Guerre et chômage poussent les Gazaouis à l’émigration clandestine
"On estime que des milliers de personnes ont quitté clandestinement la bande de Gaza ces deux derniers mois"
La disparition de dizaines de Gazaouis dans le récent naufrage d’un bateau chargé de 500 clandestins en Méditerranée témoigne du drame, longtemps passé sous silence, de ces Palestiniens prêts à tout pour fuir la guerre et le chômage.
Oussama, un Gazaoui installé aux Emirats arabes unis, est sans nouvelle depuis 12 jours de son frère Yasser, 23 ans, qui se trouvait sur ce bateau avec 500 migrants originaires du Moyen-Orient déchiré par les conflits.
« Il a été diplômé l’an dernier et depuis, comme tous les jeunes, il est au chômage. Il n’y a aucun horizon pour eux à Gaza », raconte Oussama à l’AFP. « J’ai essayé de le faire venir aux Emirats mais, après avoir vu plusieurs de ses amis réussir à rejoindre l’Europe par bateau, il a décidé de partir ».
« Il m’a appelé le 5 septembre à 22H15 et il m’a dit : ‘demain matin, on embarque’. Aujourd’hui, j’attends qu’on nous communique les noms des rescapés pour savoir s’il est toujours vivant ».
Yasser est parvenu à quitter la bande de Gaza, pourtant étroitement surveillée par les Israéliens et les Egyptiens, en passant en Egypte par Rafah. Une fois sur la côte, il a payé près de 3 000 dollars à des Egyptiens.
« On ne sait jamais à qui on donne cet argent, ils disparaissent et un jour on reçoit un coup de téléphone qui dit ‘rendez-vous à tel endroit’. Là-bas, les migrants sont emmenés vers Alexandrie où un bateau attend », rapporte Oussama, selon le récit que lui a fait son frère et son cousin, arrivé en Belgique il y a un mois.
Aucun chiffre précis
Depuis le début de l’année, 2 890 Palestiniens ont débarqué en Italie, évalue l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) tout en reconnaissant le caractère aléatoire du chiffre.
A Gaza, impossible d’obtenir des chiffres précis. « On estime que des milliers de personnes ont quitté clandestinement la bande de Gaza ces deux derniers mois, en particulier pendant la guerre », affirme à l’AFP un défenseur des droits de l’Homme.
« Comme ils sont passés par les tunnels qui mènent vers l’Egypte, une sortie du territoire illégale et secrète, nous ne disposons d’aucun chiffre précis », ajoute ce militant qui garde l’anonymat parce que le sujet est tabou à Gaza.
Dans le petit territoire contrôlé par le mouvement islamiste Hamas, les autorités ont longtemps évité le sujet. Aujourd’hui, elles le minimisent. Iyad al-Bozoum, porte-parole de l’ex-gouvernement du Hamas, évoque des « cas isolés qui n’atteignent pas des centaines ».
Certaines familles attendent dans l’anxiété des nouvelles de proches, comme les al-Masri, à Khan Younès, l’avant-dernière ville avant la frontière égyptienne. Quinze de leurs proches sont toujours portés disparus.
Mercredi, selon le récit de deux rescapés palestiniens, les passeurs ont sabordé l’embarcation des clandestins parce qu’ils refusaient de monter à bord d’un autre bateau qui leur semblait trop petit pour tous les accueillir.
Comme les Syriens, Egyptiens et Soudanais à bord, les membres de la famille al-Masri rêvaient de gagner l’Europe, loin de leur territoire détruit par trois guerres en six ans.
« Ils ont trouvé un passeur qui devait les faire rejoindre l’Italie depuis Alexandrie », rapporte un proche de la famille.
A la merci de ‘criminels’
Une fois au bord de la Méditerranée, les Palestiniens se retrouvent à la merci de « criminels », affirme l’ambassade de Palestine à Athènes, qui dénonce celui qui a sabordé les 500 migrants mercredi comme un « criminel en fuite se faisant appeler Abou Hamada ».
Les deux rescapés ont rapporté à l’OIM avoir payé chacun 2 000 dollars. Cet argent, ont-ils dit, ils l’avaient reçu pour reconstruire leur maison détruite pendant la guerre. Mais ils ont préféré le donner à ce qu’ils ont appelé « une agence de voyage » à Gaza, un de ces « agents » qui jouent les intermédiaires.
« Si les Gazaouis étaient libres de leurs mouvements, des dizaines de milliers de jeunes fuiraient le pays car tous leurs horizons sont bouchés ici », témoigne Raji Sourani, directeur de l’influent Centre palestinien des droits de l’Homme basé à Gaza.