Israël et les Etats-Unis : « Je t’aime, moi non plus » ?
Les causes de la méfiance dans la relation israélo-américaine et de leurs conséquences
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
![Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le secrétaire d'Etat américain John Kerry pendant une conférence de presse à Jérusalem, le 15 septembre 2013. (Crédit : Emil Salman/Pool/Flash90) Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le secrétaire d'Etat américain John Kerry pendant une conférence de presse à Jérusalem, le 15 septembre 2013. (Crédit : Emil Salman/Pool/Flash90)](https://static-cdn.toi-media.com/fr/uploads/2014/01/F130915FFES03-e1379263967728-965x543-640x400.jpg)
Alors que le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas est entré en vigueur mardi dernier, la question s’est immédiatement posée de savoir qui avait gagné ce conflit de 50 jours.
Trouver un gagnant peut s’avérer difficile, mais trouver certains des perdants, l’est moins. Avec les victimes des deux côtés, c’est la relation israélo-américaine qu’on peut considérer comme le grand perdant de ce conflit.
Le 27 juillet, après trois semaines de guerre, après que le Hamas ait rejeté la proposition égyptienne, le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a tenté avec ses homologues du Qatar et de Turquie de tenter de forger un projet, à Paris, pour inciter le Hamas à cesser ses tirs.
Les pourparlers de Paris ont produit un avant-projet, un ordre du jour pour que le Hamas et Israël reprennent leurs pourparlers sous les auspices égyptiens. Les États-Unis ont rapidement envoyé ce document au Premier ministre Benjamin Netanyahu « pour commentaires et suggestions ».
Les responsables américains ont été surpris par la réponse israélienne.
Irrité par le contenu du projet, Netanyahu a transmis le texte à son cabinet de sécurité de huit membres, où il a été rejeté à l’unanimité. Le contenu du document et le mécontentement du gouvernement israélien ont immédiatement fuités ; et les médias israéliens ont commencé à se demander si les États-Unis avaient volontairement souhaité miner la position d’Israël.
Les États-Unis ont cru que le document était une consultation secrète. Mais Netanyahu était tellement horrifié par son contenu – tout comme les ministres favoris de l’Amérique, la ministre de la Justice Tzipi Livni et le ministre des Finances Yair Lapid – qu’il a décidé de l’utiliser pour envoyer un message à la fois à l’Amérique et au Hamas. Il n’y aurait aucune offre jusqu’à l’arrêt des roquettes par les islamistes.
Même maintenant, des semaines plus tard, il est difficile pour les Israéliens de comprendre comment cette crise a été comprise par les Américains.
Les États-Unis avaient l’impression que leur travail, mis en place pour aider Israël, était d’attirer le Hamas au Caire, où les négociations sur un cessez-le-feu réel allaient commencer.
Pour atteindre cet objectif, Kerry a cru bon d’accepter de placer les exigences du Hamas comme autant de sujets de discussion sur l’agenda du Caire – pas d’acquiescer à leur demande, mais d’accepter tout simplement d’en parler une fois les tirs de roquettes arrêtés.
En mettant les exigences du Hamas sur le devant de la scène, et peut-être en sous-estimant celles d’Israël, les diplomates américains, cajolés par les Turcs et les Qataris, espéraient convaincre le Hamas de venir au Caire et de cesser le feu.
Les États-Unis ont vu cela comme une carotte tactique et ont estimé que cela était coordonné avec Israël. Kerry est resté en « contact quasi-permanent avec les responsables israéliens, de l’Autorité palestinienne et égyptiens pour les tenir informés et gagner leur confiance sur toutes les discussions » a déclaré un responsable américain à la rescousse de Kerry après que la crise ait éclaté. Le projet de l’ordre du jour de cessez-le-feu « n’avait rien à voir avec les exigences du Hamas » a poursuivi le haut fonctionnaire.
![John Kerry avec le ministre des Affaires étrangères turques, Ahmet Davutoglu, à gauche, et le ministre des Affaires étrangères qatari, Khalid al-Attiyah à Paris le 26 juilliet 2014 (Crédit : Département d'Etat américain) John Kerry avec le ministre des Affaires étrangères turques, Ahmet Davutoglu, à gauche, et le ministre des Affaires étrangères qatari, Khalid al-Attiyah à Paris le 26 juilliet 2014 (Crédit : Département d'Etat américain)](https://static.timesofisrael.com/fr/uploads/2014/08/John-Kerry-avec-le-ministre-des-Affaires-étrangères-turques-Ahmet-Davutoglu-à-gauche-et-le-ministre-des-Affaires-étrangère-qatari-Khalid-al-Attiyah-à-Paris-le-26-juilliet-2014-Crédit-Département-dEtat-américain-305x172.jpg)
Mais cette « aide » américaine n’a pas été gérée correctement. Kerry n’a pas compris que, pour Netanyahu, les pourparlers de cessez-le-feu étaient eux-mêmes une partie centrale de la conduite de la guerre.
Netanyahu n’a jamais cherché à conquérir Gaza ou à anéantir le Hamas en réponse à des tirs de roquettes et des tunnels d’attaque transfrontaliers, mais plutôt à exiger un prix à payer et à viser la capitulation du Hamas pour son agression. Une manière de démontrer que le groupe terroriste ne pouvait pas en faire qu’à sa tête et mettre une pression psychologique permanente sur la population civile israélienne.
L’empressement de Kerry pour connaître les exigences du Hamas, le fait même de tenter de l’attirer à des négociations alors que les tirs de roquettes se poursuivaient, ont été perçus à Jérusalem comme une tentative de laisser libre cours au Hamas sans qu’il n’ait appris la leçon. Bien intentionnées ou pas, les actions de Kerry ont compromis la stratégie de guerre fondamentale de Netanyahu.
La conférence de Paris était-elle un pari pour amener le Hamas au Caire (comme les responsables américains l’ont suggéré) ou bien une manoeuvre pour mettre fin plus tôt aux combats, comme a pu le soupçonner Netanyahu ? Le fait que les Américains aient été surpris par la réaction israélienne a suggéré à Jérusalem que les Etats-Unis ne comprenaient pas vraiment la stratégie israélienne.
Pendant ce temps, les États-Unis n’étaient pas disposés à accorder à Israël sa demande la plus critique – que Washington mette la pression sur son allié, le Qatar, pour menacer le Hamas politiquement et financièrement. Les États-Unis possèdent de vastes intérêts au Qatar y compris plusieurs bases de leur flotte ainsi que des milliards en ventes d’armes pour cette seule année.
Tous ces facteurs brossent donc un sombre tableau des relations israélo-américaines à un moment critique.
L’Amérique a cru mettre son capital politique et ses alliances régionales au service d’Israël pour mettre fin au conflit (la proposition égyptienne) et a été stupéfaite – voire s’est sentie insultée par la réponse entièrement non diplomatique d’Israël à ces efforts.
Israël, aussi, a été assommé, sortant de la crise avec une profonde méfiance des intentions américaines. Avec le soupçon que Kerry avait mal compris la stratégie d’Israël et la crainte que l’aide américaine devienne limitée.
Mais les deux gouvernements ont récolté ce qu’ils avaient semé.
Le coût pour Israël
Tensions et malentendus américano-israéliens ont été mis à nu dans ce conflit. Avec des coûts évidents.
Même une semaine après la fin des hostilités, Israël et le Hamas sont encore en train de définir le conflit comme une réussite de leur côté. Israël aspire à imposer au Hamas ce qui se veut la preuve la plus irréfutable – une demande arabe et internationale unifiée que l’organisation doit se désarmer.
Israël estime que cet objectif est réalisable. Le grand gagnant du désarmement de Gaza serait l’Autorité palestinienne, qui reprendrait le contrôle de la bande de Gaza, de la politique palestinienne en général, et de la politique palestinienne envers Israël.
Abbas soutient la demande de désarmement complet, mais pas quand c’est Israël qui en est à l’origine. Pendant ce temps, l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, pour ne pas mentionner les Etats-Unis et l’Union européenne, tous cherchent l’affaiblissement du Hamas.
Mais le meilleur espoir d’Israël pour construire effectivement un accord international sur le désarmement de Gaza ne se trouve pas dans les accords bilatéraux avec ces pays, dont certains sont toujours officiellement opposés à l’existence d’Israël.
La semaine dernière, la ministre de la Justice, Tzipi Livni, a proposé qu’Israël cherche une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU exigeant que le Hamas désarme.
Le passage d’une telle résolution permettrait de clarifier au monde entier – et aux habitants de Gaza – les conditions dans lesquelles Israël et l’Egypte permettraient la reconstruction de Gaza, et de montrer que la communauté internationale appuie cette position. (Et le désarmement, cela va sans dire, est la seule voie possible pour la restauration de la bande de Gaza entre les mains de l’Autorité palestinienne, sans laquelle aucune paix israélo-palestinienne globale n’est envisageable).
Mais, une telle résolution ne se ferait pas sans frais. Le processus de rédaction de l’ONU – essentiellement mené par des ennemis d’Israël – produirait sans doute une résolution allant à l’encontre des intérêts d’Israël et de son narratif du conflit.
Grâce à son droit de veto et à ses alliances, il serait beaucoup plus facile pour les Etats-Unis que pour Israël de mettre en place une résolution de désarmement par le Conseil de sécurité. Certes, Israël n’a pas perdu l’Amérique. Et certains rapports dans les médias régionaux suggèrent que les États-Unis ont peut-être déjà travaillé sur une résolution à l’ONU en vue de ce désarmement.
Mais le simple fait que les responsables israéliens et américains aient tant de mal à mener une politique diplomatique commune à un moment aussi critique pour Israël montre les écueils de la crise de confiance – elle est presque permanente – entre Jérusalem et Washington. Cela suggère que les deux gouvernements ne communiquent pas bien au plus haut niveau, ce qui les amène à s’interroger sur les motivations de l’autre et sur leur fiabilité mutuelle. Cette tension limite ainsi leur capacité à coopérer sur des intérêts communs.
Dans ce cas, la difficulté apparente des deux administrations à travailler ensemble pourrait peut-être voler à Israël sa volonté de recadrer le narratif du conflit d’une manière qui place la responsabilité des défaillances à réhabiliter Gaza sur la seule belligérance du Hamas.
Le coût pour l’Amérique
Inévitablement, les États-Unis souffrent moins de cette perte de confiance, pour la raison évidente que l’Amérique elle-même, et ses intérêts, sont tellement plus grands. Mais l’Amérique, aussi, risque aussi d’être perdante dans cet échec de coordination. Et en particulier l’administration Obama.
L’écrivain américain de gauche Peter Beinart a qualifié le président américain Barack Obama de « minimaliste cruel ».
« Quand il s’agit du Moyen-Orient » écrit-il dans The Atlantic,
« Obama n’est ni une colombe, ni un faucon. C’est un minimaliste cruel (…) Des centaines de milliers d’hommes peuvent mourir en Syrie ; les talibans peuvent menacer de déstabiliser l’Afghanistan ; l’Iran peut se rapprocher du nucléaire. Peu importe. A de rares exceptions près, Obama ne dégaine son épée que contre ceux dont il juge qu’ils pourraient tuer des civils américains ».
Cette lecture de la politique d’Obama, par un observateur généralement en faveur de sa politique, montre que l’Amérique d’Obama ne repose plus autant sur la puissance militaire pour peser sur les affaires du monde. Au lieu de cela, la Maison Blanche fonde son action sur l’effet de levier diplomatique.
Cet accent mis sur la diplomatie suggère que les diplomates américains portent maintenant un fardeau plus lourd. La puissance de feu est toujours là, bien sûr, mais le monde devient désormais de plus en plus conscient qu’elle ne sera pas utilisée.
Et si les diplomates américains doivent tenter de combler l’immense vide laissé par la réduction de l’appétit de leur pays de recourir au hard power par son seul talent et son intelligence (dans les deux sens). Alors que l’Amérique devient moins imposante, les intérêts des autres pays et des besoins politiques augmentent en importance, et les représentants de l’Amérique doivent aussi apprendre à mieux les interpréter.
Une partie de cette nouvelle insistance américaine sur la diplomatie doit notamment montrer à un monde sceptique que dans une période de réduction des engagements militaires, l’amitié diplomatique et économique de l’Amérique reste un atout précieux.
Israël, au-delà d’être un allié et si souvent défini comme l’un des plus proches « amis » de l’Amérique, se trouve aussi régulièrement dans la confrontation avec la superpuissance. Et fait souvent valoir que la superpuissance lui tourne le dos. Beaucoup se demandent ouvertement si cela signale un manque de volonté américaine – ou bien son incapacité – à soutenir amis et alliés.
A Gaza, en Irak et en Ukraine, la critique la plus mordante n’est pas que l’armée américaine (ou plutôt, son commandant en chef) ait été intimidé, mais que les diplomates américains aient été à plusieurs reprises surpris par les événements. Si une Amérique qui a dirigé le monde grâce à son armée a décidé de passer le relais aux diplomates, ceux-ci doivent être en mesure de faire un meilleur travail.
Beaucoup dépend maintenant du désarmement de Gaza : le futur des habitants de Gaza, la sécurité des Israéliens, la perception au Moyen-Orient que le radicalisme islamiste sera mis à mal dans la région.
Ce n’est pas un hasard si le sujet qui a uni Israël et l’Autorité palestinienne, pour ne pas mentionner les Saoudiens, les Jordaniens, les Égyptiens et les autres – soit le désarmement comme condition préalable à la réhabilitation de la bande de Gaza.
Mais la réalisation du désarmement de Gaza, comme tant d’autres choses dans ce monde dépend dans une large mesure de la capacité de la première puissance mondiale d’interagir intelligemment et efficacement avec un partenaire israélien désormais inquiet, une région soupçonneuse et un monde sceptique.
L’Amérique sera-t-elle à la hauteur ?