Israël en guerre - Jour 338

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Harish : un espace de jeux, champ de bataille improbable entre Haredim et laïcs

Diversifiée, se développant rapidement, la ville est vue comme un test grandeur nature de la coexistence après qu'une altercation sur le respect du Shabbat a fait les gros titres

Tirtza Carmi, une résidente de Harish, et une amie portent un tee-shirt sur lequel est écrit : "Combattante de la liberté" lors d'une manifestation contre la coercition religieuse à Harish, en Israël, le 27 mai 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)
Tirtza Carmi, une résidente de Harish, et une amie portent un tee-shirt sur lequel est écrit : "Combattante de la liberté" lors d'une manifestation contre la coercition religieuse à Harish, en Israël, le 27 mai 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Pour pénétrer dans l’espace de jeux préféré de son fils, Idit Beilinson doit lui faire franchir une barrière constituée de cinq policiers armés et de deux gardiens de la sécurité tout en muscles qui se tiennent en demi-cercle autour de l’entrée.

Un dispositif sécuritaire qui peut sembler déplacé pour un tel endroit – un petit espace souterrain de jeux, dont la principale attraction est une chasse à l’œuf frénétique pour les enfants âgés de 3 à 14 ans qui se déroule dans une pièce remplie de balles en plastique blanches.

C’est pourtant la nouvelle réalité à Harish, une ville émergente située entre Netanya et Haïfa qui – même s’il s’agit de l’un des projets urbains qui se développe le plus rapidement en Israël, avec une population très diversifiée – est devenue une localité particulièrement sensible dans le conflit opposant certains Juifs laïcs et certains Juifs ultra-orthodoxes en matière de respect et de pratique publique du Shabbat.

La scène de samedi, qui a lieu devant l’espace de jeux White Pool de Harish, est le résultat d’une terrible altercation survenue le week-end précédent, quand plusieurs dizaines de Juifs haredim extrémistes ont violemment manifesté contre le fait que l’espace dédié aux enfants, qui a récemment ouvert ses portes, était ouvert à Shabbat. Une femme a raconté qu’elle avait été bousculée par un homme ultra-orthodoxe après avoir saisi un haut-parleur pour contre-manifester. Elle a aussi déclaré qu’un autre homme l’avait faite tomber à terre.

« Je sais qu’il est possible qu’il y ait des désagréments à venir ici mais mon fils voulait quand même venir et, vraiment, quel type d’exemple lui donnerais-je en lui disant que j’ai trop peur ? », explique Beilinson, mère de quatre enfants et enseignante. La salle est d’ores et déjà bien remplie, les parents faisant tranquillement la queue pour passer à la caisse.

La nouvelle de l’incident a été relayée dans tout le pays en raison de l’endroit où il s’est produit – dans un espace pour les enfants situé dans une ville accueillant majoritairement la classe moyenne – et le moment où il a eu lieu, pendant une vague de manifestations dirigées par des leaders de gauche et centristes pour dénoncer la coalition de droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu et cinq formations religieuses.

La police est arrivée sur le site en avance pour prévenir les violences. Des dizaines d’habitants de la ville et d’autres, venus d’ailleurs, sont également là pour défendre leur droit à poursuivre leurs activités du quotidien pendant la journée juive de repos.

Des manifestants avec un panneau en yiddish qui dit : « Pas de jeux à Shabbat, vous ne voudrez pas prier à Shabbat » lors d’une manifestation contre la coercition religieuse à Harish, en Israël, le 27 mai 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Les manifestants – un grand nombre portent des tee-shirts arborant les slogans issus du récent mouvement de protestation dénonçant le projet de réforme du système judiciaire israélien avancé par Netanyahu et d’autres politiques controversées déjeunent sur une place située aux abords de l’espace de jeu. Ils y restent pendant des heures. Un haut-parleur laisse échapper des sons techno-pop alors qu’au même moment, des familles locales – un grand nombre d’entre elles pratiquant le Shabbat – traversent la place en silence.

« Je n’aime pas non plus le phénomène Toldot Aharon, même si certains de ses disciples sont des gens bien, que ce sont de bons voisins », déclare Ran Azoulay, un résident religieux et père de quatre enfants en faisant référence à une secte hassidique isolationniste et extrêmement pieuse. « Mais ce genre de rassemblement à Shabbat, avec de la musique, ce n’est pas une bonne réponse à apporter parce qu’en faisant ça, ils perdent mon soutien et le soutien des Juifs pratiquants ».

Il s’avère rapidement que les manifestants laïcs ne rencontreront aucune résistance, samedi. Aucun des membres de la communauté Toldot Aharon locale, dont les membres avaient organisé la manifestation qui avait entraîné l’altercation, le 20 mai, ne se présentent. Un grand nombre a quitté la ville pour la fête de Shavouot, se rendant à Jérusalem où la secte est particulièrement présente. Ses membres ont pour règle de ne pas parler avec les médias et mes tentatives visant à pouvoir m’entretenir avec des disciples du groupe, à Harish, sont restées vaines.

Même en leur absence, la présence de dizaines de manifestants laïcs – avec, parmi eux, un activiste radical qui utilise un langage de haine à l’encontre des Juifs haredim – montre bien que le conflit, au sein de la localité, est ancré dans une fracture idéologique profonde qui sépare de plus en plus les Juifs Israéliens de tout le pays.

Moshe Suhami, an centre, venu avec d’autres habitants de Ramat Hashaon pour manifester contre la coercition religieuse à Harish, en Israël, le 27 mai 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Moshe Suhami, avocat âgé de 56 ans et père de trois enfants originaires de Ramat HaSharon, une banlieue de Tel Aviv, a fait le voyage jusqu’à Harish – une ville devenue « un microcosme d’Israël », selon lui, « dans la mesure où la localité est en train de devenir rapidement une théocratie obscurantiste » – avec plusieurs autres activistes après avoir appris par les médias l’altercation la nouvelle qui a eu lieu la semaine dernière.

« Si vous me le demandez, je pense qu’ils devraient orienter ces haut-parleurs vers la synagogue, qu’ils devraient manifester à la synagogue », confie-t-il au Times of Israel avant d’ajouter que chez lui, il diffuse régulièrement de la musique forte à Shabbat pour narguer et gêner une synagogue voisine.

Dans un entretien accordé au Times of Israel comme dans ses discussions avec des participants à la manifestation, Suhami prône la violence meurtrière dans les lieux de culte et contre les fidèles haredim, dont il parle en termes dénués d’humanité.

Pour certains résidents, une partie de la beauté de Harish réside très précisément dans ce mélange de population, qui persiste malgré la popularité croissante du cloisonnement qui redessine d’ores et déjà le visage de certaines parties d’Israël.

« Nous vivons tous dans cette ville et nous y avons tous notre place. Nous devons nous respecter les uns les autres afin de profiter au mieux de cette expérience vécue ensemble », avait écrit dans une chronique publiée sur le site Harish24, en 2019, Tal Aizenman, qui dit habiter Harish et en être fier. Il évoquait, dans son article, la projection d’un film où les couples religieux étaient assis séparément et où les couples laïcs avaient leur propre section mixte.

La police et des agents de la sécurité à l’entrée de l’espace de jeu White Pool à Harish, en Israël, le 27 mai 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Aucune des personnes présentes lors du rassemblement – qui est organisé par HaLiberalim, une faction de centre-gauche siégeant au conseil municipal de Harish – ne dénonce les discours de haine de Suhami, pourtant tenus à voix forte et auprès de plusieurs interlocuteurs. Toutefois, aucun autre manifestant interrogé par le Times of Israel ne se permet par ailleurs de prononcer des paroles aussi extrêmes.

« Je ne pense pas qu’ils soient réellement motivés par ce maintien des activités à Shabbat », commente pour sa part Shani Greenberg, membre de HaLiberalim et adjointe au maire de Harish, évoquant les membres de la secte Toldot Aharon. « Ce qu’ils veulent en réalité, c’est nous faire partir nous, la population forte, libérale et laïque de Harish, et nous n’allons pas les laisser faire. Si ça gêne quelqu’un, la porte est grande ouverte. Il suffit de partir », explique Greenberg, mère de deux enfants qui s’est installée à Harish il y a sept ans.

La ville, nichée entre les collines boisées qui surplombent les rivières Narbeta et Iron, était, dans les années 1980, un avant-poste militaire pris en sandwich entre Baqa al-Gharbiya et Kfar Qara, deux importantes villes arabes du « Triangle », une zone stratégiquement déterminante à la frontière avec la Cisjordanie.

Puis, dans les années 1990, il avait été décidé que l’avant-poste deviendrait une ville accueillant des Israéliens haredim et religieux – un plan qui avait été abandonné alors que la localité connaissait une croissance rapide entraînée par des prix particulièrement attractifs, sa proximité avec le centre du pays et le caractère pittoresque du site, qui avaient séduit des centaines de familles juives appartenant à tous les courants.

Construction de nouveaux bâtiments résidentiels dans la ville de Harish, au nord d’Israël, le 15 janvier 2019. (Crédit : Flash90)

Le prix du logement est encore relativement abordable au sein de la localité – mais il a toutefois doublé, voire triplé à Harish, où la moitié des 35 000 résidents à peu près est religieuse et où 20 % de la population est haredi.

C’est une ville pratique – avec des écoles, des crèches et deux centres commerciaux aux deux extrémités de la ville, qui compensent l’uniformité peu surprenante des nombreuses résidences d’appartements qui ressemblent à celles de Modiin.

Il y a environ 9 000 habitants, chaque année, qui viennent vivre à Harish et la ville devrait accueillir environ 100 000 résidents à l’horizon 2035. D’ici là, elle devrait s’enorgueillir d’une nouvelle gare ferroviaire, ce qui devrait rendre la localité encore plus attractive pour les Israéliens qui travaillent à Tel Aviv, à Haïfa et même à Jérusalem.

Une vue aérienne de Harish, au mois de novembre 2021. (Crédit : Eldar Eldadi/Wikimedia Commons)

« La ville a un potentiel énorme et plein de points forts et de points faibles », explique Tzipi Brayer Sharabi, la femme qui a raconté avoir été agressée en date du 20 mai. « Les points forts, c’est la communauté et c’est une vie agréable que vous pouvez constater de vos propre yeux », dit-elle, désignant les manifestants réunis sur la place.

« Les points faibles, vous pouvez aussi les voir », dit-elle, montrant son bras enveloppé dans un bandage – son bras qui a été blessé lorsqu’elle a été bousculée par plusieurs protestataires ultra-orthodoxes.

Brayer Sharabi déclare que son mari insiste dorénavant pour qu’elle sorte équipée d’une bombe lacrymogène – en particulier après l’incident. « Moi, je n’ai pas peur et en réalité, je n’ai jamais eu peur. Même les haredim les plus radicaux, ici, sont habituellement non-violents. Peut-être y en a-t-il un ou deux qui le sont », poursuit-elle.

Comme plusieurs résidents de la ville présents à la manifestation, elle ne sait pas si elle restera vivre à Harish. Les élections locales du mois de novembre seront un moment crucial, note-t-elle. Elle n’est pas satisfaite du maire actuel, Yitzhak Keshet, qui est religieux et qui, l’année dernière, avait été menacé par un résident après avoir autorisé certains commerces à ouvrir à Shabbat.

Keshet, dont le bureau n’avait pas répondu à une demande d’interview dans le cadre de cet article au moment de sa rédaction, a condamné l’agression présumée du 20 mai.

« Mais je n’ai pas l’impression qu’il nous soutienne », précise Brayer Sharabi. Malgré des frictions, dans le passé, qui ont été entraînées par l’ouverture de certaines entreprises à Shabbat, « on ne ressent pas, de manière générale, de tension sur les questions de la religion dans la rue. Les Juifs laïcs et Haredim vivent côte à côte, ils se côtoient dans les mêmes immeubles. C’est seulement dans les espaces publics que les choses se compliquent », ajoute-t-elle.

Brayer Sharabi se donne deux ans pour réfléchir à son avenir à Harish.

« Actuellement, le caractère de la ville est encore en cours de formation, avec notamment l’équilibre des pouvoirs qui se définit entre les populations ultra-orthodoxe et laïque ou sur les domaines de consensus qui pourront être trouvés », explique-t-elle. « D’ici 2025, je crois que nous saurons tous quelle sera l’orientation claire qui sera prise ».

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