France : ouverture du premier procès de l’ultradroite aux assises
L'enquête a mis en évidence des achats d'armes et des recherches d'informations sur des cibles potentielles comme des mosquées parisiennes ou le CRIF
A l’ouverture à Paris du premier procès aux assises pour terrorisme d’ultradroite, l’un des principaux accusés a reconnu lundi avoir « envisagé des projets de violence », tout en assurant qu’il n’aurait pas pu « passer à l’acte ».
Quatre hommes de la mouvance néonazie âgés de 22 à 28 ans sont jugés pour association de malfaiteurs terroriste devant la cour d’assises des mineurs – l’un d’eux était âgé de moins de 18 ans au moment des faits, en 2017 et 2018.
Si le huis clos est normalement la règle aux assises des mineurs, le président de la cour a décidé de rendre les débats publics, sur demande de l’avocat général.
Les accusés participaient depuis 2017 à un forum privé nommé « projet WaffenKraft » – « puissance de feu » -, créé par Julien (prénom modifié), 17 ans à l’époque.
Au-delà de l’idéologie néo-nazie revendiquée, les discussions avaient « très rapidement dérivé vers l’élaboration de projets terroristes sous l’impulsion d’Alexandre Gilet », le « plus radical et plus motivé » du groupe, selon l’accusation.
Parmi les cibles évoquées, des mosquées ou le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF).
« J’ai envisagé des projets de violence. Mais je me sentais pas psychologiquement en capacité de passer à l’acte », affirme Alexandre Gilet dans le box, T-shirt noir, bouc et mèche sur le côté.
Ses trois coaccusés, qui comparaissent libres sous contrôle judiciaire, reconnaissent des discussions à caractère « raciste et antisémite » mais « aucune intention terroriste ».
Grenoblois issu d’un milieu modeste, Alexandre Gilet voit son père, cuisinier, et sa mère, aide-ménagère, se séparer quand il a 3 ans.
L’enquêtrice de personnalité décrit un enfant « très introverti », souvent absent en cours, passant « l’essentiel de son temps sur sa console » de jeux vidéo. Après un CAP vente, il s’engage à 19 ans dans l’armée, par « patriotisme » et « goût des armes ». Mais il ne termine pas ses classes en raison d’une blessure au pied.
« Dévoué à la cause »
Les attentats jihadistes du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis l’ont « traumatisé » et conduit à vouloir « défendre son pays », a-t-il assuré à l’enquêtrice de personnalité. A l’expert psychologue, il parle d’une « volonté de se venger ».
Il investit alors de façon intensive les réseaux sociaux, soucieux d’échanger avec des personnes partageant ses convictions, un processus d' »auto-radicalisation » selon lui.
« Depuis les attentats il avait un peu un discours d’extrême droite, (il disait) qu’il aimait pas les étrangers », observe son père à la barre.
« Pour moi c’est pas un leader », estime-t-il toutefois. « Je pense qu’ils ont dit beaucoup de choses avec ses amis et qu’ils se sont pas rendus compte de ce qu’ils disaient. Ils se sont monté la tête ».
A l’automne 2016, il intègre la gendarmerie comme « adjoint volontaire », un statut à durée déterminée. Il fréquente un club de tir et achète plusieurs armes, dont trois fusils semi-automatiques.
Son père se dit surpris, « parce que c’est tout ce que je ne suis pas », mais « il avait les autorisations de la préfecture, je me suis pas inquiété plus que ça ».
A l’été 2018, on lui annonce que son contrat dans la gendarmerie ne sera pas renouvelé, suite à un refus d’obtempérer sur la base aérienne où il est affecté.
« J’avais l’impression d’être considéré comme un malpropre alors que je m’étais vraiment dévoué à la cause », se remémore Alexandre Gilet.
Pendant l’enquête, le commandant de son unité avait souligné que le supérieur hiérarchique direct du jeune homme était « musulman », semblant faire un lien avec son insubordination. A la barre, il tempère, assurant que ce supérieur « ne se sentait pas victime ».
Quelques jours plus tard, en septembre 2018, Alexandre Gilet est arrêté, après avoir tenté de passer commande de produits précurseurs d’explosifs.
Le commandant lui signifie alors sa mise à pied. « Il est parti dans des explications, il a parlé de guerre civile, du fait qu’il ne renoncerait pas à ses idéaux », assure-t-il.
« J’avais un positionnement idéologique radical que je regrette et que je n’ai plus », affirme l’accusé, qui cite aujourd’hui « (Donald) Trump et (le Premier ministre nationaliste hongrois Viktor) Orban » comme références politiques.
Le procès doit durer jusqu’au 30 juin.