Israël en guerre - Jour 338

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Craignant un manque, Dayan a voulu mobiliser jeunes et vétérans en 1973

Le ministère de la Défense a déclassifié divers documents de la guerre de Yom Kippour

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Un canon de l'artillerie israélienne ouvre le feu depuis la Péninsule du Sinaï lors de la Guerre de Yom Kippour, le 6 octobre 1973. (Crédits : Avraham Vered/Bamahane/Archives du ministère de la Defense)
Un canon de l'artillerie israélienne ouvre le feu depuis la Péninsule du Sinaï lors de la Guerre de Yom Kippour, le 6 octobre 1973. (Crédits : Avraham Vered/Bamahane/Archives du ministère de la Defense)

Dans les premieres heures de la Guerre de Yom Kippour, alors qu’Israël rencontrait des difficultés pour repousser les forces égyptiennes et syriennes face à l’attaque, le ministre de la Défense Moshe Dayan a demandé aux généraux israéliens de chercher à incorporer des adolescents et d’anciens soldats de réserve. Il craignait que l’Etat juif puisse ne pas avoir assez de soldats pour combattre.

Ces éléments font partie d’une série de transcriptions et de rapports qui ont été déclassifiés par le ministère de la Défense, montrant les craintes, les délibérations et des conversations internes entre de hauts gradés israéliens et les responsables politiques du pays lors d’un conflit qui, même à l’époque, avait été jugé comme ayant été mal préparé et mal géré.

Le service des archives du ministère a publié les transcriptions de réunions de l’Etat major de l’armée pour les cinq premiers jours de la guerre, mais aussi le dernier rapport de renseignement transmis au chef de l’armée israélienne David « Dado » Elazar et au ministre de la Défense Moshe Dayan, le 5 octobre 1973, la veille du conflit.

Le lendemain, les Egyptiens et les Syriens ont lancé leurs attaques, prenant l’armée israélienne par surprise. La guerre a été âpre et brutale avec des revers importants subis lors des premiers jours, conduisant les dirigeants du pays à exprimer leur crainte sur la capacité d’Israël à remporter ce conflit.

« Ce que je crains plus que tout dans mon coeur ? C’est que l’Etat d’Israël n’ait plus assez d’armes pour se défendre lui-même… Il n’y aura pas assez de tanks, pas assez d’avions, pas assez de combattants. Il n’y aura pas assez de combattants entraînés pour protéger la terre d’Israël », a déclaré Dayan à l’Etat major, selon les transcriptions qui viennent d’être publiées.

Dayan, alors ministre de la Défense, a demandé à l’armée d’envisager d’incorporer des citoyens normalement trop âgés pour remplir leur devoir de réserve ou encore trop jeunes pour entrer dans l’armée.

« Etudiez la possibilité d’incorporer tous ceux que nous avons libérés du service, d’incorporer les jeunes, pour les mettre dans des tanks, dans des avions, dans tout ce qui est nécessaire. Nous aurons des tanks [des Etats-Unis], et il n’y aura pas assez de soldats. Prenez les anciens que vous avez libérés du service, prenez les jeunes que vous n’avez pas encore pris à partir de 17 ans », a déclaré Dayan aux chefs de l’armée.

Dayan était inquiet sur la manière dont le pays pourrait réagir aux premières pertes israéliennes.

« Quiconque n’ayant pas encore été choqué sera choqué parce que nous avons atteint le nombre de tanks [perdus] dans la Guerre des Six Jours », a-t-il dit.

Moshe Dayan, alors ministre de la Défense, visite la péninsule du Sinaï lors de la guerre de Yom Kippour, le 20 octobre 1973.(Bamahane/Archives du ministère de la Défense)

Le ministre de la Défense a également exprimé ses craintes que la population arabe d’Israël, qui vivait sous la loi martiale depuis 1966, puisse lutter contre le gouvernement, causant plus de problèmes au pays pendant la guerre.

« Les Arabes internes : ils vont clairement… quand le sang va leur montrer à la tête, nous devrons encore nous occuper d’eux avec différents types d’actions – pas de manifestations, mais une loi martiale, la police et les gardes frontières parce qu’ils peuvent se rendre sur les axes de transport et nous faire perdre du temps », a déclaré Dayan à l’Etat major.

Ce soulèvement n’a jamais eu lieu. En réalité, de nombreux Arabes israéliens ont participé à l’effort de guerre : en remplaçant des réservistes au travail, en donnant du sang, en achetant des bons de guerre du gouvernement et en aidant la défense civile.

De l’aide cherchée à l’étranger

Les combats à la fois dans la péninsule du Sinaï contre l’armée égyptienne et dans le Golan contre les Syriens – et sans la supériorité aérienne dont Israël avait bénéficié pendant la Guerre des Six jours à cause des systèmes de défense aérienne de pointe fournis par l’Union soviétique – ont dispersé les forces israéliennes et fait encourir le risque d’une pénurie de matériel militaire.

Israël espérait que les Etats-Unis et certains pays européens pourraient fournir des armes et du soutien pendant la guerre.

Le 8 octobre, Elazar a déclaré à Tzvi Tzur, un ancien chef de l’armée israélienne et assistant de Dayan, qu’Israël avait besoin de 300 à 500 tanks, de 48 avions de combat McDonnell Douglas F-4 Phantom II et de 24 Douglas A-4 Skyhawks.

David Elazar, le chef de l’armée israélienne, pendant la Guerre de Yom Kippour en octobre 1973. (Avi/Archives du ministère de la Défense)

« Nous en aurons besoin assez rapidement », a déclaré Elazar.

Pourtant, Tzur a prévenu que les Etats-Unis pourraient être plus lents pour fournir de l’aide, pensant qu’Israël s’en sortait très bien dans la guerre.

« J’ai l’impression qu’ils se basent sur des informations que la situation n’est pas si mauvaise que cela en se disant : ces Juifs s’en sortent assez bien », a-t-il dit.

Le chef du Renseignement militaire, le général Eli Zeira, a déclaré qu’il avait fait un briefing aux Américains chaque soir pendant la guerre, « et hier, je leur ai fait un briefing peu réjouissant ».

Elazar lui a donné l’instruction de leur « faire un autre [briefing peu réjouissant] ce soir ».

Au final, les Etats-Unis ont fourni 22 325 tonnes de tanks, d’avions, de canons d’artillerie et de munitions pendant la guerre dans une opération de l’armée de l’air américaine connue sous le nom de « Nickel Grass ».

‘Faible probabilité d’attaque’

Un rapport des services de renseignement transmis à Dayan et au chef de l’armée Elazar la veille du début des hostilités semble indiquer que la communauté israélienne du renseignement n’avait pas réussi à voir venir l’attaque surprise.

Le rapport du renseignement militaire note que l’armée égyptienne a déplacé des armes supplémentaires vers la frontière entre autres indicateurs que le Caire pouvait se préparer à un conflit : un changement anormal de codes radio, l’annulation d’exercices de l’armée de l’air, un rappel de tous les commandants des brigades de l’armée de l’air, et des soldats égyptiens qui ont reçu la permission de ne pas jeuner pendant le mois du Ramadan.

La première page d’un rapport des services de renseignement transmis au chef de l’armée israélienne et au ministre de la Défense avant le début de la guerre de Yom Kippour, le 5 octobre 1973. (Archives du ministère de la Défense)

« Actuellement, il n’y a aucun signe des préparatifs concrets du lancement d’une offensive par l’armée de l’air égyptienne, même si les mesures prises améliorent effectivement leur capacité à passer en mode opérationnel », notait le rapport.

En Syrie également, les renseignements militaires israéliennes notent qu’il y a « le sentiment parmi des officiers et des soldats syriens qu’un conflit de grande ampleur se prépare, sans explication sur qui va le commencer et quelles en seront les raisons ».

Pourtant, le rapport se termine avec l’évaluation : « La probabilité que les Egyptiens aient l’intention de reprendre les combats est faible… la probabilité d’une action indépendante syrienne (sans les Egyptiens) reste faible. »

Des revers à Suez, des succès en Syrie

Dans ce qui permet d’avoir un rare aperçu des tensions internes entre des pontes de l’armée israélienne, le ministère a également déclassifié l’appel téléphonique du chef de l’armée israélienne Elazar avec le chef du commandement du sud, le général Shmuel « Gorodish » Gonen, dans lequel le chef de l’armée informe le général qu’il est remplacé sur le front du sud par l’ancien chef de l’armée Chaim Bar-Lev.

Gonen a ensuite été critiqué par la commission d’enquête Agranat de 1974 pour sa responsabilité dans beaucoup des premiers revers de la guerre. Il a ensuite été envoyé en Afrique, peu de temps après, pour y passer le reste de sa vie dans un relatif anonymat.

Pendant la guerre, certaines des batailles les plus dures d’Israël ont été menées contre l’armée égyptienne d’Anwar Sadat dans la péninsule du Sinaï.

Les quelques premiers jours du conflit ont vu une mauvaise gestion et des ordres erratiques de la part de commandants dans la péninsule du Sinaï.

Ariel Sharon, alors général de l’armée, qui avait été rappelé dans l’armée pour commander la 143e division blindée au début de la guerre, était vu comme un franc-tireur compétent, mais sur lequel on ne pouvait pas compter pour exécuter des ordres.

Cette vision a été renforcée quand il est allé à l’encontre de la volonté de Gohen et a mené des attaques sur des positions égyptiennes le 9 octobre avec la 143e division blindée – une manœuvre risquée qui a d’abord échoué mais qui a ensuite été transformée en victoire quand sa division a repoussé une contre-attaque égyptienne.

Le général Ariel Sharon, au centre, échange avec d’autres hauts gradés du Commandement du sud de l’armée israélienne avant la Guerre de Yom Kippour, le 1er octobre 1973. (Elie Hen / Bamahane / Archives du ministère de la Défense)

« C’est un crime de guerre. Aujourd’hui, il – en contradiction des ordres donnés – s’est lancé à l’eau et a combattu une grande bataille – en contradiction des ordres donnés – et il a tenté à Gorodish. Je l’entends à la radio, et je vois qu’il me ment. Et maintenant, il demande la permission de traverser la deuxième berge [du Canal de Suez] », a déclaré Elazar.

Après plusieurs jours d’importantes pertes et de mauvaise gestion du front du sud, Dayan et Elazar ont décidé qu’il devaient faire revenir l’ancien chef d’Etat major Bar-Lev pour remplacer Shmuel Gonen au Commandement du sud.

« Je suis très préoccupé du fait que ni Dado ni moi [ne prendront le commandement du sud], que nous n’allons pas y arriver, et les gens qui y sont – Gorodish, Arik, et tous les autres – je ne leur fais pas confiance », a déclaré Dayan à Bar-Lev lors d’une conversation téléphonique.

Shmuel Gonen (Yad L’Shirion/Wikimedia)

Bar-Lev, qui était alors ministre du Commerce et de l’Industrie, a accepté de venir en aide, et Elazar a dû passer l’appel délicat pour informer Gonen qu’il était remplacé.

« Shmulik, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Chaim Bar-Lev va venir prendre le contrôle des opérations. Il verra ce qui se passe avec Arik [Sharon] aujourd’hui. Il parlera avec vous et il décidera, il va aussi vous écouter et si vous voulez rester avec lui, bon, je vais dire les choses autrement : s’il veut que vous preniez la 143e et Arik pour rentrer à la maison, ou s’il veut que vous restiez comme son assistant et Arik restera. C’est la décision du ministre de la Défense et du Premier ministre, et je veux que vous la preniez bien », a déclaré Elazar.

La réaction de Gonen n’est pas documentée dans la transcription déclassifiée, mais en se basant sur les réactions d’Elazar, le général ne semble pas bien prendre la nouvelle.

Afin de rendre la pilule moins amère, Elazar a dit à Gonen qu’il faisait seulement cela parce que Bar-Lev était un ancien chef de l’armée israélienne, donnant ainsi l’impression que la décision était moins dure.

« Si c’était un général, je ne le ferais pas. Mais c’est un lieutenant général, un chef de l’armée, et ensemble, vous serez super. Shmulik, ok. Il sera bientôt avec moi et ce soir il descend [au front]. Je vous recommande vraiment de rester ici. Bien. Réfléchissez-y », a déclaré Elazar.

Elazar ne cherchait pas seulement à réconforter son subordonné, il avait également la crainte que le public ne perde la foi dans l’armée si Gonen abandonnait totalement l’effort de guerre.

Des soldats réservistes posent au sommet d’un camion au début de la Guerre de Yom Kippour dans la péninsule du Sinaï, le 6 octobre 1973. (Avi Simhoni / Bamahane / Archives du ministère de la Defense)

« [Gonen] m’a dit : ‘Je rentre à la maison.’ Cela pourrait donner le sentiment que nous disons au peuple d’Israël que nous n’avons pas réussi à battre les Egyptiens à cause du commandant, pas à cause de… cela aurait un impact désastreux sur l’opinion publique », a déclaré Elazar.

Gonen est finalement resté dans le Commandement du sud pendant tout le conflit, mais les opérations ont été menées par Bar-Lev.

Peu après, la situation des combats dans le sud a commencé à s’améliorer alors que l’armée israélienne a repoussé l’attaque égyptienne et lancé sa propre contre-attaque.

Au début de cette campagne, les Israéliens ont piégé les Egyptiens en laissant Elazar parler à Bar-Lev sur des ondes radios facilement interceptables, les convaincant que la situation était désespérée et sur le point de craquer, alors qu’en réalité, les soldats israéliens se préparaient à lancer une puissante contre-attaque.

« Il va me dire que la situation est dure et qu’il espère qu’ils ne l’attaqueront pas encore. Je vais lui donner la permission de battre en retraite s’ils l’attaquent à nouveau. Peut-être qu’ils vont encore l’attaquer quand ils vont entendre cette conversation. Nous sommes aussi malins que possibles et, en même temps, vous devriez savoir que les choses vont très bien », a déclaré Elazar à Golda Meir, alors Première ministre.

Les combats israéliens contre l’armée syrienne d’Hafez Assad ont été beaucoup plus simples.

Après avoir repoussé la première attaque surprise, le 9 octobre, Elazar a déterminé qu’il était temps de frapper fort, en bombardant au sein du front syrien.

« L’armée syrienne, je veux la briser demain. Pardon, aujourd’hui », a-t-il dit.

« Je veux un changement fort, je veux que quelqu’un hurle : ‘Gevalt! Des nations sont assassinées, cessez le feu, tout le monde, cessez le feu.' »

Un cessez-le-feu final a été signé le 25 octobre, avec Israël gardant le contrôle de la péninsule du Sinaï et du plateau du Golan, qui avait été pris pendant la Guerre des Six Jours.

Plus de 2 500 soldats israéliens sont morts et des milliers d’autres ont été blessés dans les combats, avec également des milliers de soldats égyptiens, syriens et irakiens.

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