La justice US autorise une congrégation à expulser les locataires de la synagogue Touro
En vertu de cette décision du Rhode Island, la Congrégation Jeshuat Israel, qui se réunit dans cette synagogue, la doyenne des USA, depuis le début des années 1900, sera expulsée
JTA – Un juge du Rhode Island a statué en faveur d’une très ancienne synagogue de New York qui souhaitait se débarrasser de la direction de la congrégation, qui se réunit habituellement dans un bâtiment annexe d’une vénérable synagogue américaine, la célèbre synagogue Touro de Newport.
La décision, rendue jeudi dernier, autorise l’expulsion de la direction de la Congrégation Jeshuat Israël, ou CJI, qui se réunit dans les locaux de la synagogue Touro, la plus ancienne de tous les États-Unis, et ce depuis le tout début des années 1900.
La congrégation Shearith Israel de New York, également connue sous le nom de synagogue espagnole et portugaise, propriétaire du bâtiment Touro, déplorait depuis quelques années maintenant que la CJI ne s’occupe pas correctement des locaux.
Les deux congrégations s’affrontent dans les prétoires depuis une dizaine d’années. La CJI loue ces locaux pour un 1 dollar symbolique chaque année depuis le début des années 1900. Shearith Israel, la plus ancienne congrégation juive du pays, établie à Manhattan au 17e siècle et qui a occupé plusieurs bâtiments depuis, a refusé en 2021 de renouveler le bail de CJI et l’a sommée de quitter les lieux avant le 21 février 2023.
En juin, le différend a été entendu par la juge Maureen Keough, qui siège à la Cour supérieure de Rhode Island.
Dans une longue délibération lue en séance jeudi, elle a estimé n’avoir trouvé aucune raison pour statuer en faveur des locataires mais explique avoir reporté l’expulsion au mois de septembre, date à laquelle une nouvelle audience statuera sur le droit de la congrégation à rester dans les locaux, compte tenu des appels qu’elle a interjetés. Il est donc toujours possible que la CJI occupe encore les lieux pendant les fêtes du Nouvel An juif, qui commencent le 15 septembre.
Louis Solomon, le parnas, ou président, de Shearith Israël, s’est publiquement réjoui de cette décision.
« Nous voulons non seulement revivifier cette communauté, mais aussi redonner à Touro la place qu’elle mérite dans le cœur et l’âme des Juifs d’Amérique », a-t-il déclaré à la Jewish Telegraphic Agency.
Michael Crane, avocat de la CJI, et Louise M. Teitz, coprésidente de la CJI, n’ont pas souhaité commenter l’affaire.
Les relations entre les deux congrégations orthodoxes, difficiles depuis plus une dizaine d’années, se sont encore dégradées lorsque CJI a tenté, en 2012, de vendre de précieuses parures de la Torah inscrites à l’inventaire de Touro.
En 2019, la Cour suprême des États-Unis a confirmé que la synagogue de New York était propriétaire du bâtiment et de ses coûteux artefacts et refusé de faire droit aux revendications contraires.
A l’occasion du dernier procès en date, Teitz a rappelé l’ancienneté du bail concédé à la CJI et montré que ses dirigeants avaient entretenu le bâtiment et ses terrains et embauché des rabbins.
« C’est le seul bâtiment dans lequel il est possible de prier depuis près de 140 ans, et c’est le nôtre. C’est pour nous un véritable foyer spirituel. Nous avons fait des choses, proposé des services et embauché un rabbin à temps plein, présent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », a déclaré au tribunal le 29 juin dernier cette professeure de droit à la Roger Williams Law School et professeure adjoint de droit à la NYU Law School.
« Nous sommes nombreux à penser que nous sommes incarnons cette congrégation dont nous soignons et entretenons le bâtiment depuis si longtemps. »
Shearith Israel a, de son côté, déclaré que la congrégation n’avait pas été très honnête au sujet des millions de dollars nécessaires pour réparer le bâtiment, érigé entre 1759 et 1763. La synagogue de New York s’est également opposée à certaines décisions prises par le conseil d’administration de la CJI, comme l’érection d’une pierre tombale dans le cimetière de Touro pour un donateur encore vivant à l’insu de la synagogue de New York.
Les prières de la CJI sont actuellement confiées à un rabbin intérimaire, Stephen Belsky.
Selon Louis Solomon, Shearith Israel est en pourparlers avec une autre congrégation de Newport, Ahavas Israel, qui souhaiterait organiser des prières à Touro. Selon le site Internet Jewish Newport, Ahavas Israel, organisation à but non lucratif enregistrée dans le Rhode Island le 4 avril 2023, n’organiserait pour l’instant pas de prières.
Le différend entre congrégations de New York et Newport contraste fortement avec la concorde historique qu’incarne la synagogue Touro. Après un déplacement à Newport en 1790, le président George Washington avait écrit une lettre à la congrégation, qui est aujourd’hui considérée comme une déclaration historique de liberté religieuse et tolérance.
Dans une déclaration antérieure à la JTA, Teitz avait écrit au nom du conseil d’administration « être épouvantée par le fait que notre congrégation subisse la tentative de prise de pouvoir, honteuse, d’une congrégation juive qui, depuis des années, ne nous apporte aucune aide, ni à nous, ni même à Touro. Nous condamnons sans réserve cette agression mortifère doublée d’une tentative d’expulsion de notre communauté et demandons à Shearith Israël de laisser Jeshuat Israël vivre et prier en paix.
La juge Keough a regretté que les deux congrégations ne soient pas parvenues à régler leur différend par la voie de la médiation.
« D’après ce que j’ai lu, s’il y a bien un cas qui méritait la médiation, c’est celui-ci. Cette affaire déchaîne bien des passions », a déclaré Keough, citée par le Providence Journal. Le procès, a-t-elle dit, « devrait être le recours ultime. Je suis triste que nous en soyons là. »
Solomon a déclaré que Shearith Israel se réjouissait de la perspective que Touro ait un nouveau conseil de surveillance qu’elle nommera elle-même, ajoutant que les membres actuels de la CJI seraient les bienvenus au sein de la congrégation.
« Il y a une quinzaine de choses que nous voulons faire. Accueillir des universitaires. Organiser des résidences d’été », a-t-il déclaré. « Le moment est venu de panser les plaies et d’aller de l’avant. »