Exploiter, et non servir le peuple : Le nouveau gouvernement honteusement gonflé
Ben Gurion s'est débrouillé avec une dizaine de ministres dans la première coalition d'Israël. Aujourd'hui, nous en comptons 35, dont certains pour des portefeuilles absurdes
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Seul Benjamin Netanyahu connaît l’ensemble des facteurs qui l’ont poussé à laisser son collègue ultra-loyal du Likud Nir Barkat – parmi les premiers à lui succéder le jour venu – hors de son équipe ministérielle.
Il est le seul à savoir pourquoi il exilera un futur successeur, Gilad Erdan, aux États-Unis, pour y exercer les fonctions d’ambassadeur à l’ONU et, peut-être, bizarrement, pendant quelques mois à partir de fin 2020, simultanément comme ambassadeur à Washington, tout en nommant un deuxième futur successeur, Israel Katz, comme son ministre des Finances, et en laissant un troisième futur successeur, l’ancien chef du Shin Bet, Avi Dichter, sans aucun rôle de haut niveau.
Il est le seul à savoir pourquoi il a écarté un autre fidèle, Zeev Elkin, de son poste au ministère de l’Environnement pour lui confier le ridicule ministère de l’Enseignement supérieur et des Ressources en Eau ; a choisi Yoav Gallant plutôt que d’autres candidats au poste de ministre de l’Education ; a joué avec l’idée de virer Yuval Steinitz de l’Energie, mais y a finalement renoncé ; a conservé l’ancien ministre de Koulanou, Eli Cohen (maintenant ministre des Renseignements) ; a créé un poste ministériel manifestement absurde de l’Autonomisation et de la Promotion des communautés pour la peu fiable Orly Levy-Abekasis ; et a ressuscité un autre ministère qui n’en a que le nom pour le fidèle David Amsalem (chargé des Relations avec le Parlement).
Cherchant à satisfaire tous les égos du Likud, Netanyahu a retiré des parts de responsabilité à certains ministères – séparer l’enseignement supérieur de l’éducation n’en est que le plus ridicule – et a fabriqué des portefeuilles pour essayer de satisfaire presque tout le monde.

Alors même qu’il présentait son gouvernement dimanche après-midi, il a créé des postes surprise supplémentaires, se retrouvant avec trois ministres de plus de son bloc que celui de son partenaire rival Benny Gantz (19-16), une démarche qui nécessitera apparemment un nouveau type d’arrangement juridique sur le nombre de votes de ses ministres qui compteront réellement lorsqu’il s’agira de prendre des décisions sensibles dans ce qui est censé être une coalition d’unité avec un partage égal du pouvoir entre les deux blocs. (Selon l’accord initial, seuls 16 ministres de chaque bloc auront le droit de vote).
Certains voient dans les longues journées de calcul et d’ajustement – et dans l’attribution finale des postes qui comprend également des dispositions permettant à certains ministres de changer de poste après 18 mois, lorsque Netanyahu est censé remettre le poste de Premier ministre à Gantz de Kakhol lavan – la preuve que Netanyahu a l’intention d’honorer les termes de l’accord de coalition. S’il prévoit secrètement de revenir sur sa parole, de trouver un moyen d’éviter la « rotation » et de forcer la tenue de nouvelles élections avant sa remise prévue à Gantz, cette théorie tient, il n’aurait pas pris autant de peine pour la construction de l’équipe ministérielle maintenant et dans 18 mois.
Enfin, peut-être. Encore une fois, seul Netanyahu connaît tous les paramètres qui se cachent derrière les choix qui ont déclenché une mini-rébellion dans la faction de la Knesset du Likud jeudi, forcé le report à dimanche de la prestation de serment du gouvernement d’urgence, récompensé certaines personnalités relativement marginales qui ne lui posent aucun problème, tout en contrariant d’autres qui pourraient le faire.
Ce que nous savons, c’est que la coalition présentée dimanche par Netanyahu et Gantz met heureusement fin à une période sans précédent d’un peu plus de 500 jours pendant laquelle Israël n’a pas eu de gouvernement pleinement opérationnel, mais que sa composition pléthorique, avec toutes sortes de postes ministériels tout à fait inutiles, illogiques et coûteux, est une insulte aux Israéliens – et une insulte surtout à un moment où un quart de la main-d’œuvre du pays est au chômage.
Ironiquement, c’est la crise de la pandémie de coronavirus qui a poussé Gantz à abandonner sa promesse, faite lors des trois élections, de ne pas siéger au gouvernement avec Netanyahu tant que le leader du Likud serait inculpé pour corruption. Israël sort provisoirement de cette crise – avec la réouverture des magasins, le retour à l’école cette semaine et la baisse des nouveaux cas de contagion vers le point zéro – mais doit maintenant faire face à l’effondrement économique causé par ses restrictions strictes.
Et pourtant, le gouvernement « d’urgence » ostensiblement rendu nécessaire par la crise, mandaté pour se concentrer dans ses premiers mois sur l’impact de la pandémie, est emblématique d’un ego politique débridé et d’une démesure budgétaire financée par les contribuables.

Le premier gouvernement d’Israël, formé par David Ben Gurion en mars 1949, comptait 12 ministres. Ben Gurion a été à la fois Premier ministre et ministre de la Défense. Un de ses collègues, Haim Moshe-Shapiro, était responsable de la Santé, de l’Immigration et des Affaires intérieures.
Une population croissante et des défis multiples ont peut-être nécessité une équipe ministérielle plus nombreuse au fil des décennies, mais une loi fondamentale adoptée en 1992 et supprimée par la suite ne prévoyait pas plus de 18 ministres, et un groupe d’experts a également conclu, il y a deux ans à peine, que 17 ministères suffisaient. Au lieu de cela, Ariel Sharon a battu les records précédents en 2003 avec un effectif ministériel dans la vingtaine, Netanyahu est arrivé à 30 en 2009, mais notre nouveau gouvernement brise tous les excès précédents avec un nombre stupéfiant de 35 ministres.
Ainsi que jusqu’à 16 vice-ministres.
Et ce nombre devrait passer à 36 dans six mois.
Chacun a un bureau, des secrétaires, des conseillers, une voiture, un chauffeur…
Toutes sortes de chiffres ont circulé ces derniers jours concernant le coût de tout cela. Le montant le plus élevé que j’ai entendu jusqu’à présent est d’un milliard de shekels, soit environ 250 millions d’euros, bien que la manière dont il est calculé et ce qu’il couvre exactement ne soit pas du tout clair.
Netanyahu a fait valoir que le coût d’une quatrième élection, si cette coalition ne s’était pas formée, aurait été considérablement plus élevé. Mais cela ne justifie pas les ressources gaspillées pour satisfaire les ego politiques, l’indifférence à l’égard du symbolisme égoïste d’un tel excès, et la création manifestement illogique de portefeuilles ministériels – faisant de la notion d’un ministre supervisant efficacement des hiérarchies aussi diverses une risée en faisant de la notion de ministre un objet de dérision par rapport à l’efficacité de la supervision de ces diverses hiérarchies
Un autre chiffre dont on parle beaucoup concerne le ratio qui a servi à calculer le nombre de sièges au sein du gouvernement. Netanyahu et Gantz auraient nommé leurs équipes sur la base du fait que chaque parti de la coalition obtiendrait environ un ministre pour 3,5 membres de la Knesset, avec Kakhol lavan évalué en fonction de sa force avant son effondrement, et avec des ajustements et des compensations sous la forme de présidences de commissions. Ce qui amène à se demander pourquoi, dans une coalition exceptionnellement large, ils n’ont pas simplement réduit ce ratio.
La réponse, dans un gouvernement établi sur le principe d’une représentation égalitaire du bloc de Netanyahu et de celui de Gantz – que cela aurait laissé trop d’aspirants ministres sans poste – n’est tout simplement pas suffisante.
En présentant son gouvernement dimanche après-midi, Netanyahu a fait valoir, à juste titre, que le coût d’une quatrième élection, si cette coalition ne s’était pas formée, aurait été considérablement plus élevé. Mais cela ne justifie pas les ressources gaspillées pour satisfaire les ego politiques, l’indifférence à l’égard du symbolisme égoïste d’un tel excès, et la création manifestement illogique de portefeuilles ministériels – faisant de la notion d’un ministre supervisant efficacement des hiérarchies aussi diverses une risée en faisant de la notion de ministre un objet de dérision par rapport à l’efficacité de la supervision de ces diverses hiérarchies.
S’il s’agit d’un retour à la politique comme d’habitude, on peut pardonner au public de se demander si nous n’aurions pas mieux fait de nous en passer.
La victoire de Netanyahu ; le pari de Gantz
Il est clair que le nouveau gouvernement marque une immense victoire personnelle pour Netanyahu, qui restera en poste pendant les 18 prochains mois. Son opposition est radicalement réduite par la volte-face de Gantz. Il a fait partir Rafi Peretz de Yamina et a également relégué dans l’opposition un Naftali Bennett et une Ayelet Shaked humiliés. Le Parti travailliste est à deux tiers à l’intérieur, à un tiers à l’extérieur, et n’est absolument pas significatif. Un ultra-loyaliste (Amir Ohana) est à la tête du ministère de la Sécurité publique, la police étant potentiellement aux prises avec de nouvelles enquêtes sur ses transactions financières.

Et largement négligé, mais peut-être le plus savoureux de tous pour Netanyahu, l’ancien proche allié qui l’a empêché de former une coalition au début de cette saga électorale de 16 mois à trois reprises, Avigdor Liberman, a été totalement marginalisé, sa carrière politique n’ayant guère de chances de se rétablir.
Pour Gantz, la coalition est un pari. Il prétend avoir agi par principe, avoir fait passer Israël en premier, affirmant que sa présence et celle de ses collègues à cette vaste table améliorera la gestion par le gouvernement de la crise pandémique, préservera la démocratie israélienne, favorisera l’unité et l’État de droit.
Mais son alliance avec Yair Lapid et Moshe Yaalon s’est effondrée, conséquence inévitable de son passage à Netanyahu. Il a renoncé à son droit d’empêcher l’annexion unilatérale de certaines parties de la Cisjordanie – ce à quoi il s’oppose ; notamment, il n’a fait aucune mention de la question dans son discours dimanche alors que Netanyahu l’a soulignée. Il n’y aura pas de nouvelle tentative pour généraliser la conscription des ultra-orthodoxes et/ou le service national.
Et il doit maintenant attendre 18 mois pour voir si Netanyahu – dont il a fait l’éloge dimanche pour avoir « courageusement » accepté la volonté des électeurs et fixé une date, le 17 novembre 2021, pour le transfert de la direction d’Israël – honorera cette promesse.
Les deux principaux protagonistes de notre nouveau gouvernement se méfient complètement l’un de l’autre. Gonflé et bâti de manière chaotique, le gouvernement qu’ils ont formé part du mauvais pied.
A tout autre moment, présenté par Netanyahu et Gantz avec un gouvernement d’une telle extravagance manifeste, on aurait pu souhaiter un fléau sur leurs deux maisons. En ce moment, alors que le pays lutte pour se remettre du coronavirus tout en faisant face à des défis nouveaux et familiers à l’intérieur et à l’extérieur, nous ne pouvons que souhaiter qu’ils se souviennent tardivement qu’ils sont nos représentants élus, et non des prima donna qui nous dominent à nos dépens. Ils sont censés être les serviteurs, et non les exploiteurs, du peuple.
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