Keir Starmer, nouveau chef du Labour, s’excuse pour l’antisémitisme
Il avait pourtant été accusé de ne pas avoir fait assez contre l'antisémitisme au sein du parti alors que la famille paternelle de son épouse est juive

Le nouveau chef du Parti travailliste Keir Starmer, élu à une large majorité samedi, a tout de suite présenté ses « excuses » pour l’antisémitisme qui sévit au sein de sa formation, le principal parti d’opposition britannique.
Le ministre des Affaires étrangères israélien, Israël Katz, s’est félicité de l’élection du nouveau président. « J’espère qu’il tiendra sa promesse d’éradiquer l’antisémitisme qui a émergé au sein du parti ces dernières années et, à l’instar des anciens dirigeants travaillistes, il renforcera l’amitié entre la Grande-Bretagne et Israël », a déclaré Katz dans un communiqué diffusé samedi soir.
Dans une allocution télévisée diffusée juste après son élection par les membres de son parti, il a déclaré : « Au nom du Labour, je m’excuse », s’engageant à « extirper le poison » de l’antisémitisme, une « tache sur le parti ».
En portant Starmer à leur tête, les travaillistes britanniques ont choisi une figure modérée et europhile, un ancien avocat spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, pour mener l’opposition dans le Royaume-Uni de l’après-Brexit.
Cet homme de 57 ans au visage carré a réussi à rallier les centristes du parti, tout en parvenant à conserver le soutien des partisans de son prédécesseur, le très à gauche et très controversé Jeremy Corbyn.
Cet ancien avocat responsable depuis trois ans du Brexit pour les travaillistes, qui faisait figure de favori, l’a emporté avec 56,2 % des voix des membres du parti, face à ses deux rivales quadragénaires, Rebecca Long-Bailey (loyale à Corbyn – 27,6 %) et Lisa Nandy (16,2 %), selon les résultats communiqués par le parti.
Les quelque 600 000 membres du Labour ont par ailleurs désigné Angela Rayner, chargée des questions d’éducation au sein du parti, comme la nouvelle cheffe adjointe.
It’s the honour and privilege of my life to be elected as Leader of the Labour Party.
I will lead this great party into a new era, with confidence and hope, so that when the time comes, we can serve our country again – in government. pic.twitter.com/F4X088FTYY
— Keir Starmer (@Keir_Starmer) April 4, 2020
Né le 2 septembre 1962, Keir Starmer avait pour camarade d’école le DJ Fatboy Slim, avec qui il prenait des cours de violon.
Son père était tourneur-ajusteur, sa mère, infirmière souffrant d’une grave maladie auto-immune, ce qui l’a amené à fréquenter les hôpitaux depuis sa jeunesse.
Après des études de droit, à Leeds puis Oxford, il devient avocat et se spécialise dans la défense des droits de l’Homme. C’est ainsi qu’il mènera des batailles judiciaires contre la peine de mort dans les Caraïbes ou défendra des salariés de McDonald poursuivis pour avoir critiqué l’enseigne.
En 2008, il passe de défenseur à accusateur, en prenant la tête du parquet d’Angleterre et du Pays de Galles, poste qu’il occupera jusqu’en 2013.
Pendant cette période, il mène les poursuites contre des députés abusant de leurs frais de mandats, mais essuie des critiques pour avoir initialement refusé d’engager des poursuites contre un policier dans l’affaire de la mort d’un vendeur de journaux lors des manifestations de 2009 lors du G20 à Londres.
Fan d’Arsenal, il est passionné de foot, et joue tous les week-ends.
Son épouse, avec qui il a deux enfants, travaille pour le NHS, le service public de santé britannique, qui a été au coeur de sa campagne. Victoria Alexander est d’origine juive et, à travers elle, il a de la famille élargie à Tel-Aviv.
« La famille de ma femme est juive. Son père est juif, leur famille a immigré de Pologne. La famille élargie vit en Israël », a-t-il déclaré au journal britannique Jewish News en février.
Il n’est jamais allé dans l’État juif, mais « nous sommes en contact régulier avec eux et nous avons prévu plusieurs visites, essentiellement pour faire découvrir le pays à nos enfants ».
Il dit avoir assisté à de nombreux dîners de Shabbat avec les parents de sa femme et s’est rendu dans des synagogues londoniennes pour assister à des bar-mitsva et des mariages.
Lors d’un événement de campagne organisé par la branche du mouvement travailliste juif, d’autres candidats se sont dits « sionistes », Starmer, lui, était hésitant.
« Je soutiens le sionisme », a-t-il assuré plus tard à Jewish News. « Je soutiens absolument le droit d’Israël à exister en tant que patrie. Ma seule préoccupation est que le sionisme peut signifier des choses légèrement différentes pour différentes personnes, et… dans une certaine mesure, il a été militarisé. Je ne voudrais pas trop m’étendre sur ce sujet. Je l’ai dit haut et fort – et j’étais sincère – que je soutenais le sionisme sans réserve ».
Il l’a également dit au Jewish Chronicle : « Si la définition de ‘sioniste’ est quelqu’un qui croit en l’État d’Israël, dans ce sens, je suis sioniste ».
Pourtant, ce sont surtout ses liens personnels avec le judaïsme qui ont valu à Keir Starmer d’être critiqué par certains pour ne pas avoir fait assez contre l’antisémitisme lorsqu’il faisait partie du cabinet fantôme de Corbyn. Certains l’ont même accusé de chercher à cacher ses liens avec le judaïsme alors que la question était controversée au sein du Parti travailliste.
Le Daily Mail a publié samedi des commentaires qui auraient été faits par le regretté rabbin londonien David Goldberg, décédé l’année dernière d’un cancer. Un ami de ce dernier a rapporté que le rabbin lui avait dit qu’il était « très déçu de Keir Starmer ».
« D’autant plus que sa femme et ses enfants sont membres de ma synagogue. C’est leur communauté qui est menacée, et pourtant il a fait si peu. C’est pathétique », a-t-il dit en citant David Goldberg.

Keir Starmer n’a jeté aux orties ni le programme – qui prévoit des nationalisations massives – ni le radicalisme de l’ancien chef de parti travailliste, qui a subi aux élections législatives du 12 décembre une défaite sans commune mesure depuis 1935, notamment en raison de l’antisémitisme au sein du parti qu’il a laissé se propager et du manque de clarté sur sa position sur le Brexit.
Chargé depuis 2016 au sein du parti de cette question qui a déchiré le pays pendant plus de trois ans, Keir Starmer s’est nettement démarqué de la ligne attentiste de Jeremy Corbyn, en se prononçant pour un nouveau référendum et surtout pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.
Juste après le vote qui a vu le « leave » l’emporter à 52 % en juin 2016, il a fait partie du mouvement de rébellion au sein du Labour contre Jeremy Corbyn, étrillé pour sa molle campagne pour le maintien dans l’UE.
Keir Starmer devra rassembler et mener à la victoire un parti éclaté par les divisions, qui a perdu les clés de Downing Street au profit des conservateurs depuis dix ans.
Ni corbyniste ni blairiste (du nom de l’ancien Premier ministre Tony Blair, au libéralisme assumé), Keir Starmer déclarait en décembre au Guardian : « Je n’ai pas besoin du nom de quelqu’un d’autre tatoué sur le front pour savoir ce que je pense ».
Dans une allocution télévisée diffusée juste après son élection, Keir Starmer a immédiatement promis de dépasser les nombreuses divisions qui rongent le parti : sur la ligne radicale ou plus libérale que doit adopter le Labour, mais aussi entre eurosceptiques et pro-UE sur la question du Brexit ou encore sur la gestion de l’antisémitisme au sein du parti, que Jeremy Corbyn n’a pas su ou voulu (selon beaucoup) endiguer.
« Je comprends l’ampleur de la tâche », a assuré Keir Starmer. « Notre mission est de rétablir la confiance dans notre parti », a-t-il poursuivi. « Je mènerai ce grand parti dans une nouvelle ère (…) de manière à ce quand le moment viendra, nous puissions de nouveau servir notre pays dans un gouvernement. »
Les prochaines élections législatives sont prévues en 2024.
« Il y a vraiment beaucoup de ressentiment et de méfiance », explique Steven Fielding, expert politique à l’université de Nottingham, à l’AFP. « Le premier défi (du nouveau chef) sera de mettre une équipe en place qui apparaîtra au moins comme ayant la capacité d’unifier le parti ».
« Starmer va être le bureaucrate compétent, celui qui fait les choses. (…) Il demandera au gouvernement de rendre des comptes », poursuit Fielding.
Selon Andrew Rawnsley, éditorialiste de l’hebdomadaire de gauche The Observer, « beaucoup s’interrogent sur sa capacité à inspirer ».
Sérieux, habile, parfois décrit comme terne face à un Boris Johnson, au pouvoir depuis juillet, et haut en couleurs, Keir Starmer a plus un profil de juriste que de politique pur jus.
Il n’est d’ailleurs membre du Parlement que depuis 2015, élu dans la circonscription de Holborn et Saint-Pancras à Londres. Dans la foulée de la démission d’Ed Miliband après la défaite des travaillistes – la pire depuis 1987 – les proches de Keir Starmer le pressent de se lancer dans la course à la tête du parti. Faute d’expérience, il refusera et apportera son soutien à Andy Burnham, battu par Jeremy Corbyn.
Comme les chefs des autres partis de l’opposition, Keir Starmer a été convié par le Premier ministre Boris Johnson à participer la semaine prochaine à un briefing sur l’épidémie de nouveau coronavirus.
« En tant que chefs de partis, nous avons le devoir de travailler ensemble en cette période d’urgence nationale », a écrit M. Johnson publiée samedi sur son compte Twitter.
Keir Starmer s’est engagé samedi à collaborer « de manière constructive » avec l’exécutif « dans l’intérêt national », tout en disant qu’il ne manquerait pas de pointer les faiblesses de l’exécutif le cas échéant.
En raison de la pandémie de coronavirus, le nom du vainqueur n’a pas été annoncé comme prévu au cours d’une conférence spéciale mais plus modestement sur le site internet du parti, les candidats ayant enregistré à l’avance leurs discours en cas de victoire.