberté et la démocratie, dans un des pays les plus verrouillés de la région.

Nous sommes un peu après la mi-mars, deux mois après le début d’un « Printemps arabe » qui a bouté hors du pouvoir le Tunisien Zine el Abidine Ben Ali et l’Egyptien Hosni Moubarak.

Bachar al-Assad ne tergiverse pas : la répression sera meurtrière, provoquant une militarisation du soulèvement puis sa mutation en guerre complexe impliquant rebelles, jihadistes, puissances régionales et internationales.

En près de dix ans, le conflit a tué plus de 380 000 personnes, dont un grand nombre de civils, mais aussi déplacé et poussé à l’exil plus de la moitié de la population d’avant-guerre (estimée à plus de 20 millions). Des dizaines de milliers de Syriens sont emprisonnés.

Le camp de réfugiés syriens d’Azrak, en Jordanie, le 17 mai 2017. (Crédit : Ahmad Abdo/AFP)

La grande majorité des Syriens survit dans le dénuement, frappée par un effondrement économique imputé par les autorités aux sanctions occidentales.

Imperturbable, Bachar al-Assad trône sur un champ de ruines. Il s’est maintenu, lui, tandis que ses forces contrôlent plus de 70 % du territoire après avoir enchaîné les succès, principalement grâce au soutien russe.

« Il n’a jamais faibli. Il a campé sur ses positions, sans concession », dit M. Pakradouni.

Haut commandement fidèle

Malgré des dizaines de milliers de défections, l’armée syrienne a joué un rôle majeur dans sa survie, selon le politicien libanais.

« Cela a fait d’Assad une exception dans ce qu’on appelle le Printemps arabe ».

Syrian President Bashar Assad in an interview with Russia Today last month (photo credit: screenshot from YouTube, Russia Today)
Bachar el-Assad en interview avec Russia Today (Crédit : capture écran YouTube, Russia Today)

De fait, en Tunisie et en Egypte, l’armée a lâché Ben Ali et Moubarak. En Libye, les hauts gradés se sont retournés contre Mouammar Kadhafi.

En Syrie, « le commandement militaire est resté fidèle » car il avait été noyauté « par des proches d’Assad et d’autres alaouites », explique Thomas Pierret, de l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabe et musulman.

Les membres de cette minorité religieuse proche du chiisme « représentaient probablement plus de 80 % des officiers en 2011 et occupaient pratiquement tous les postes influents ».

« La détermination et la rigueur » d’Assad ont aussi pesé, estime un chercheur syrien basé à Damas ayant requis l’anonymat. « Il a réussi à centraliser toutes les décisions ».

Le président a misé sur la sociologie de la Syrie – divisions entre Arabes et Kurdes, divergences entre sunnites, son clan alaouite et d’autres minorités.

« Il a bénéficié de la peur du chaos » chez les Syriens mais aussi « de la peur pour la survie de son propre camp » alaouite, ajoute ce chercheur damascène.

Avec la montée en puissance des islamistes et jihadistes, il s’est posé en protecteur des minorités, notamment des chrétiens.

Les forces pro-gouvernementales syriennes en position à Palmyre, pendant une opération militaire pour reprendre la ville ancienne au groupe terroriste Etat islamique, le 26 mars 2016. (Crédit : Maher Al Mounes/AFP)

Opposition fragmentée

Mais aussi Bachar al-Assad a bénéficié de l’absence de toute opposition politique crédible, poursuit le chercheur syrien.

Ce point est apparu fondamental lorsque Assad est devenu un paria, plusieurs capitales internationales imposant dès 2011 des sanctions contre Damas.

En 2012, plus de 100 pays reconnaissaient une « Coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition » comme unique représentant du peuple syrien.

Mais, malgré les efforts internationaux, l’opposition en exil et les rebelles en Syrie ne sont pas parvenus à former un front uni.

Sur le terrain, les factions armées se sont fragmentées à mesure que le conflit évoluait, tandis que Damas instrumentalisait l’essor des groupes jihadistes.

Et il a profité des atermoiements de l’Occident au moment de peser militairement sur le conflit, Etats-Unis en tête, échaudés par le fiasco de l’intervention en Libye.

Un tournant majeur reste la volte-face du président Barack Obama à l’été 2013, quand il renonça à la dernière minute à des frappes pour faire respecter sa « ligne rouge », après une attaque chimique imputée à Damas sur deux zones rebelles proches de la capitale ayant fait plus de 1 400 morts.

Une chambre de l’hôpital de Khan Cheikhoun, une ville syrienne tenue par les rebelles dans la province d’Idleb, après une attaque chimique présumée, le 4 avril 2017. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)

Cela a affaibli les capacités de rebelles ayant cruellement besoin d’une couverture aérienne face aux bombardements incessants des aviations syrienne et russe. Au fil des ans, Assad a acquis la certitude qu’aucun avion américain ne bombarderait Damas.

Soutien russe décisif

Une coalition internationale dirigée par Washington a été lancée l’année suivante pour soutenir des combattants majoritairement kurdes dans leur lutte contre le groupe Etat islamique (EI), dont les exactions d’une violence inouïe et la succession d’attentats ont suscité l’effroi de l’opinion internationale.

Mais, en 2015, vint le tour de la Russie d’intervenir militairement en Syrie, pour voler au secours d’Assad, un soutien décisif.

Moscou « a saisi une opportunité historique pour regagner son statut de superpuissance en comblant un vide stratégique lié au désengagement partiel d’Obama », résume Thomas Pierret.

Face au « come-back » d’Assad, les pays occidentaux, qui réclamaient autrefois son départ comme prélude à toute solution, cherchent une issue politique au conflit, avant l’élection présidentielle de l’été 2021.

« Le régime syrien ne peut pas être réintégré au système international mais ne peut pas non plus en rester exclu », estime le chercheur anonyme basé à Damas.

« Cette équation impossible risque de nous laisser dans une situation inextricable ».

En attendant, le peuple syrien continuera de payer le prix, selon lui.

Quant à Assad, qui à 55 ans entame sa troisième décennie au pouvoir, il devrait décrocher son quatrième mandat l’an prochain.

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