Des réalisatrices haredim proposent une visite d’Auschwitz en réalité virtuelle
Conçu à l'origine pour sensibiliser les ultra-orthodoxes israéliens à la Shoah, ‘Triumph of the Spirit’, finalement présenté à de nombreux jeunes, est une expérience à 360° du camp
Dans une initiative visant à préserver la mémoire de la Shoah et à enseigner aux jeunes ultra-orthodoxes en particulier les atrocités du génocide juif, trois réalisatrices haredim ont utilisé la puissance de la réalité virtuelle pour proposer une visite du camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau en vidéo.
« Triumph of the Spirit » fait intervenir le rabbin Israel Goldwasser, guide touristique polonais et conférencier spécialiste de la Shoah appartenant à la communauté hassidique de Gur, qui prend le rôle de narrateur. Il guide les spectateurs à travers les vérités macabres de ce qui avait été le plus grand camp de concentration nazi.
Miriam Cohen, Chani Kopilowitz et Yuti Neiman avaient commencé à travailler sur le film après avoir découvert la technologie de la réalité virtuelle, il y a trois ans, alors qu’elles réalisaient une vidéo consacrée à la visite d’un bâtiment pour un client qu’elles avaient toutes les trois.
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Cohen, Kopilowitz et Neiman ont été élevées au sein des communautés haredim et elles se sont rencontrées dans l’industrie du film, se liant d’amitié. Elles avaient partagé le même sentiment de frustration et de tristesse lorsque leurs écoles et leurs communautés strictement religieuses leur avaient interdit de se rendre en Pologne pour prendre part à la Marche du vivant, un programme qui réunit des lycéens israéliens à Auschwitz-Birkenau lors de Yom HaShoah, la Journée nationale de commémoration du génocide juif en Israël.
« Je me souviens de mes 17 ans, quand j’avais vu tous mes amis partir en Pologne et revenir forts de l’expérience intense qu’ils avaient vécue là-bas », s’exclame Cohen. « J’avais eu le sentiment que j’avais manqué quelque chose de très fort et je m’étais promis que j’irai là-bas un jour ».
Les Juifs issus de la communauté haredi ont une approche de la Shoah très différente de celle de la majorité des Juifs israéliens. La plupart des membres de la communauté ultra-orthodoxe choisissent ainsi de commémorer le génocide juif au dixième jour de Tevet – une journée mineure de jeûne – plutôt qu’à l’occasion de Yom HaShoah.
De la même façon, les mœurs, au sein de cette catégorie de la population, impliquent que les parents ont beaucoup plus de réticence à l’idée d’envoyer des adolescentes à l’étranger dans le cadre d’un voyage scolaire qui – tout du moins du côté des Israéliens laïques – est devenu célèbre pour son caractère et pour son atmosphère uniques.
« Parce que la communauté est très conservatrice, je ne vois pas beaucoup de parents qui laisseraient des jeunes filles quitter le pays sans eux. Ce n’est pas quelque chose qui se fait », explique Cohen, évoquant les ultra-orthodoxes israéliens.
Les trois femmes avaient commencé à travailler sur le projet au début de la pandémie de COVID-19. Toutefois, quand elles avaient demandé de l’aide à des professionnels plus expérimentés dans le secteur de la réalité virtuelle, ces derniers leur avaient répondu que les narratifs longs qui s’appuient sur la réalité virtuelle étaient déconseillés. « C’est jeter du temps et de l’argent à la poubelle », leur avait affirmé l’un des spécialistes sollicités. Il valait mieux, ainsi, qu’elles créent un format plus court, avec plus de plaisir pour les spectateurs. Un conseil qu’elles avaient choisi d’ignorer et un choix qui devait s’avérer finalement judicieux par la suite.
Après être entrées en contact avec l’un des directeurs du musée d’Auschwitz, elles avaient reçu la permission de filmer le site malgré sa fermeture pour cause de pandémie mondiale.
Cohen avait eu un coup de téléphone peu après, lui demandant de venir en Pologne dès le lundi suivant – elle n’aurait l’autorisation de tourner des images que pendant trois jours. Ne voulant pas manquer cette opportunité, elle et ses deux co-réalisatrices avaient tout abandonné et elles avaient immédiatement réservé trois billets d’avion pour l’Ukraine, prenant l’autocar pour rejoindre la Pologne. Les vols directs pour la Pologne avaient été interdits en raison des confinements.
Ce tournage réalisé en hâte avait été une expérience difficile pour elles. Cohen, qui était enceinte à l’époque, se souvient en particulier d’un angoissant silence – « c’était le plus pénible », dit-elle.
« Il y avait cet homme avec un énorme trousseau de clés, nous sommes entrées à l’intérieur et il a fermé dernière nous », se rappelle Cohen. « Nous étions là, trois mères seules dans cet endroit terrible ».
Dans le film, Goldwasser établit clairement l’objectif poursuivi par cette expérience de réalité virtuelle : « Nous ne sommes pas des touristes, nous pleurons nos morts », dit-il avant d’entrer dans le camp par le portail de sinistre mémoire, qui avait été franchi par plus d’un million de Juifs pendant la Shoah.
Dans le film, Goldwasser interrompt ses explications par des anecdotes qui racontent la résistance juive face au génocide industriel.
Il y avait eu par exemple la rébellion discrète d’un médecin juif, Shmuel, placé dans l’obligation de mener des expériences inhumaines de stérilisation des déportées. Il avait alors pris soin de ne causer aucun préjudice durable au corps de ces femmes pour qu’elles puissent peut-être un jour avoir, malgré tout, des enfants.
Jusqu’à présent, le film a été projeté devant environ 80 000 Israéliens – notamment à des lycéens, à des membres appartenant à des groupes de jeunesse et à des touristes venus de l’étranger. S’il avait été initialement réalisé en direction d’un public particulier, celui des jeunes haredim, il a finalement touché, avec l’aide du ministère de l’Éducation, un public beaucoup plus large.
« Nous sommes actuellement dans une période où la mémoire change dans l’Histoire, où nous perdons chaque jour des survivants », déclare Cohen, qui dit espérer que cette expérience de réalité virtuelle « donnera vie à l’Histoire et la transformera en mémoire ».
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