Frustrés par son approche prudente, les Palestiniens cessent de croire en Biden
Les responsables de Ramallah sont heureux de voir la solution à 2 États revenir sur le devant de la scène, mais regrettent son refus de rouvrir les ambassades ou d'adopter Abbas
RAMALLAH, Cisjordanie – !un sentiment d’euphorie s’était abattu sur Ramallah quand Joe Biden avait été élu président des États-Unis au mois de novembre 2020.
Les responsables palestiniens expliquent que cet enthousiasme avait eu finalement plus à voir avec le départ de Donald Trump du pouvoir qu’avec le retour d’un démocrate dans le Bureau ovale. Il faut dire que les relations entre les Américains et les Palestiniens étant tombées à leur point le plus bas au cours des quatre années précédentes. Ramallah avait rompu les liens avec Washington après la reconnaissance par Trump de Jérusalem en tant que capitale d’Israël en 2017. Le président républicain avait riposté en coupant pratiquement toutes les aides versées aux Palestiniens, en fermant la mission diplomatique palestinienne à Washington et en fermant aussi le consulat des États-Unis à Jérusalem, qui servait d’ambassade de facto aux Palestiniens.
De son côté, Biden avait fait campagne en disant qu’il reviendrait sur toutes les mesures prises par son prédécesseur – ce qui avait entraîné des attentes croissantes, à Ramallah, sur ce qui pourrait être finalement envisageable au cours des quatre années à venir.
Mais, un an et demi plus tard, ces grandes espérances ont été déçues. Quatre responsables palestiniens confient au Times of Israel ne plus croire que les États-Unis tiendront leurs promesses – sans même parler de prendre des initiatives audacieuses dont l’objectif serait de résoudre le conflit.
Leur premier grief est relatif au consulat de Jérusalem, que les États-Unis n’ont toujours pas rouvert face à l’opposition des Israéliens. Les officiels de l’administration répètent ouvertement que la question figure encore à l’ordre du jour mais, en privé, ils admettent qu’ils ne feront rien de contraire aux souhaits d’Israël, leur allié de longue date.
Le président américain doit se rendre au sein de l’État juif à la fin du mois prochain, pour un voyage qui comprendra un arrêt en Cisjordanie – il y rencontrera alors le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Mais il y a peu d’espoir à Ramallah que cette visite soit susceptible d’entraîner un changement marqué dans les priorités de Washington.
« Nous attendons encore que cette administration tienne les promesses qui nous ont été faites. Et aujourd’hui, en particulier avec la crise entre l’Ukraine et la Russie, les États-Unis ne prendront pas d’initiatives tangibles et concrètes », explique Ahmad Majdalani, un haut-responsable de l’Organisation de libération de la Palestine.
En réponse à cette critique, un officiel américain, s’exprimant sous couvert d’anonymat, déclare comprendre la frustration exprimée par Ramallah tout en insistant sur le fait que Washington tente de « faire de son mieux compte tenu des circonstances actuelles ».
Malgré un leadership palestinien affaibli et une coalition israélienne fragile, l’administration des États-Unis est parvenue à persuader Jérusalem de prendre une série de petites mesures permettant de dynamiser l’économie palestinienne et de renforcer l’AP, a noté l’officiel américain. « Notre positionnement en faveur de la survie d’une solution à deux États n’est pas seulement théorique », signale-t-il.
De l’espoir, mais pas de changement
Alors que la réouverture du consulat reste improbable et que la résurrection du bureau diplomatique de l’OLP est encore plus compromise, Biden a par ailleurs rapidement tenu sa promesse de campagne concernant la reprise du versement des aides humanitaires aux Palestiniens, à hauteur de plus de 500 millions de dollars.
Il a aussi réadopté une rhétorique favorable à la solution à deux États – tout en affirmant toutefois que les deux parties ne sont pas prêtes, actuellement, pour des négociations de haut-rang qui pourraient aboutir à une paix dans ce cadre. Biden a aussi rétabli la police américaine de longue date d’opposition à l’expansion des implantations israéliennes, même si sa réponse aux initiatives qui ont été prises dans ce sens au sein de l’État juif, depuis son arrivée à la Maison Blanche, n’a été que de pure forme.
Et pourtant, ces initiatives ont montré sa bonne volonté et l’AP n’y a pas été insensible, ne se défendant pas quand les responsables américains ont expliqué ne pas vouloir rouvrir le consulat avant que le nouveau gouvernement israélien n’adopte son budget, au mois de novembre dernier, afin d’optimiser la stabilité de la coalition qui venait de prendre le pouvoir à Jérusalem.
« Nous avons fait preuve de patience en attendant le moment que Biden choisirait pour revenir sur les mesures de Trump mais les États-Unis ont même contrevenu à leur propre calendrier », déplore un responsable palestinien en rappelant que le secrétaire d’État américain Antony Blinken avait annoncé que son administration allait faire en sorte de tenir sa promesse sur la réouverture du consulat au mois de mai dernier déjà.
Le mois de mai dernier, peu après une flambée de violences d’onze jours qui avait opposé Israël aux groupes terroristes de Gaza au sein de l’enclave côtière, un conflit s’était conclu relativement rapidement grâce à l’administration Biden et grâce, surtout, à des efforts diplomatiques accrus livrés par l’Égypte. Biden s’était entretenu avec Abbas pour la toute première fois en tant que président pendant la guerre et il avait souligné l’importance de travailler avec l’AP en vue de la reconstruction de la bande de Gaza de manière à ce que le Hamas ne puisse pas en profiter quand la situation s’était apaisée.
« Le sentiment qui régnait, au mois de mai dernier, c’était que les États-Unis étaient revenus dans la course », dit le responsable palestinien, s’exprimant sous couvert d’anonymat. « Mais depuis ce moment-là, rien n’a changé. »
Perte d’influence
Et même sur des questions qui ne nécessitent pas un quelconque degré de coopération israélienne, Ramallah n’a constaté aucune avancée de la part des États-Unis.
Ibrahim Eid Dalalsha — ancien conseiller du consul-général américain à Jérusalem et actuel directeur du Centre d’études politiques et de couverture médiatique Horizon, à Ramallah – souligne les demandes soumises par l’AP à Biden visant à abroger une législation adoptée par le congrès en 1987 qui désigne l’OLP et ses affiliés comme des organisations terroristes. Annuler cette loi simplifierait grandement les efforts à faire pour rouvrir la mission de l’OLP à Washington, et les responsables palestiniens avaient confié au Times of Israel, l’année dernière, qu’ils étaient prêts à réformer leur politique controversée de paiements effectués aux terroristes si les États-Unis, de leur côté, accédaient à cette requête.
Israël et les États-Unis disent que le système d’allocations sociales de l’AP, qui comprend des versements d’argent aux prisonniers sécuritaires et aux familles des terroristes tués, est une incitation au passage à l’acte terroriste et ils réclament l’abandon de cette pratique.
« Mais l’administration américaine a perdu son influence sur les dirigeants palestiniens », indique Dalalsha, qui présume que les Palestiniens n’avanceront pas d’un pouce sur un certain nombre de réformes en raison de l’incapacité de Biden à tenir ses promesses concernant le renversement des initiatives qui avaient été prises par Trump. C’est ce que nous avaient aussi déclaré des officiels palestiniens, au début de l’année.
« Ca peut paraître insignifiant mais quand vous nous comparez au Premier ministre Naftali Bennett qui a été invité à la Maison Blanche, qui s’est entretenu au téléphone avec Biden à plusieurs reprises, vous constaterez qu’Abbas n’a rien eu de ça », affirme un diplomate palestinien. « Et pourtant, cela pourrait réparer grandement la relation et cela ne coûte pas tant que ça à Biden. »
Le haut-diplomate prédit toutefois que les liens entre les États-Unis et l’Autorité palestinienne ne se détérioreront pas autant qu’à l’époque de l’administration Trump. « Il y a cette satisfaction de voir qu’il a changé le narratif concernant la solution à deux États » après que son prédécesseur a rompu avec ce cadre traditionnel. Le plan de paix proposé par Trump évoquait « une solution à deux États réaliste », accordant une relative autonomie à l’AP sur les territoires de la Cisjordanie à l’exception de toutes les implantations juives.
Le train raté de la normalisation
Nullement convaincue que des négociations de paix de haut-rang puissent avoir lieu actuellement entre Israéliens et Palestiniens, l’administration Biden a tenté d’incorporer les Palestiniens dans les Accords d’Abraham de manière à ce que les bénéfices à tirer d’une coopération régionale renforcée puissent profiter aussi à Ramallah.
Du côté de l’AP, qui affirme que l’administration Trump a négocié les accords de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc afin d’entièrement court-circuiter Ramallah, l’enthousiasme est pour le moins modéré.
Évoquant un reportage d’Axios, qui laissait entendre que les États-Unis envisageaient d’utiliser la visite de Biden dans la région, le mois prochain, pour organiser un nouveau rassemblement des leaders de la région au cours d’une réunion similaire à celle qui avait eu lieu lors du Sommet du Neguev, au mois de mars, Dalalsha estime qu’une telle éventualité ne ferait qu’affaiblir encore Abbas.
« Ils préfèrent se focaliser sur la dite ‘paix régionale’ et sur la normalisation que sur la paix entre Israéliens et Palestiniens », regrette-t-il.
Mais l’ancien ambassadeur des États-Unis au sein de l’État juif, Dan Shapiro, n’est pas d’accord.
« Il y a une forte perception que les Palestiniens sont déterminés à rester en marge et à ne prendre aucune initiative propre, ignorant l’une des sources potentielles d’énergie positive dans la région – la normalisation », explique-t-il.
« Ils doivent reconnaître qu’il y a un processus qui avance dans la région et quand le train quitte la gare, vous avez le choix : soit vous montez à bord, soit vous restez sur le quai », ajoute Shapiro, professeur émérite au programme Moyen-Orient de l’Atlantic Council.
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