Identités cachées, la direction du Hamas opère dans la plus grande discrétion
Après l'élimination de nombreux de ses commandants, le groupe terroriste reste discret sur les noms de ses dirigeants, cherchant plutôt à afficher une image de puissance collective

Ereinté par la guerre contre Israël, orphelin de ses chefs historiques, le groupe terroriste palestinien du Hamas est parvenu à se doter d’une nouvelle hiérarchie, se protégeant derrière une opacité prudente sur fond de dissensions internes quant à son avenir à Gaza.
Le groupe terroriste palestinien a replacé la question palestinienne au cœur du dossier proche-oriental en perpétrant un pogrom en Israël, le 7 octobre 2023, au cours duquel plus de 1 200 personnes ont été tuées et 251 autres ont été enlevées et emmenées de force à Gaza.
En réponse à ce pogrom, le plus meurtrier de l’histoire du pays et le pire mené contre des Juifs depuis la Shoah, Israël, qui a juré d’anéantir le Hamas et de libérer les otages, a lancé une opération aérienne suivie d’une incursion terrestre dans la bande de Gaza, qui a commencé le 27 octobre.
Cette opération militaire, entamée il y a dix-huit mois, a considérablement affaibli le groupe terroriste.
Exit Ismaïl Haniyeh, chef de la branche politique, Muhammed Deif, chef de la branche armée, Yahya Sinwar, principal instigateur du 7 octobre. Tous éliminés comme tant d’autres responsables terroristes, dans des bombardements, des assassinats ciblés et des combats.
Cependant, contrairement à son allié le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, dont le culte de la personnalité autour de son chef assassiné Hassan Nasrallah était un pilier essentiel de son identité, le Hamas a moins mis l’accent sur ses hauts dirigeants.

Le groupe terroriste palestinien du Hamas, en particulier sa branche armée, les Brigades Ezzedine al-Qassam, demeure protégé par une culture digne d’un service de renseignement. « Le nom du chef d’al-Qassam restera secret », assure une source proche des brigades.
Toutefois, les observateurs contactés par l’AFP désignent Mohammed Sinwar, frère de Yahya, comme étant au cœur des décisions relatives aux négociations, à la question des otages israéliens et à la gestion de la branche armée.
Ce patronyme, outre son expérience au sein des Brigades Ezzedine al-Qassam, lui confère une autorité certaine.
« La personnalité de Yahya Sinwar était assez singulière. Le fait d’être son frère lui donne cette légitimité un peu par capillarité, de la famille de celui qui est considéré comme un héros par les militants », relève Laetitia Bucaille, professeure de sociologie politique à l’Inalco, à Paris.
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« Nature collégiale du pouvoir »
En dépit des objectifs d’éradication du Hamas, revendiqués par Israël, le groupe terroriste a survécu à la guerre.
La perte de ses cadres « affecte sa force, mais temporairement », estime Yasser Abu Hein, fondateur de l’Agence de presse palestinienne Safa, basé à Gaza.
« Les coups ne peuvent pas poser une menace existentielle […] Israël ne pourra pas l’éliminer. »

Un membre du bureau politique du Hamas, qui a souhaité rester anonyme, décrit des décisions prises à la majorité et des membres de ce directoire nommés par le Conseil de la Choura, sorte de parlement du groupe terroriste palestinien.
« Nous ne révélerons pas l’identité des nouvelles têtes. Il y a désormais une volonté de garder le secret sur les personnalités et de conserver une nature collégiale du pouvoir », explique Leila Seurat, du Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (CAREP).
« Ce n’est pas un mouvement qui repose sur un leader charismatique. »
Affaibli par les frappes quotidiennes, le Hamas est confronté à des demandes de renonciation au pouvoir non seulement de la part d’Israël, mais aussi de puissances du monde entier et même de certains Palestiniens.
Le groupe terroriste palestinien aura besoin de toutes ses têtes pensantes pour dessiner son avenir après-guerre, déterminer sa capacité d’influence et son rôle dans la bande de Gaza dont il a pris la tête en 2007, suite à un coup d’État sanglant ayant alors chassé le Fatah, le parti laïc du dirigeant de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas.
Israël s’était retiré unilatéralement de la bande de Gaza en 2005.
Israël insiste sur le fait que le Hamas ne peut jouer aucun rôle dans le gouvernement de Gaza une fois la guerre terminée.
Dissidence
L’AP, dont des décennies de corruption ont contribué à l’ascension du Hamas, s’est présentée comme une entité dirigeante crédible pour l’enclave.
Au sein du Hamas, les discussions font rage sur la question de savoir s’il faut céder le pouvoir.
Début mars, le Soufan Center, à New York, citait des sources selon lesquelles « le débat interne s’est intensifié au point où certains dirigeants politiques ont envisagé de rompre avec les dirigeants militaires [armés] du groupe à Gaza ».
Moussa Abu Marzouk, cadre supérieur impliqué dans les négociations avec Israël, a même déclaré au New York Times fin février que de son point de vue, si le groupe terroriste avait « anticipé ce qui s’est passé, il n’y aurait pas eu de 7 octobre ».

Seurat souligne que le Hamas a toujours connu des dissensions depuis au moins une quinzaine d’années, notamment entre les cadres de Gaza et de l’étranger, concernant notamment la vision stratégique, les printemps arabes et l’alliance avec l’Iran.
Mais même certains Gazaouis expriment désormais leur exaspération, après une guerre qui a ravagé l’enclave.
Fin mars, quelques centaines de personnes ont manifesté contre le groupe terroriste palestinien, seul maître à Gaza depuis 2007. « Hamas dehors », « Hamas terroriste » scandaient-elles, alors que des appels aux rassemblements circulaient sur Telegram.
Le groupe terroriste avait violemment réprimé les précédentes manifestations. Cette fois-ci, aucune intervention directe n’a été constatée, ce que certains ont interprété comme un signe de son déclin suite à la campagne militaire israélienne.
« Il y a des Palestiniens qui souhaitent que le Hamas s’en aille. Il y en a qui lui ont toujours été opposés. Et il y en a qui sont juste excédés, tellement éprouvés qu’ils pensent que la seule chose qui leur reste à faire, c’est de demander le départ du Hamas », note Seurat. Mais « ça ne prend pas ».
Car quelles que soient ses difficultés, le groupe terroriste ne souffre d’aucune concurrence dans la bande de Gaza. « Ils ont encore une poigne de fer. C’est eux qui contrôlent la situation », tranche Bucaille.
Dès le début du cessez-le-feu en janvier, rompu depuis, des terroristes et policiers du Hamas étaient ainsi apparus lourdement armés et impeccablement équipés. Ils sont incontournables.
Les Gazaouis « n’ont pas les moyens de s’y opposer de quelque manière que ce soit. Ils sont épuisés, et préoccupés par le fait de se trouver un toit et de manger », ajoute l’experte.

« Même si le Hamas a été affaibli, il n’y a rien pour le moment qui s’oppose à sa capacité de nuisance. »
Un cessez-le-feu décrété en janvier a mis fin aux combats pendant plusieurs semaines et a permis la libération de dizaines d’otages par petits groupes, mais la trêve a échoué en raison d’accusations mutuelles de violations. Israël a repris ses frappes sur Gaza afin de faire pression sur le Hamas pour qu’il accepte de négocier la libération d’un plus grand nombre d’otages, tandis que le groupe terroriste a déclaré qu’il ne le ferait que si cela conduisait à la fin totale de la guerre.