Ces Israéliennes « enchaînées » par les liens du mariage
On les appelle les "Agounot", les "enchaînées". Elles sont des centaines, peut-être des milliers en Israël, interdites de refaire leur vie parce que soumises, en vertu de la loi juive, au bon vouloir de leurs maris qui refusent le divorce
Une décision de justice à la résonance exceptionnelle vient de remettre en lumière le sort de ces femmes, largement passé sous silence.
Fin janvier, le tribunal rabbinique suprême, sorte de cour suprême pour les affaires religieuses juives, a décidé de rendre publique l’identité d’Oded Guez et de mettre ce rabbin et universitaire au ban de la communauté aussi longtemps qu’il persistera à refuser le divorce à sa femme.
Le tribunal a déjà prononcé de tels bannissements par le passé. Mais celui-ci a suscité un écho extraordinaire parce que la cour a accepté, comme le demandait l’épouse, qu’il soit publié sur les réseaux sociaux où ont proliféré le nom et le visage d’Oded Guez.
« On ne doit pas lui demander de ses nouvelles. Il ne peut pas participer aux prières collectives quotidiennes, ni réciter le Kadish (la prière des morts) dans une synagogue en cas de deuil d’un proche, tant qu’il n’écoute pas la voix des rabbins et ne donne pas le ‘guet’ à sa femme », décrète l’ordre de bannissement.
Le « guet » (prononcez : guête) est l’acte religieux par lequel le mari accorde le divorce à sa femme. Lors d’une courte cérémonie, il lui remet un parchemin signé devant des témoins et, en présence de juges rabbiniques, lui déclare qu’elle est libre.
Sans le « guet », elle reste une « Agouna », enchaînée à son mari, incapable de se remarier. Si elle a un enfant d’un autre homme, il sera un bâtard qui ne pourra jamais se marier selon la loi juive.
Il y a actuellement 131 Agounot en Israël pour une moyenne de 11.000 divorces de couples juifs chaque année, selon le directeur des tribunaux rabbiniques, Shimon Yaakobi. Mais ce chiffre de 131 ne comptabilise que les femmes pour lesquelles la justice religieuse a ordonné au mari d’accepter le divorce.
Aliza Gellis, responsable de Yad La Isha (« une Main tendue à la femme »), dit, elle, que son association dédiée à la défense des « Agounot » reçoit chaque année 6 000 demandes d’assistance.
Retrouver sa liberté
Il y aussi quelques cas – rares – d’hommes enchaînés parce que leurs femmes refusent de recevoir le « guet ».
Les femmes qui s’en remettent à Yad La Isha attendent en moyenne cinq ans pour décrocher le « guet », affirme Mme Gellis. « Mais nous avons eu des cas plus difficiles », avec des maris qui s’enfuient à l’étranger et changent d’identité, ajoute-t-elle.
Pour les femmes, la souffrance est morale ou sentimentale. Refaire sa vie avec un homme peut être très difficile pour une Agouna quand le septième des Dix commandements stipule : « Tu ne commettras pas d’adultère ».
Le dommage peut aussi être matériel. Mme Gellis évoque l’exemple d’une femme d’une soixantaine d’années qui a saisi l’association parce que, toujours mariée, elle avait vu les banques se retourner contre elle pour éponger les dettes de son mari.
Pour J., la femme d’Oded Guez, l’essentiel, c’est de retrouver sa « liberté au plus vite ».
« Cela fait presque quatre ans que je demande le divorce et deux ans que le tribunal rabbinique a obligé mon mari à me le donner », confie avec pudeur cette femme de 30 ans.
Le couple a deux enfants et le différend ne porte ni sur la garde, ni sur l’argent. Oded Guez ne veut qu’une chose : qu’elle revienne. Il « n’écoute aucun rabbin », dit-elle.
Oded Guez garde le silence.
Lui est docteur en physique, elle docteur en biologie. Mais ces déchirements parcourent tous les milieux sociaux, tous les âges et toutes les communautés juives du monde.
La malédiction des Agounot est presque aussi ancienne que le judaïsme. Elle a particulièrement touché l’opinion avec la guerre du Kippour en 1973, quand de nombreuses femmes se sont retrouvées « enchaînées » parce que leurs maris avaient disparu au combat sans que leur sort soit tranché.
Prison pour maris réfractaires
La sensibilisation à ce phénomène a aussi progressé avec la montée de la revendication féministe.
« Il y a 20 ans, les femmes ne se présentaient pas devant les tribunaux rabbiniques et nous avons changé les choses en imposant la présence de femmes avocates », souligne Mme Gellis, dont l’association est composée de religieuses et de féministes.
L’affaire Oded Guez rappelle l’implication considérable des tribunaux rabbiniques dans la vie des juifs israéliens dans les domaines où l’Etat a choisi d’appliquer la loi religieuse.
Seul un tribunal rabbinique peut sceller un mariage ou prononcer un divorce.
Certains responsables rabbiniques tentent toutefois de suivre l’évolution des moeurs.
« Le Grand Rabbin (David) Lau essaie de trouver des solutions pour que le guet soit donné au plus vite et que le tribunal continue de sanctionner les maris qui refusent d’obéir à la loi », assure à l’AFP le porte-parole du Grand Rabbin d’Israël, Pinhas Tennenbaum.
Face aux maris récalcitrants, les tribunaux rabbiniques peuvent prononcer un retrait du permis de conduire, une interdiction de sortie du territoire ou un interdit bancaire. Ils ont aussi le pouvoir d’envoyer des hommes en prison.
Sept sont incarcérés pour avoir refusé de délivrer le ‘guet’, indique M. Tennenbaum. Une cellule est prête dans le tribunal rabbinique de Jérusalem pour, le cas échéant, enfermer un mari séance tenante.
Dans le cas d’Oded Guez, « si le tribunal juge que ça peut faire avancer les choses, il sera envoyé en prison », dit M. Tennenbaum.
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