En Syrie, l’abattage illégal d’arbres menace la surface forestière
Les habitants abattent souvent des arbres pour se chauffer pendant l'hiver du fait de la pénurie chronique de carburant en Syrie et des longues coupures de courant
Sur l’une des rives de l’Euphrate, Ahmad el-Cheikh compte avec consternation les troncs d’arbres récemment abattus au milieu des conifères épars : la guerre en Syrie a exacerbé l’abattage illégal, menaçant la surface forestière.
« Les gens coupent des arbres pour les vendre et gagner de l’argent, d’autres pour se réchauffer pendant l’hiver », a déclaré cet homme de 40 ans qui habite la localité de Jaabar dans le nord de la Syrie.
« Récemment, j’ai découvert que quatre arbres avaient été abattus. Leurs troncs étaient encore verts, ça m’a brisé le cœur », a-t-il ajouté, montrant les branches gisant sur le sol sablonneux.
La forêt, qui fait face à la citadelle de Jaabar, est depuis longtemps un exutoire pour les habitants des villages voisins et les visiteurs cherchant un coin d’ombre, dans une région où le thermomètre avoisine les 50°C en été.
Mais les longues années de guerre et le chaos sécuritaire, couplés à une grave crise économique, ont érodé la richesse forestière.
« La forêt signifiait beaucoup pour le village, attirait les visiteurs et les oiseaux et purifiait l’air », a expliqué el-Cheikh, propriétaire d’une supérette.
« Sa superficie diminue d’année en année. La nuit, on entend les motos qui se faufilent dans la forêt, et le bruit des tronçonneuses à l’œuvre », a-t-il raconté, regrettant l’inefficacité des patrouilles mises en place pour protéger la forêt, faute d’effectifs suffisants.
Durant la journée, certains jeunes abattent des arbres à l’aide de scies pour éviter d’attirer l’attention et reviennent plus tard pour ramasser le bois, selon el-Cheikh. « Si cela continue, on se dirige vers la désertification. »
« Terre aride »
À quelques kilomètres de là, dans le village de Touwayhina, déjà affecté par l’étiage de l’Euphrate, l’abattage illégal a eu raison d’une dense ceinture verte qui s’étendait jusqu’à une localité voisine.
« Quand on était petits, on venait s’asseoir entre amis à l’ombre des eucalyptus et des pins, mais maintenant c’est devenu une terre aride », a déploré Mohammad Ali, un infirmier de 30 ans.
Les habitants abattent souvent des arbres pour se chauffer pendant l’hiver du fait de la pénurie chronique de carburant en Syrie et des longues coupures de courant.
Après plus de 12 ans de conflit sanglant, plus de 90 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté selon l’ONU.
« À moins que la région ne soit reboisée, tous les arbres vont disparaître », a estimé Ali.
L’administration autonome kurde, qui contrôle de vastes zones dans le nord et le nord-est de la Syrie, s’efforce de protéger les forêts et réserves naturelles des coupes illégales, avec les moyens du bord.
« Nous n’avons pas un bilan précis des dégâts, mais le constat est clair », a déclaré à l’AFP Ibrahim Assaad, co-président du comité de l’environnement, depuis son bureau de la ville d’Amouda, dans le nord-est de la Syrie.
« Nous essayons de replanter et de protéger davantage les arbres », tout en appliquant les sanctions prévues à l’encontre de toute personne dégradant l’environnement, a-t-il ajouté.
« Déforestation »
PAX, une ONG travaillant pour la paix basée aux Pays-Bas, a indiqué que « les prix élevés du carburant et déplacements massifs sont les principaux moteurs de la déforestation à grande échelle à travers la Syrie, car les habitants abattent des arbres pour cuisiner et se chauffer ».
« Il y a des indications claires que les groupes armés utilisent également l’exploitation forestière illégale et la vente de bois comme source de revenus », selon un rapport de PAX datant de mars dernier.
D’après l’ONG, les provinces de Lattaquié (ouest), Homs (centre) et Alep (nord) ont perdu plus de 36 % de leurs surfaces forestières depuis 2011, année du déclenchement du conflit syrien qui a coûté la vie à plus d’un demi-million de personnes.
Et selon les données de Global Forest Watch, le pays a connu une diminution spectaculaire de 26 % du couvert arboré depuis 2000.
Plus à l’est, dans le village d’al-Nasseri, à Hassaké, Hussein Saleh el-Helou, 65 ans, se plaint des effets du dérèglement climatique.
« La sécheresse a affecté la terre, l’agriculture et les moutons (..) même les arbres se sont asséchés », a déploré cet éleveur.
Et les arbres qui ont échappé à la sécheresse n’ont pas survécu à l’abattage illégal.
« Le village a beaucoup souffert, il a perdu sa ceinture verte et les températures ont grimpé. »