La division du consensus arabe lance la course pour les votes de la communauté
Un sondeur prévoit la diminution de la représentation arabe, dont les partis juifs souhaitent profiter; les électeurs arabes courtisés pourraient être les grands perdants

Lors d’un événement en ligne en anglais à la mairie mardi, le chef du parti Yesh Atid, Yair Lapid, prononçait son discours de campagne électorale devant plus de 600 Israéliens anglophones qui l’écoutaient sur Zoom.
Après un bref discours exposant ses arguments contre le gouvernement sortant, Lapid a répondu aux questions pendant plus d’une heure. Un participant a posé une question qui n’est généralement pas soulevée dans ces forums. Originaire de la ville prisée de Zichron Yaakov, il a demandé à Lapid un commentaire sur l’énorme fossé, en termes de richesse et d’infrastructure, entre sa ville et la ville arabe voisine de Fureidis.
La réponse de Lapid a été ferme.
Les coalitions, a-t-il répondu, exigent des compromis, de sorte que chaque parti doit décider lesquels, parmi ses objectifs politiques, sont « un must, des choses sur lesquelles je ne transigerai jamais ». Pour Yesh Atid, a-t-il dit, ce sont « les droits des LGBT, le fait que nous ne laisserons pas [la droite] disposer des territoires [palestiniens] – et le fait qu’Israël doive investir davantage dans sa population arabe. »

Les politiciens israéliens, en particulier à droite, répondent souvent aux questions sur l’égalité avec des arguments pratiques. L’investissement dans la communauté arabe est bon pour l’économie, bon pour l’industrie, réduit la criminalité – leur argument le plus puissant, en d’autres termes, est que c’est bon pour tout le monde. Mais la préoccupation de Lapid concernait expressément les Arabes eux-mêmes.
Il est « juste », a-t-il dit, « que le pays investisse dans les quartiers arabes autant d’argent qu’il investit partout ailleurs, dans le logement, dans l’éducation, dans le système de santé. Cela devrait être le cas – c’est juste la bonne chose à faire. »
Il a ajouté : « Je voyage pas mal. J’ai toujours un peu honte en entrant dans une ville arabe ou dans un village arabe d’Israël et en voyant comment les routes rétrécissent et les infrastructures [se détériorent]. L’égalité civile fait partie des devoirs de chaque pays. Et nous ne le faisons pas. »
Il a noté qu’Israël dépense environ 25 % de moins pour l’éducation des enfants arabes que pour celle des enfants juifs.

« Ce n’est tout simplement pas juste », dit-il. « Vous ne pouvez pas faire cela si vous vous considérez comme un pays juste. Nous ne pouvons pas nous asseoir à Zichron et regarder Fureidis et nous dire [à nous-mêmes], ce sont des citoyens de seconde zone. Il n’y a pas de citoyens de seconde zone dans un pays qui se respecte. »
La préoccupation de Lapid pour la communauté arabe d’Israël n’est absolument pas nouvelle. Il a déjà écrit et parlé des inégalités. Mais les politiciens israéliens ont une urgence nouvelle à aborder la question, et pour une bonne raison.
Une situation fluctuante
« Les choses évoluent beaucoup », a expliqué Yousef Makladeh, le principal sondeur de la communauté arabe d’Israël. « L’opinion publique change beaucoup plus radicalement que par le passé. »
La Liste arabe unie, une alliance des quatre principaux partis arabes, a obtenu des résultats spectaculaires lors des deux dernières élections, remportant 13 et 15 sièges aux deux dernières Knesset, la dernière représentant même un record historique pour la représentation politique arabe.
Mais on ne s’attend pas à ce que cela se reproduise cette fois-ci, a déclaré jeudi Makladeh au Times of Israel. L’éclatement de la liste, avec le départ de Ra’am, ainsi que l’effondrement du consensus politique arabe où les partis avaient mis de côté leurs divergences internes en faveur de l’unité, semblent entraîner une baisse du taux de participation dans les villes arabes.

Makladeh a noté que les partis arabes mènent à présent des campagnes négatives – des « campagnes de haine » – les uns contre les autres.
« Campagnes très virulentes et discours virulents. Ces campagnes réduisent le taux de participation », a-t-il déclaré.
Il prévoit environ 100 000 votes de moins que lors de la dernière élection pour la Liste arabe unie, une baisse de 17 % par rapport aux quelque 580 000 votes remportés par le parti en mars 2020.
Mais Makladeh a également noté la futilité d’essayer de prédire l’avenir. Les choses évoluent comme jamais auparavant, a-t-il déclaré, et « nous ne pouvons pas savoir ce qui se passera dans un mois ».
Les sondages de Makladeh, qui avaient anticipé avec précision le vote arabe dans le passé, donnent désormais entre 6 et 9 sièges à la Liste arabe unie, et le rebelle Ra’am flirtant avec le seuil électoral, de ce fait susceptible de récolter soit quatre sièges, soit aucun.

Si la plus pessimiste des prédictions de Makladeh se confirme, les 15 sièges sortants à la 23e Knesset pourraient se réduire à six députés intégrant la 24e. Même ses sondages optimistes donnent 12 ou 13 sièges aux listes arabes combinées.
Ce serait un effondrement fracassant par rapport à l’éphémère succès de la Liste arabe unie, qui reflète les divisions croissantes au sein de la communauté arabe elle-même.
La rupture de Ra’am a changé la donne dans l’arène politique arabe. Dans le passé, les partis cherchaient à obtenir un meilleur placement sur leur liste fusionnée, ce dont l’électeur lambda ne se souciait pas. « Maintenant, les combats sont sur les agendas, les problèmes », a déclaré Makladeh.

Ces questions font partie des failles fondamentales de la politique arabe : les droits des homosexuels (Ra’am y est opposé, Hadash approuve), l’approche du conflit israélo-palestinien, la place de la religion dans la vie publique, ou le désir de Ra’am de rejoindre les coalitions au pouvoir, quitte à traiter avec les partis de droite, afin d’apporter des financements aux villes arabes.
Un manque à gagner
Cet effondrement imminent a entraîné un effort massif des autres partis pour attirer les électeurs arabes désabusés.
Les partis du Likud au Meretz de gauche en passant par le Parti travailliste Avoda affichent publiquement et assument pleinement leur appel aux électeurs arabes, notamment en plaçant des candidats arabes sur leurs listes pour la Knesset.
Le Premier ministre Netanyahu, aussi surprenant que cela puisse paraître, a passé un temps fou le mois dernier à faire campagne parmi les Bédouins du sud, la base la plus fidèle de Ra’am. Il s’est fait un devoir de visiter des centres de campagne de vaccination contre le coronavirus dans les villes arabes, parfois dans des villes où il n’avait jamais mis les pieds auparavant.
Une première, le Likud a même publié jeudi une vidéo de campagne en arabe.

Les partis à majorité juive ont de bonnes raisons de se tourner vers les électeurs arabes. Les sondages placent régulièrement le Meretz et le Parti travailliste à la limite du seuil de la proportionnelle pour entrer à la Knesset, d’où l’attrait de la perspective de nouvelles circonscriptions potentielles.
Pour le Likud, la nécessité de sortir de l’impasse d’une Knesset où la droite s’est retrouvée à plusieurs reprises sur le point de remporter la victoire sans jamais l’atteindre, émet son propre appel calculé auprès des circonscriptions arabes conservatrices.
Et pour Yesh Atid, le parti qui se décrit comme centriste-libéral, l’égalité pour les Arabes est également un moyen de prouver l’éthos déterminant qui fait son identité politique en faisant appel aux circonscriptions libérales et laïques des centres urbains du pays.
Cela ne veut pas dire que les partis ont ignoré les citoyens arabes dans le passé. Le Meretz et les travaillistes ont longtemps défendu les droits des minorités, et les gouvernements de gauche dans les années 1990 ont investi considérablement dans les villes arabes, du moins par rapport à la négligence passée.

Les trois derniers gouvernements de Netanyahu ont investi davantage dans les infrastructures, l’éducation et d’autres domaines de la vie publique de la communauté arabe que tous les gouvernements précédents. Le Likud avait pour habitude de minimiser cet aspect de sa politique ; désormais il s’en vante ouvertement.
Yesh Atid n’est pas non plus novice dans ce domaine. Le parti prône depuis longtemps les investissements dans les villes arabes. Il a une longue tradition d’être attentif aux préoccupations arabes. Un exemple récent : au début du mois, après qu’une fusillade entre policiers et criminels dans la ville arabe de Tamra a causé la mort d’Ahmad Hijazi, étudiant infirmiers de 20 ans, victime collatérale de tirs croisés, Yoav Segalovitz, député de Yesh Atid, ancien commissaire adjoint de la police israélienne, s’est rendu à Tamra pour présenter ses condoléances et celles du parti à la mère de la victime.
https://www.facebook.com/YoavSegalovitz/posts/1007972236273125
Contrairement aux autres dirigeants qui courtisent à présent le vote arabe, il connaissait déjà la route de Tamra.
Comme l’a noté le commentateur et activiste arabe israélien Afif Abu Much après sa visite : « Je suis Segalovitz depuis un moment, et je dois dire qu’il se fait un devoir de visiter les villes arabes pour écouter le peuple, contrairement à de nombreux députés juifs qui considèrent le public arabe et la société arabe comme une sorte de communauté marginale extra-territoriale du pays. »
En d’autres termes, il est trop simple de rejeter le nouvel engagement des politiciens juifs envers la communauté arabe comme de la simple politique politicienne. Les politiciens, du Meretz à gauche à Yamina à droite, aiment à se penser comme inclusifs et égalitaires, même si leurs stratégies de campagne les ont parfois poussés à se présenter autrement. Cette attention récente est également portée par les impulsions politiques les plus primaires : il y a des votes à gagner, et tout le monde les veut.
Mais est-ce que cela va durer ? Si la prochaine Knesset inclut beaucoup moins de députés arabes, qui, après les élections, exigera du gouvernement qu’il exécute les promesses qu’il aura faites à l’électorat arabe ?
Si les partis à majorité juive découvrent que leurs campagnes n’ont pas réussi à attirer les électeurs arabes, leur nouvelle préoccupation pour les communautés arabes pourrait-elle s’évaporer de leurs programmes politiques aussi vite qu’elle était venue, abandonnant à leur sort les citoyens arabes d’Israël malgré l’attention exceptionnelle qu’ils leur prodiguent actuellement ?
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