La conférence des Juifs religieux de gauche voit ses effectifs augmenter
Pour offrir une alternative aux politiciens religieux de droite, l'organisation de la "gauche fidèle" israélienne a parlé de la guerre à Gaza et des otages lors de sa deuxième conférence annuelle
Des centaines de personnes se sont retrouvées mercredi soir dans le bâtiment Heichal Shlomo de Jérusalem pour la deuxième conférence annuelle de Smol Emuni, la « Gauche fidèle », qui entend offrir une communauté aux Juifs religieux de gauche qui se sentent seuls dans une sphère politique aujourd’hui dominée par la droite religieuse israélienne.
Après le succès de la conférence, en 2023, les dirigeants de ce mouvement populaire s’attendaient à ce que les événements tragiques du 7 octobre et la guerre affectent la participation à cette deuxième réunion.
« La période est compliquée : nous sommes conscients que nous ne réunirons peut-être pas le même nombre de personnes que l’an dernier », confiait l’organisateur Mikhael Manekin au Times of Israël, quelques heures avant l’événement.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Mais à 19h, selon les organisateurs, ce sont près de 900 personnes qui se sont présentées, soit une forte augmentation par rapport aux 600 participants de l’an dernier, dans le sillage des élections à la Knesset.
Le rassemblement a attiré des gens de tous les horizons de la vie juive. Depuis l’étage, on pouvait voir un océan de personnes portant sheitels, foulards, kippots tricotées et même chapeaux noirs, se presser dans le hall avant de gagner l’étage pour écouter les discours sur la scène principale.
Même si les organisateurs ont fait l’effort du consensus, idéologique et religieux, cela n’a pas empêché les principaux orateurs d’aborder des questions polémiques, relatives à la guerre à Gaza ou à un possible accord sur le sort des otages.
« Depuis le début de la guerre, nous sommes très impliqués dans la question de la libération des otages », a déclaré l’organisateur Brit Yakobi au Times of Israël. « Dans la Torah, la pidyon shvuyim (rédemption des captifs) est une mitsva très importante, aussi nous nous considérons comme ceux qui disent d’une voix claire qu’ils doivent tout faire pour ramener de Gaza ceux qui sont vivants. »
Donnant le ton pour le reste de la conférence, le rabbin Daniel Epstein a ouvert son discours en invitant l’auditoire à penser la guerre en des termes humanitaires, rappelant que ces questions définiraient le peuple juif pour les années à venir.
« Comme nos sages nous l’ont enseigné : ‘Celui qui est vraiment sage anticipe les conséquences de ses actes’ – le jour d’après », a-t-il rappelé, utilisant l’expression largement utilisée pour décrire Gaza dans l’après-guerre.
« Peut-être que d’autres diront que ce n’est pas le bon moment pour s’engager dans des questions philosophiques, métaphysiques, mais je suis d’avis que c’est le bon moment, parce qu’il va définir l’avenir que nous laisserons à nos enfants. »
Le discours d’Epstein a été suivi d’une table ronde au sujet des victimes du 7 octobre, animée par la journaliste Gal Gabay, avec Hannah Katsman, la mère du militant pacifiste assassiné Hayim Katsman, l’artiste Jacky Levy, dont cinq membres de la famille sont otages du Hamas à Gaza, et Adina Bar-Shalom, la fille du défunt grand rabbin séfarade Ovadia Yosef.
Pour commencer le panel, Gabay a demandé à Katsman si quelque chose « s’était brisé en elle » lorsque son fils Hayim, dont la pierre tombale porte les mots « un homme de paix », a été assassiné par ses supposés partenaires pour ladite paix.
Katsman a dit, dans un petit rire, qu’elle ne pensait pas que le Hamas avait été le « partenaire de la paix » de Hayim, avant de se lancer dans un rappel de la vie de son fils, de sa thèse de doctorat sur le sionisme religieux et de son activisme en Cisjordanie et à Gaza.
Levy a souligné qu’il ne pensait pas être un homme de gauche, mais qu’il avait néanmoins trouvé un terrain d’entente avec la foule à travers sa critique acerbe du gouvernement israélien, qui, selon lui, utilise le discours de la « victoire décisive » contre le Hamas pour ignorer le sort des otages encore captifs à Gaza – ainsi que leurs familles.
« Il y a cette image de la victoire, comme si [le chef du Hamas Yahya] Sinwar pouvait être mis dans une cage sur la place Rabin, et que les gens pouvaient acheter des billets pour venir le voir, que ce serait si spectaculaire que les gens oublieraient ce qui s’est passé le 7 octobre », a-t-il déclaré. « Rien n’effacera le 7 octobre… C’est une catastrophe, et il n’y a rien que l’on puisse faire face à une catastrophe. »
Bar-Shalom s’est montré ferme sur l’impératif d’initiatives « terre contre paix » avec les Palestiniens, une position déjà promue par son père, chef spirituel du parti Shas dans les années 1990 au moment des accords d’Oslo.
« Pendant longtemps – jusqu’au 7 octobre -, nous n’avons pas essayé, nous n’avons pas choisi la voie de la partition et de la création d’un autre État à côté de l’État d’Israël, un État démilitarisé, bien sûr », a déclaré Bar-Shalom. « [À la place], nous avons pris le plus lourd fardeau, le Hamas, et en avons fait un ‘atout’ afin que nous n’ayons pas à diviser la terre ou à faire la paix. »
Nombre des participants à cette conférence ont grandi dans un environnement de droite, mais Shai Furstenberg, âgé de 24 ans, a lui été élevé par des parents orthodoxes libéraux, combinaison qui, enfant, le distinguait de ses pairs sionistes religieux.
« J’ai toujours eu le sentiment que ma famille était un peu différente des autres, plus ‘traditionnelles’, dont Bnei Akiva pense que nous venons », a déclaré Furstenberg au Times of Israël, en évoquant le mouvement de jeunesse sioniste religieux. « J’ai toujours eu envie de remettre en question ce qu’on nous disait là-bas. »
Pour Furstenberg, la conférence de l’an dernier a marqué un tournant dans sa vie, car c’était la première fois qu’il entrait dans un espace clairement de gauche et religieux.
Selon Furstenberg, le seul homme à remercier pour ce qu’il qualifie d’ouverture à « gauche » des sections libérales de la communauté juive religieuse est le ministre de la Sécurité intérieure d’extrême droite, Itamar Ben Gvir.
« Quand Ben Gvir est devenu le visage des Juifs religieux en Israël, nous avons dû nous lever et dire : ‘Nous ne sommes pas comme lui’ », a-t-il déclaré. Nous, les religieux, aimons parler d’achdut (unité) et d’autres choses, mais c’est parfois le moyen d’échapper à des débats politiques importants. J’espère que [lors de cette conférence], nous allons ramener l’attention sur ces questions cruciales. »
Bon nombre de ces « questions cruciales » ont été soulevées lorsque les participants se sont divisés en sous-groupes. Les lycéens religieux présents ont pu se joindre à un cercle de jeunes, tandis que les soldats récemment rentrés de Gaza ont été invités à une discussion fermée au grand public, dirigée par un ancien membre du personnel de Breaking the Silence, organisation d’anciens combattants anti-occupation de Tsahal.
Une salle du troisième étage s’est très rapidement remplie d’une cinquantaine de personnes curieuses d’en savoir plus sur les effets de la guerre sur Gaza et ses habitants.
Abed Shehadah, urbaniste arabe de Lod qui a de la famille immédiate, côté maternel, dans la ville de Gaza, a introduit la conversation en disant qu’une grande partie de son enfance, presque tous les week-ends jusqu’à la Seconde Intifada, s’est déroulée dans la bande de Gaza.
Il a décrit comment, depuis la fermeture de la bande de Gaza aux Israéliens après la prise du pouvoir par le Hamas en 2007, il fêtait les anniversaires et les mariages de ses proches via les réseaux sociaux, faute de pouvoir le faire de visu. La plupart de ses proches se trouvent aujourd’hui à Rafah, après avoir fui la ville de Gaza.
L’organisatrice haredi Tzipora Gutman a déclaré que son soutien à la guerre, plein et entier au début, s’était estompé au fil des mois.
« Dès les premiers jours, j’ai bien compris qu’il se passait des choses terribles, mais que faire ? Il y avait eu un massacre de masse, nous devions nous défendre et le Hamas avait pris des otages ». « J’étais incapable de ressentir de la compassion. »
Son point de vue a commencé à changer lorsqu’elle a vu, comme elle l’explique, les informations venues de Gaza, décrivant la famine et les déplacements généralisés.
Évoquant l’histoire biblique de Sodome et Gomorrhe, dans laquelle Abraham supplie Dieu de ne pas détruire les villes afin de ne pas tuer d’innocents, Gutman a rappelé la présence de civils innocents dans l’enclave, qui, a-t-elle déploré, est négligée par des pans entiers de la société israélienne.
« Les gens parlent de la Torah dans le contexte de la vengeance, mais presque jamais dans celui de la patience, de l’empathie, de la vision de l’autre », a déclaré Yakobi. « Particulièrement en ces temps difficiles, nous pensons que la Torah et le judaïsme ont quelque chose de spécial à dire. »
Au-delà de la conférence, que Smol Emuni entend organiser chaque année, sont régulièrement organisés des cours en ligne, via Zoom, sur les traditions et l’histoire juives. L’organisation n’a toutefois pas l’intention de se lancer en politique de sitôt.
Yakobi a exprimé des doutes sur le fait que Smol Emuni fédère un jour la majorité des Juifs israéliens religieux, ajoutant néanmoins que la conférence était importante pour offrir une voix à la minorité religieuse de gauche en Israël.
« La plupart du temps, nous nous sentons seuls : c’est notre seul jour pour être ensemble », a-t-elle conclu.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel