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Interview

Enseignement de la Shoah en France : l’antisémitisme perdure

Iannis Roder, responsable des formations au Mémorial de la Shoah, estime qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire dans la formation des professeurs

Mur des Justes au Mémorial de la Shoah à Paris. Illustration. (Crédit : Guilhem Vellut/CC-BY SA 2.0)
Mur des Justes au Mémorial de la Shoah à Paris. Illustration. (Crédit : Guilhem Vellut/CC-BY SA 2.0)

Il avait alerté sur les difficultés à enseigner le génocide juif dans certains quartiers : quinze ans après, « les choses ont changé » même si l’antisémitisme perdure, explique à l’AFP Iannis Roder, responsable des formations au Mémorial de la Shoah, à la veille de ses assises pédagogiques.

En 2002, vous avez été l’un des premiers à alerter sur les difficultés à enseigner la Shoah dans certains collèges, devant des élèves issus de l’immigration maghrébine notamment. Avez-vous été entendu depuis ?

Iannis Roder: La prise de conscience a été un peu longue, parce que retardée par une volonté de ne pas regarder les choses en face. Les tenants de ces propos antisémites étant eux-mêmes perçus comme des victimes sociales – à tort ou à raison -, il était très compliqué pour certains d’accepter cette réalité.

Pour prendre conscience de la profondeur de l’antisémitisme dans certaines parties de la population française, il a fallu Charlie en janvier 2015 – je ne dis même pas l’Hyper Cacher.

Sur l’enseignement de la Shoah, les choses ont changé parce que les gens n’ont pas eu le choix. Ils ont reconnu que ça pouvait être compliqué. Personnellement je dis que j’ai toujours pu tout enseigner : tout se joue d’abord dans la relation de l’enseignant aux élèves. Cela fait vingt ans que je suis professeur à Saint-Denis, vingt ans que j’enseigne l’histoire de la Shoah. Si j’ai entendu des remarques antisémites il y a quinze ans, je n’en ai plus du tout. Non pas que l’antisémitisme a disparu – je crois qu’il est relativement répandu -, c’est simplement la manière d’enseigner qui a changé.

En quoi a-t-elle changé ? Faut-il se mettre dans la tête de l’élève pour l’atteindre, le toucher ?

Il ne s’agit pas de le toucher mais de mener une éducation citoyenne, de faire comprendre qu’à travers le génocide des juifs, c’est un processus politique qui est à l’oeuvre et qui vise une population de manière systématique.

Je ne fais plus l’histoire de la souffrance des juifs, je fais l’histoire du nazisme.

En outre, il faut développer l’enseignement des génocides et violences de masse pour montrer que ce sont des phénomènes qui peuvent se produire partout, chez les Arméniens, pour les Tutsis du Rwanda… Et faire comprendre à nos élèves que notre système démocratique, tout imparfait qu’il soit, est le meilleur rempart aux violences de masse.

Si vous insistez sur la souffrance dans le crime de génocide, vous allez réveiller une forme de concurrence victimaire chez ceux qui se pensent à tort ou à raison victimes : ‘On ne parle que d’eux et nous, alors ? Et la décolonisation ? La guerre d’Algérie ?’ Je préfère faire appel à leur intelligence, les élèves aiment qu’on les considère, et on les considère d’abord par la qualité de l’enseignement.

L’Education nationale s’est-elle mise à la hauteur de l’enjeu ?

Il y a toujours un déficit de formation des enseignants qui est dû d’abord à une réalité : ‘l’objet Shoah’ est omniprésent dans les médias.

Le sentiment existe dans l’opinion publique, partagé par les enseignants, que cette histoire est connue, maîtrisée. Or ce n’est pas le cas : quand vous demandez aux enseignants le dernier livre qu’ils ont lu sur la Shoah, généralement ils n’en ont pas lu…

Le ministère de l’Education a signé une convention-cadre avec le Mémorial de la Shoah, devenu opérateur public délégué sur les violences de masse et les génocides.

Les inspecteurs le disent dans les rectorats, ils voient de nets progrès dans les pédagogies mises en place par les professeurs, c’est indéniable. Mais il faut continuer à réfléchir, enseigner, former, ne serait-ce que parce que l’historiographie se renouvelle.

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