Israël en guerre - Jour 398

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Dans son premier roman, un rabbin imagine Israël avalé par un trou noir – et tout devient étrange

"Next Stop", de Benjamin Resnick, est une dystopie futuriste dans laquelle l'âge d'or juif américain n'est plus qu'un lointain souvenir – comme l'est aussi l'État juif

« Next Stop » est le premier roman de Benjamin Resnick, rabbin du Pelham Jewish Center, dans la banlieue de New York. (Kenneth Resnick ; Simon & Schuster/ JTA)
« Next Stop » est le premier roman de Benjamin Resnick, rabbin du Pelham Jewish Center, dans la banlieue de New York. (Kenneth Resnick ; Simon & Schuster/ JTA)

New York Jewish Week – Il était une fois, au siècle dernier, un enfant – Benjamin Resnick – qui imaginait le récit d’une vie juive, aux Etats-Unis, très différente de celle qu’il raconte dans « Next Stop », son premier roman dystopique qui a été publié le 10 septembre.

Resnick était alors en maternelle, à Chicago. Il avait voulu à tout prix raconter à son enseignant cette histoire « de la boulangerie juive qui faisait les meilleurs gâteaux du monde, mais auxquels seuls les enfants juifs avaient droit ».

Une première partie on ne peut plus ancrée dans la réalité : petit, Resnick raffolait des biscuits farineux que son père lui achetait à la boulangerie casher. L’interdiction des clients non juifs ?… Une totale invention de sa part.

L’histoire avait toutefois eu un certain effet dans le monde réel – du moins dans sa classe de maternelle. Dans cette classe qui était composée de Juifs et de non-Juifs, « pendant une semaine entière, tous les enfants avaient fait mine d’être Juifs » après avoir entendu le récit, confie-t-il à la New York Jewish Week. « Certains l’étaient vraiment mais là, tous voulaient l’être. »

« Next Stop » se déroule dans une ville américaine non-identifiée, à une époque où une telle judéophilie juvénile appartient dorénavant au passé. Vingt ans après la pandémie de COVID-19, l’auteur imagine un avenir dans lequel Israël a disparu, englouti par un trou noir – à l’occasion de ce qu’on appelle « l’événement » dans l’ouvrage. Les Juifs de la diaspora sont une fois de plus confinés dans des ghettos urbains et un jeune couple juif tente de protéger son enfant à la fois d’un État omniprésent et paranoïaque, et des milices armées qui parcourent les rues.

Ce roman est sorti en librairie au plus fort d’une vague d’antisémitisme qui s’est abattue un peu partout sur le monde, à un moment où se déroule une guerre qui a fait du mot « sioniste » une insulte et alors que les spéculations se multiplient sur l’avenir qui est dorénavant réservé aux Juifs. The Atlantic n’a-t-il pas choisi pour la couverture de son édition du mois d’avril d’afficher le gros titre : « La fin de l’âge d’or des Juifs américains » ?

Du haut de ses 40 ans, Resnick, qui est le rabbin du Pelham Jewish Center, une congrégation conservatrice de la banlieue de New York, dit avoir le sentiment que le titre choisi par The Atlantic a une part de vérité.

« Quelque chose a changé dans la conscience des Juifs américains », analyse Resnick en évoquant le pogrom qui avait été perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, dans le sud d’Israël, ainsi que les conséquences du massacre. « Je crois qu’on se souviendra de ce moment comme d’un moment de changement de paradigme. Je ne pense pas que nous pourrons revenir en arrière ».

« Next Stop » est, d’une certaine manière, la version dystopique nouvelle génération de l’histoire de la boulangerie que Resnick s’était plu à raconter quand il était petit. Les héros adultes de son roman auraient à peu près eu l’âge de ses deux jeunes enfants pendant la pandémie. Le roman – ses thématiques juives mises à part – s’inscrit dans l’air du temps, dans une Amérique post-pandémique et pré-apocalyptique.

Resnick avait commencé à l’écrire en 2021, lorsque sa femme Philissa Cramer et lui-même avaient quitté Chicago pour New York, où il allait prendre un poste de rabbin. (Note de la rédaction : Cramer, rédactrice en chef de la Jewish Telegraphic Agency, site partenaire de la New York Jewish Week, n’est pas intervenue dans la rédaction et dans la préparation de cet article).

Ethan, le premier personnage présenté aux lecteurs, se souvient avoir fait des avions en papier avec son père pendant la pandémie – tout comme, au plus fort de cette dernière, Resnick l’avait fait avec ses fils dans leur petit appartement.

Resnick a voulu raconter une histoire sur « la nature cyclique de l’antisémitisme et sur cette idée qu’être juif est fondamentalement précaire » – extrapolant sur un passage de la Haggadah de Pessah qu’il cite dans la première scène de seder de son roman : « Non seulement ils viendront pour nous détruire, mais ils recommenceront à chaque génération. »

Mais comment raconter une telle histoire ? Comment imaginer ce que signifierait être Juif américain à une époque où l’Âge d’or de la communauté aurait viré au bronze – ou qu’il aurait laissé la place à un nouvel âge des ténèbres ?

Pour construire ce récit, répond Resnick, « Israël a dû être effacé de la carte ». D’où le MacGuffin [NDLT : un prétexte, dans un scénario] autour duquel s’articule l’intrigue, qui fait ainsi un appel du pied au fantastique en évoquant un « événement » apparemment surnaturel. Un cataclysme qui a été appréhendé avec un autre regard le 7 octobre 2023, quelques jours après que l’agent de Resnick a remis le roman aux éditeurs.

« Le 7 octobre est une blessure extrêmement profonde », confie Resnick. « Pour les Israéliens, évidemment, mais aussi pour les Juifs du monde entier.

« Pour de nombreuses personnes qui taisaient leur identité juive, comme le disait [le défunt romancier israélien] A.B. Yehoshua, la situation a radicalement et brutalement changé », poursuit-il.

« Un grand nombre de personnes qui n’étaient que peu impliquées – voire pas du tout – au sein de leur communauté juive, ou dont l’identité propre n’était pas centrée autour de la judéité, ont pris conscience que ‘si, le monde pense que cela fait partie de mon identité’. »

Coïncidence ou pas, c’est un voyage qu’Ethan, son héros, entreprend alors que le monde de « Next Stop » devient de plus en plus menaçant pour les Juifs.

Non pas que Resnick pense que les persécutions imaginées dans « Next Stop » – les Juifs interdits de fréquenter les restaurants, le métro et d’exercer certaines professions, sans parler de l’interdit des mariages avec des non-Juifs – soient une menace imminente. « Si je pensais ça, je ne vivrais plus ici », confie-t-il.

Au fond, « Next Stop » ne veut pas être une petite boutique des horreurs possibles – même l’auteur décrit tout un monde d’antisémitisme qui se fonde sur des applications, qui est rendu possible par des politiciens hésitants, et qu’il extrapole sur ce qui pourrait se passer si ce qu’il a imaginé devait se produire ici et maintenant.

Fan de fantasy et de science-fiction, Resnick sait que les histoires de zombies, licornes et autres fusées ne sont qu’un moyen de raconter des histoires humaines, dans des circonstances différentes – qui sont parfois impossibles. Alors qu’on peut légitimement s’attendre à un « livre extrêmement sombre », Resnick explique que ses premiers lecteurs ont estimé « que ce n’est vraiment pas le cas. Il y a une chaleur qui rend certains passages difficiles acceptables et accessibles. Je le dis avec beaucoup de prudence. Parce que quand on écrit sur des choses horribles, il faut que ce soit horrible. »

« Par ailleurs, ce livre est à bien des égards une histoire qui est typiquement d’ici, qui est vraiment bien de chez nous », poursuit-il. « C’est une histoire d’amour qui parle aussi de parentalité. Et dans ce contexte, il y a des moments de grande beauté et de bienveillance et il y a aussi des moments drôles. »

Pour Resnick, la beauté est essentielle – ou tout du moins importante.

« La fiction peut aider á surmonter la consommation frénétique d’informations – surtout mauvaises – qui caractérise notre époque, de même que l’impression que le monde n’est qu’une succession d’horreurs », explique-t-il.

« La fiction peut faire entrer les lecteurs dans d’autres mondes, avec d’autres manières de percevoir les choses, et pas toujours pour tenter de trouver du réconfort – même si on trouve une certaine forme de réconfort dans ce livre. Mais le simple fait de lire une histoire bien racontée et sincère est en soi libérateur et important. »

Et l’apaisement est un sentiment bienvenu dans la période actuelle.

« A un moment donné, à la maison, maman et papa ne parlaient quasiment que de la guerre », confie-t-il. « C’était aussi quelque chose de très présent dans mon travail de rabbin. De même que pour Philissa, dans son travail de journaliste. C’était étouffant. »

Il a donc demandé à sa femme : « Les enfants sont-ils conscients du fait que leur père pense vraiment qu’être Juif, c’est quelque chose de merveilleux ? Parce que dans toutes nos discussions, nous ne faisons que dire à quel point c’est horrible. »

Les lecteurs de « Next Stop » auront l’impression que Resnick est convaincu, en effet, qu’être Juif au XXIe siècle, avec les dîners de Shabbat et les seders traditionnels, est une source de beauté et de joie. Il s’attarde d’ailleurs sur des moments de la vie rituelle juive qui n’ont que rarement été décrits par les romanciers (comme ce moment gênant où quelqu’un participe pour la première fois au rituel du lavage des mains avant le repas).

Chef cuisinier de formation, Resnick s’est ensuite tourné vers le rabbinat et il a été ordonné par le Séminaire théologique juif en 2014.

Conciliant à la fois sa vie de rabbin, de père de famille et d’écrivain, Resnick a une discipline de fer : chaque jour (« sauf pour Shabbat »), il doit parvenir à écrire 500 mots. Son secret : Il n’ira pas « au lit », dit-il, tant que son quota quotidien n’aura pas été atteint. L’écriture lui apporte « un regain d’attention, une stimulation intellectuelle et émotionnelle aussi, sans oublier le calme ».

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne ressent pas les émotions qui s’expriment dans son récit.

« Quand j’écris sur des enfants, j’imagine les miens, et cela peut être difficile », explique-t-il. « Et j’aime mes personnages. Je n’écris pas sur des personnages que je trouve vraiment déplaisants, parce que je n’ai aucune envie de passer du temps avec eux. Parfois, il y a des méchants – mais ce sont des méchants, ce ne sont pas les personnages principaux. Les personnages principaux sont des individus qui ont des défauts mais qui sont authentiques ; ce ne sont pas des personnalités que je méprise ou qui, selon moi, mériteraient qu’on leur fasse du mal. »

« Je n’aime pas quand de mauvaises choses leur arrivent », ajoute-t-il, « mais c’est parfois le cas. »

Larry Yudelson, ancien journaliste à la JTA, est éditeur et directeur éditorial de Ben Yehuda Press.

Venez retrouver la congrégation Beth Elohim et la New York Jewish Week pour une conversation avec Benjamin Resnick, auteur de « Next Stop », et Dana Goldstein, correspondante nationale du New York Times, mercredi 18 septembre entre de 19 h et 21 h, au 274 Garfield Place, à Brooklyn. Pour plus de détails, cliquez ici.

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