Etats-Unis: Démission du conseil d’administration d’un site d’information haredi
Les membres ont dit rejeter la nouvelle vision du fondateur de Shtetl, une vision qui, a dit ce dernier, est venue de son dégoût face aux réactions "d'extrême gauche" à l'assaut du 7 octobre

JTA – Les trois membres du conseil d’administration d’un site d’information qui s’était donné pour but de prêcher l’ouverture dans les communautés juives ultra-orthodoxes ont démissionné, après avoir appris que le fondateur du site avait renoncé à la mission.
Larry Cohler-Esses, Adelle Goldenberg et Ari Goldman ont présenté jeudi leur démission du conseil d’administration de Shtetl dans une lettre adressée au fondateur et PDG Naftuli Moster.
Moster est le fondateur de Yaffed, l’acronyme de « Young Advocates for Fair Education » [jeunes défenseurs d’une éducation équitable]. Il milite pour des normes d’éducation laïques plus strictes dans les yeshivot haredi, ou ultra-orthodoxes. Après son départ du groupe en 2022, il a lancé Shtetl, convaincu qu’une « presse haredi libre » était nécessaire.
Mais dans un entretien publié dimanche sur YouTube, il a révélé qu’il regrettait les deux entreprises, affirmant qu’il s’était méfié de la politique progressiste et des motivations de certains de ses anciens alliés, et qu’il craignait désormais que son franc-parler ne nuise à ses nombreux proches restés dans la communauté.
Dans leur lettre de démission, les membres du conseil d’administration – deux journalistes et un ancien membre de la communauté – ont indiqué qu’ils avaient initialement signé parce qu’ils « admiraient » le travail de Moster au sein de Yaffed et qu’ils partageaient sa vision initiale du projet Shtetl. Mais ils ont précisé qu’ils ne souhaitaient plus rester après son revirement d’opinion.
« La nécessité d’une telle source d’information reste réelle », ont-ils écrit. Le changement radical survenu dans votre vision de Shtetl nous a toutefois conduit à vous présenter – à contrecœur – nos démissions. Nous espérons que d’autres, notamment les nouveaux dirigeants de Yaffed, prendront le relais et poursuivront ce travail essentiel qu’est l’amélioration des conditions de certains des membres les plus vulnérables de la communauté haredi. »

Cohler-Esses, un pigiste ayant travaillé pendant de nombreuses années pour le journal The Forward, a indiqué dans un email que lui et les autres membres du conseil d’administration avaient été recrutés par Moster, et assistaient régulièrement aux réunions du conseil d’administration.
Goldman est un ancien journaliste du New York Times, qui enseigne désormais à la Columbia Journalism School. Goldenberg, diplômé de l’Université Cornell, a grandi dans une communauté haredi. Écrivant au nom du groupe, Cohler-Esses a expliqué que les révélations de Moster, qu’ils avaient apprises via la JTA, les avaient pris au dépourvu.
« Le revirement d’opinion et apparemment aussi de vision du monde de Naftuli ont été une grande surprise. Nous en ignorions tout avant son interview en podcast avec Frieda Vizel », a indiqué Cohler-Esses.
« Nous savons que Shtetl, pour venir à bien de la mission qu’il s’était fixée, faisait face à des défis importants en raison de l’originalité de ses modèles commercial, financier et journalistique. Nous avons tenu plusieurs réunions du conseil d’administration avec Naftuli pour échanger sur la question, et nous avons mandaté un consultant qui nous a soumis un rapport de 97 pages en février dernier, qui proposait plusieurs modèles alternatifs pour poursuivre notre mission », a-t-il ajouté. « Nous n’avions absolument aucune idée du fait que notre PDG, qui avait lui-même proposé ce consultant, ne soutenait plus cette mission. »
Pour Moster, ces démissions ont du sens. « C’est tout à fait compréhensible. Je ne m’attends pas à ce qu’ils suivent mon évolution », a-t-il précisé dans un email à la JTA.
Les reportages publiés par Shtetl après son lancement ont permis de lever le voile sur des communautés parfois retirées, traduisant des informations du yiddish à l’anglais, révélant l’actualité des arrestations et conflits internes, et traçant les profils des membres qui souhaitaient apporter des changements. Mais, ces derniers mois, ces contenus ont cessé de paraître.

Moster a annoncé avoir toujours des ambitions pour l’avenir du site.
« Je suis reconnaissant envers chacun d’eux pour leur investissement en temps et en expertise dans la version 1.0 de Shtetl », a ajouté Moster, faisant référence aux membres du conseil d’administration. « En ce qui concerne Shtetl 2.0, nous verrons. J’espère en faire un projet positif et constructif. »
Suite à la publication de l’article de la JTA à son sujet, Moster a également développé les raisons de son changement d’opinion, au-delà de celles qu’il a exposées dans l’entretien publié sur YouTube. Un facteur dans son évolution était l’assaut du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre à Gaza, a-t-il affirmé.
« Ceux qui me suivent ont pu constater l’impact majeur que cet événement a eu sur moi », a-t-il rapporté. « Les réactions des groupes progressistes et des individus d’extrême gauche m’ont dégoûté ; elles m’ont aussi incité à m’exprimer non seulement à ce sujet, mais aussi sur d’autres positions d’extrême gauche qui m’avaient fait grincer des dents. »
La vague d’antisémitisme consécutive à l’attaque du Hamas, a fait savoir Moster, lui a permis de voir sous une nouvelle perspective la violente série d’attaques subie par les communautés haredi en 2019 et 2020. Ces attaques avaient eu lieu dans le contexte de la lutte que livrait Yaffed pour des règles d’éducation « essentiellement équivalentes » à New York. Aucun lien n’avait pu être établi entre les agresseurs et le combat de Yaffed.
« Avec le recul, je pense qu’il était cruel de distraire la communauté et ses dirigeants de l’essentiel avec ce combat, alors qu’ils se faisaient littéralement massacrer dans les supermarchés et les synagogues », a expliqué Moster. « C’est là mon plus grand regret. »