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"Il y a une foi morale qui suit la religion"

Des militants juifs aident les familles séparées à la frontière américaine

Plusieurs groupes communautaires aident activement les enfants arrêtés suite à une nouvelle politique gouvernementale statuant que tous les migrants clandestins seront poursuivis

Un petit garçon du Honduras emmené en détention par des agents d'une patrouille de la police des frontières américaine près de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, le 12 juin 2018 (Crédit :  John Moore/Getty Images)
Un petit garçon du Honduras emmené en détention par des agents d'une patrouille de la police des frontières américaine près de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, le 12 juin 2018 (Crédit : John Moore/Getty Images)

JTA — Lorsque Mary McCabe explique ce que sont les tribunaux de l’immigration américains aux enfants qui ont été séparés de leurs parents, elle tente d’établir des interactions.

Elle fait un dessin d’une salle d’audience et demande aux enfants d’identifier les individus qui se trouvent dans la pièce – comme le juge et les avocats – et de montrer où ils sont assis. Pour les plus jeunes, âgés de six ou sept ans, elle apporte avec elle une boîte de crayons ou un bloc à dessins pour les gribouillages.

Les plus âgés s’amusent parfois avec un jouet qui fait s’écouler de l’huile colorée dans de l’eau. Elle s’efforce de leur offrir une petite distraction leur permettant de mettre de côté une seconde le pourquoi de la séparation avec leurs parents – dont ils parlent avec elle – et ce qu’il va se passer après.

« Je vais apporter des fournitures artistiques de manière à ce que lorsque nous parlons, il puissent les utiliser, qu’ils n’aient pas seulement à me regarder et à parler. Ils peuvent s’exprimer tout en faisant des coloriages », dit McCabe, avocate spécialiste de l’immigration à HIAS Pennsylvanie, une organisation juive d’aide aux réfugiés indépendante, partenaire distinct de l’agence nationale HIAS.

« Même pour ceux qui sont plus âgés, lorsqu’ils évoquent quelque chose de bouleversant, ils peuvent jouer avec ça et ça les aide à se sentir moins mal », dit-elle du jouet à eau. « S’ils peuvent jouer et avoir quelque chose à tripoter, cela peut s’avérer par moments plus facile ».

HIAS Pennsylvanie est l’un des groupes Juifs intervenant activement dans l’aide aux familles qui ont été séparées à la frontière sud du pays sous les termes d’une nouvelle politique gouvernementale qui statue que chaque migrant clandestin franchissant la frontière américaine sera traduit en justice et placé en détention.

Les enfants ne pouvant pas être poursuivis avec les adultes, ils sont alors considérés comme enfants non-accompagnés et envoyés soit dans des foyers, soit des familles d’accueil. Ce sont plus de 2 300 enfants qui ont été séparés de leurs parents, selon le New York Times.

Le procureur général des États-Unis, Jeff Sessions, lors d’une conférence de presse au ministère de la Justice, le 15 décembre 2017. (Crédit : Chip Somodevilla / Getty Images / AFP)

Les critiques de cette politique affirment que séparer de force parents et enfants indéfiniment est traumatisant et bien trop sévère. Les responsables du gouvernement – comme le président Donald Trump et le procureur-général Jeff Sessions — estiment que la mesure est nécessaire pour renforcer la sécurité à la frontière.

Mardi, Sessions a qualifié les comparaisons des séparations des familles avec les actions des nazis « de réelle exagération ».

McCabe et ses collègues ont appris à une douzaine d’enfants séparés, qui vivent dorénavant dans un foyer en Pennsylvanie, quels sont leurs droits légaux, quel est le processus de demande d’asile et la manière dont ils pourraient dorénavant revoir leurs parents. Elle s’est entretenue à ce sujet avec des enfants âgés de 6 à 15 ans.

« Une petite fille de sept ans a dit : ‘Ma maman ne peut pas me parler, elle n’a plus de téléphone, elle ne peut pas me parler’, » se souvient McCabe. « Certains, plus âgés, souffrent également réellement… Ils fuyaient les violences des gangs ou du pays, ils sont souvent venus avec leur parent parce que leur parent avait également peur. Et souvent, l’aîné a peur que son parent soit expulsé ».

De nombreux groupes juifs se sont exprimés en défaveur de cette politique ainsi que d’autres organisations religieuses. Certains Juifs, sur la frontière sud et ailleurs, tentent de fournir une aide physique ou juridique aux migrants ou d’organiser la prise de parole d’autres Juifs locaux.

« Il est manifeste que les Juifs ont des antécédents d’immigration et de déplacement à des moments où ils n’auraient pas voulu le faire, et qu’ils ont dû trouver des endroits où ils étaient les bienvenus », commente le maire Jonathan Rothschild de Tucson, dans l’Arizona, auprès de JTA. Sa ville est à une petite centaine de kilomètres de la frontière.

« Il y a aussi une loi morale qui suit la religion », continue le législateur juif. « Il est impossible de ne pas avoir l’estomac retourné par les récits que nous entendons ».

Alma Hernandez, Juive américano-mexicaine

Alma Hernandez, Juive américano-mexicaine et fille d’immigrants, s’est présentée à la chambre des représentants de l’Arizona et a fondé un groupe juif progressiste à Tucson (Autorisation)

La semaine dernière, 27 groupes juifs – notamment, dans une rare unanimité, les directions des quatre mouvements religieux majeurs juif américains – ont signé une lettre ouverte à Sessions rejetant la politique, disant qu’elle « sape les valeurs de notre nation et met en péril la sûreté et le bien-être de milliers de gens ».

« Je n’ai jamais vu quelque chose de pareil dans ce domaine depuis la sortie de la première ordonnance, » explique Mark Hetfield, président de l’organisation nationale HIAS, se référant à l’interdiction d’entrée dans le pays posée en janvier 2017 sur sept pays musulmans. Presque tous les groupes juifs américains s’y étaient aussi opposés.

Rothschild, un démocrate, estime que parce qu’une séparation familiale est le résultat d’une politique fédérale, il ne peut pas faire grand-chose directement pour l’entraver en tant que maire de Tucson. Mais il a signé un courrier conjoint, ce mois-ci, avec les maires de Los Angeles, de Houston et d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique, qualifiant cette politique de « cruelle », de « moralement répréhensible » et de « hautement contradictoire avec nos valeurs de décence et de compassion ».

Même si l’Arizona, en tant qu’état, a eu dans l’histoire des législations strictes sur l’immigration, Rothschild affirme que ses administrés s’opposent largement à cette politique de séparation des familles.

« Nous avons une communauté dans laquelle tant d’individus ont des amis, des familles et des proches qui vivent des deux côtés de la frontière », continue-t-il. « A Tucson, le consensus majeur est que ce sont de mauvaises politiques ».

Parmi les administrés de Rothschild, Alma Hernandez, une juive américano-mexicaine qui se présente cette année à la chambre des représentants de l’Arizona. Hernandez, 24 ans, a démissionné de son poste de coordinatrice de la commission des relations de la communauté juive de Tucson pour se lancer dans la campagne. Cette année, percevant un manque d’action politique progressiste de la part de la communauté juive établie, elle a cofondé le groupe activiste Jews for Justice de Tucson, qui prévoit de participer à des rassemblements contre les politiques de séparation et autres questions.

« Ce sont des gens qui sont nos voisins. C’est un peu frustrant parfois et particulièrement en ce moment », s’exclame-t-elle.

Sur cette photo prise le 4 janvier 2017, des agents de la US Border Patrol emmènent des immigrants d’Amérique centrale en détention près de McAllen, au Texas. (AFP PHOTO / GETTY / JOHN MOORE)

Tout l’activisme local dans la protection des immigrants n’implique pas de travailler contre le gouvernement. Bob Feinman, venu de New York et animateur pendant longtemps à la radio hispanophone de Tucson à la retraite, est vice-président de Human Borders, qui place des réservoirs d’eau aux abords de la frontière de manière à ce que les migrants ne meurent pas de déshydratation après l’avoir franchie.

Le groupe travaille avec les forces de sécurité, à la frontière, pour garantir que ses cuves pourront être installées et maintenues dans les endroits les plus utiles. Human Borders travaille également avec des humanitaires mexicains pour recommander aux familles du sud de la frontière de ne pas la traverser clandestinement en raison des dangers qui peuvent les attendre aux Etats-Unis – notamment la séparation des familles.

S’exprimant au niveau individuel, Feinman confie être « excessivement scandalisé » par la politique mise en oeuvre.

« Nous pouvons accepter d’être en désaccord et sauver un grand nombre de vies de plus », dit-il.

Concernant les migrants potentiels, ajoute-t-il, « nous les prions et nous les supplions de ne pas franchir clandestinement la frontière. Les récits de traversée facile sont mensongers. Nous tentons de les convaincre que le risque n’en vaut pas la peine, qu’il s’agisse de passer un poste-frontière régulier ou d’arriver par le désert ».

McCabe explique qu’elle comprend la décision de prendre le risque de franchir la frontière en entendant les histoires des gangs et des violences qui menacent les familles en Amérique centrale. Tandis qu’elle n’est pas juive, elle explique que travailler pour une organisation juive l’a rendue plus consciente de la nécessité d’offrir un refuge sûr aux familles en quête d’asile.

« Ce qui est arrivé dans les années 1930 et 1940 a eu un impact sur notre système d’asile », explique-t-elle. « C’est partiellement pour cela que nous avons ce système d’asile. La communauté juive s’inquiète de ce que ceux qui sont la cible de persécutions trouvent un moyen d’être en sécurité parce que d’autres gens sont morts. J’ai l’impression de dire ce qui est seulement l’évidence ».

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