La Maison Blanche se dit « consternée » par la légalisation de 9 avant-postes
L'administration Biden s'oppose aussi au projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui condamne la légalisation et la construction de 10 000 maisons en Cisjordanie
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
L’administration Biden a progressivement intensifié ses protestations publiques à la suite de l’annonce par Israël de la légalisation de neuf avant-postes illégaux et de l’avancement des plans pour la construction de quelque 10 000 nouvelles unités de logement en Cisjordanie, tout en révélant qu’elle ne soutient pas une proposition de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui exprime une condamnation similaire.
La porte-parole de Joe Biden, Karine Jean-Pierre, a exprimé jeudi la « profonde consternation » de Washington face la décision d’Israël de légaliser ces neuf avant-postes et de construire de nouveaux logements dans les implantations existantes
« Les États-Unis s’opposent fermement à ces mesures unilatérales, qui exacerbent les tensions, nuisent à la confiance entre les parties et sapent la viabilité géographique de la solution à deux États », a déclaré Jean-Pierre jeudi.
« L’expansion et la construction d’implantations au cœur de la Cisjordanie, y compris la légalisation d’avant-postes, créent des faits sur le terrain qui compromettent la solution à deux États. La politique américaine est depuis longtemps, sous les administrations républicaines et démocrates, que les implantations sont contre-productives pour la cause de la paix », a-t-elle poursuivi.
« L’administration Biden maintient cette ferme opposition à l’expansion des implantations. »
Sa déclaration est intervenue après trois jours consécutifs de vives condamnations de la part des responsables américains en début de semaine.
Dimanche, le cabinet de sécurité israélien avait annoncé qu’il allait légaliser neuf avant-postes en Cisjordanie, après une série d’attaques terroriste à Jérusalem-Est, dont une qui a fait trois morts vendredi, parmi lesquels deux enfants.
Une décision dénoncée par Paris, Londres, Berlin, Rome mais aussi par Washington. Selon les diplomates étrangers, cette décision entrave encore davantage les efforts visant à préserver une solution à deux États – que le gouvernement israélien actuel ne soutient pas.
Les États-Unis ont été l’un des premiers pays à émettre une condamnation dimanche, un responsable anonyme de l’administration ayant exprimé dimanche sa « profonde préoccupation », tout en précisant que Washington cherchait à obtenir davantage d’informations sur la question.
Lundi, une déclaration relativement rare a été publiée au nom du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui a noté que la décision israélienne allait à l’encontre de la politique américaine de longue date maintenue par les administrations précédentes, démocrates et républicaines, en plus d’être « préjudiciable à la sécurité à long terme d’Israël ».
« Comme les administrations précédentes, démocrates et républicaines, nous nous opposons fermement à de telles mesures unilatérales, qui exacerbent les tensions et sapent les perspectives d’une solution négociée à deux États », a déclaré Blinken.
« Comme je l’ai déjà dit, tout ce qui nous éloigne de la vision de deux États pour deux peuples est préjudiciable à la sécurité à long-terme d’Israël, à son identité en tant qu’État juif et démocratique, et à notre vision de mesures égales de sécurité, de liberté, de prospérité et de dignité pour les Israéliens et les Palestiniens », a-t-il poursuivi. « Nous appelons toutes les parties à éviter toute action supplémentaire susceptible d’aggraver les tensions dans la région et à prendre des mesures pratiques susceptibles d’améliorer le bien-être du peuple palestinien. »
Malgré son opposition à l’annonce israélienne, l’administration Biden a passé les derniers jours à essayer de bloquer un effort palestinien pour faire passer une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la décision et exigeant un arrêt immédiat de la construction d’implantations, ont déclaré trois diplomates de l’ONU au Times of Israel mercredi.
Les États-Unis sont toutefois confrontés à une rude bataille, car la mission palestinienne auprès des Nations unies a en effet réussi à convaincre les Émirats arabes unis, qui siègent au sein du groupe chargé de rédiger la résolution.
Contrairement à certaines initiatives précédentes qui avaient une portée plus large et incluaient des formulations auxquelles les États-Unis s’opposaient, le projet, que le Times of Israel a pu consulter, est relativement étroit et se concentre principalement sur les activités d’expansion de la présence juive, ce qui pourrait donner aux États-Unis moins de raisons d’utiliser leur veto.
Plusieurs lignes abordent d’autres questions, telles que l’importance de maintenir le statu quo sur les lieux saints de Jérusalem et un appel à s’abstenir « d’actions provocatrices, d’incitation, de rhétorique inflammatoire et de discours de haine ». Il ne mentionne pas les plans d’expansion de la présence juive annoncés par Israël ni les récents attentats terroristes à Jérusalem.
Jeudi, les États-Unis se sont prononcés publiquement contre la proposition, le porte-parole adjoint du département d’État, Vedant Patel, déclarant aux journalistes, lors d’une conférence de presse, que la mesure « n’aide pas à soutenir les conditions nécessaires pour faire avancer les négociations en vue d’une solution à deux États ».
« Notre position est que l’introduction de la résolution est peu utile au regard du soutien nécessaire aux négociations sur la solution des deux États, tout comme nous pensons que les informations venant d’Israël (sur les neuf avant-postes) étaient peu utiles », a déclaré Patel.
« Nous ne considérons pas l’ONU comme le forum le plus pratique et le plus utile pour discuter de cette question. C’est quelque chose dont les deux parties doivent discuter, s’engager, négocier et travailler entre elles », a-t-il ajouté.
Il n’a toutefois pas indiqué si les États-Unis étaient prêts à utiliser leur véto. « Je ne vais pas spéculer ou faire des hypothèses sur le processus », a-t-il noté.
La mission américaine auprès des Nations unies s’efforce de convaincre les autres membres du Conseil de sécurité de se contenter d’une déclaration commune symbolique dans le même sens, plutôt que de chercher à obtenir une résolution contraignante, ont indiqué les diplomates de l’ONU.
La mission palestinienne a rejeté la proposition américaine et fait pression pour que la résolution soit soumise à un vote lundi, lors de la session mensuelle du Conseil de sécurité au cours de laquelle les membres sont informés de l’évolution du conflit israélo-palestinien.
Les discussions sur la résolution sont toutefois en cours, et le texte pourrait bien changer, tout comme le moment du vote, selon les trois diplomates de l’ONU.
Le département d’État a été clair sur le fait que les États-Unis, qui ont un droit de veto au Conseil, ne soutiennent pas cette résolution.
La dernière fois qu’une résolution contre Israël sur les implantations a été adoptée par le Conseil de sécurité remonte à décembre 2016. Quatorze des 15 membres de l’organe ont soutenu la mesure tandis que les États-Unis, sous la présidence de Barack Obama à l’époque, ont décidé de s’abstenir afin de permettre à la résolution de passer.
Le Conseil de sécurité doit se réunir lundi pour discuter du conflit israélo-palestinien, mais il n’est pas certain à ce stade que le texte soit présenté au vote à cette occasion, selon des diplomates.
L’administration Biden a déjà bloqué une poignée d’initiatives du Conseil de sécurité critiquant Israël ou appelant au calme, insistant sur le fait que l’ONU n’est pas la plate-forme appropriée pour juger le conflit israélo-palestinien, tout en notant que l’organisme pointe trop souvent Israël.
Le ministère israélien des Affaires étrangères a de son côté fustigé le projet de résolution.
« C’est une nouvelle tentative cynique des Palestiniens de se tourner vers les instances internationales, au lieu de s’occuper de la vague de terreur et des incitations de la part de l’Autorité palestinienne », a-t-il indiqué dans une déclaration à l’AFP.
Les Israéliens avaient dénoncé le vote en décembre par l’Assemblée générale de l’ONU d’une résolution demandant l’avis de la Cour internationale de justice sur l’occupation israélienne de territoires palestiniens, prenant des mesures de représailles contre l’Autorité palestinienne (AP).
Dans une lettre envoyée mercredi au Conseil de sécurité de l’ONU, l’ambassadeur israélien à l’ONU Gilad Erdan appelait « la communauté internationale à condamner les dernières attaques terroristes contre des civils israéliens dans les termes les plus forts et sans équivoque », accusant l’AP d' »applaudir » et de « soutenir » ces « crimes odieux ».
En décembre 2016, pour la première fois depuis 1979, le Conseil de sécurité avait demandé à Israël de cesser la construction d’implantations dans les territoires palestiniens, dans une résolution permise par la décision des États-Unis de ne pas utiliser leur droit de veto.
Les États-Unis s’étaient abstenus lors de ce vote à quelques semaines de la passation de pouvoir entre Barack Obama et Donald Trump, alors qu’ils avaient toujours soutenu Israël jusqu’alors sur ce dossier sensible.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, est lui « profondément préoccupé » par l’annonce israélienne de dimanche, avait indiqué son porte-parole Stéphane Dujarric lundi, répétant que « toutes les colonies sont illégales au regard du droit international et un obstacle important à la paix ».
Selon les trois diplomates de l’ONU, Israël fait simultanément pression sur les membres du Conseil de sécurité pour qu’ils ne soutiennent pas la résolution, mais il est confronté à une bataille difficile étant donné que ses politiques en Cisjordanie font face à une opposition quasi unanime. Le soutien de neuf des 15 membres est nécessaire pour soumettre la question au vote.
Les avant-postes qu’Israël prévoit de légaliser sont Avigayil, Beit Hogla, Givat Harel, Givat Arnon, Mitzpe Yehuda, Malachei Hashalom, Asahel, Sde Boaz et Shacharit.
Pour légaliser les avant-postes, le gouvernement devra prouver qu’ils ont été établis sur ce qu’Israël considère comme des terres publiques. Cela risque d’être difficile, étant donné que nombre d’entre eux, dont la quasi-totalité de Sde Boaz et Givat Harel, ont été construits sur des terres palestiniennes privées.
La Haute Cour de justice s’opposera probablement à ces légalisations et le processus prendra probablement des mois, voire des années. Cependant, le nouveau gouvernement de droite radicale avance simultanément une série de projets de loi litigieux qui limiteraient considérablement la capacité du pouvoir judiciaire à annuler de telles décisions du cabinet. C’est en partie la raison pour laquelle les dirigeants des résidents d’implantations sont parmi les plus ardents défenseurs des plans de refonte du système judiciaire.
L’un des avant-postes, Givat Arnon, est situé sur un terrain désigné comme zone de tir de Tsahal dans le nord de la Cisjordanie, illustrant l’inégalité de traitement entre constructions israéliennes et palestiniennes non autorisées. En effet, l’État israélien a décidé de démolir plusieurs villages palestiniens situés dans une zone connue sous le nom de Masafer Yatta, également désignée comme zone de tir de l’armée.
Alors que la communauté internationale considère toutes les implantations comme illégales, Israël fait le distinguo entre les logements construits dans des implantations autorisées par le ministère de la Défense sur des terres appartenant à l’État, et les avant-postes illégaux construits sans permis, souvent sur des terres palestiniennes privées. Cependant, des avant-postes sont parfois établis avec l’approbation tacite de l’État, et les gouvernements successifs ont tenté de légaliser quelques- unes des communautés non reconnues, dont le nombre s’établirait à une centaine.
Jeudi également, les États-Unis ont condamné l’agression d’un militant palestinien à Hébron, cette semaine, par un soldat de Tsahal. L’armée israélienne a sanctionné le soldat et lui a infligé une peine de prison de 10 jours, à l’issue de laquelle ses commandants auront la possibilité de le retirer des missions de combat.