La mort d’Abu Akleh « assombrit » la visite de Biden, selon un responsable israélien
Le responsable a affirmé que les résultats de l'enquête n'auraient pas dû être rendus publics puisque les États-Unis estiment que l'analyse de la balle n'était pas concluante
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
WASHINGTON – Le meurtre récent de Shireen Abu Akleh a « fait planer une ombre » sur le prochain voyage du président américain Joe Biden dans la région, a reconnu mercredi un haut responsable israélien, qui a également critiqué la décision de Washington de déclarer que la journaliste américano-palestinienne avait probablement été abattue par Tsahal.
Cette irritation, qui fait écho aux déclarations d’autres responsables israéliens, a été exprimée lors d’un point-presse avec plusieurs dizaines de journalistes à Washington à propos de la prochaine visite du président en Israël, en Cisjordanie et en Arabie Saoudite, du 13 au 17 juillet. La séance d’information s’est déroulée sous couvert d’anonymat.
Abu Akleh a été tuée lors d’affrontements entre des soldats israéliens et des hommes armés palestiniens pendant un raid de Tsahal dans la ville de Jénine, au nord de la Cisjordanie, le 11 mai. L’Autorité palestinienne avait déclaré que d’après les résultats de son enquête, la célèbre journaliste d’Al Jazeera avait été abattue intentionnellement par Israël. Accusation qu’Israël avait catégoriquement rejeté en déclarant que même l’enquête israélienne n’avait pu déterminer qui était derrière ce meurtre, étant donné que Ramallah avait refusé de fournir la balle du crime qu’il a recueillie sur les lieux.
Après de fortes pressions de la part de l’administration Biden, l’AP a accepté samedi de remettre la balle au coordinateur de la sécurité des États-Unis (USSC) à Jérusalem, qui assure la liaison entre Israël et les Palestiniens. Le département d’État a déclaré lundi que le bureau de l’USSC avait procédé à un examen médico-légal mais n’avait pas pu parvenir à une conclusion définitive, la balle étant trop endommagée. L’USSC a, néanmoins déterminé que, sur la base de l’examen des enquêtes israélienne et palestinienne, bien qu’il n’y ait « aucune raison » de croire que la mort d’Abu Akleh était intentionnelle, les tirs provenant des positions de Tsahal étaient probablement responsables de sa mort.
Le responsable israélien a exprimé son désaccord avec cette dernière conclusion, affirmant qu’elle n’aurait pas dû être rendue publique puisque les États-Unis avaient aussi affirmé que l’analyse de la balle n’était pas concluante.
Le responsable a également déploré la « symétrie » établie par l’annonce du Département d’État entre les enquêtes israélienne et palestinienne.
Tsahal a mené une enquête « approfondie », interrogeant chaque soldat qui a opéré sur les lieux, déterminant où chacun se tenait et la direction dans laquelle il a tiré, a affirmé le haut fonctionnaire. Grâce à cela, l’armée a pu réduire à un seul la liste des soldats potentiellement impliqués. Bien qu’elle n’ait pas été en mesure de prendre une décision définitive sans la balle, Tsahal a conclu que le tir n’était certainement pas intentionnel, a-t-il ajouté.
L’AP, en revanche, n’a pas pu mener une enquête aussi approfondie, a affirmé le haut fonctionnaire israélien, notant que l’AP n’a « plus le contrôle » à Jénine et qu’elle n’a pas interrogé les tireurs palestiniens ni eu accès à leurs armes.
« Les deux parties utilisent les mêmes fusils – des fusils américains », a révélé le haut fonctionnaire israélien. La veille, un groupe de démocrates progressistes de la Chambre des représentants a présenté un projet de loi qui obligerait les États-Unis à mener leur propre enquête sur la tuerie, dans laquelle ils seraient également tenus de déterminer si des armes américaines avaient été utilisées pour le meurtre d’un citoyen américain. Le projet de loi – révélé pour la première fois par le magazine Jewish Currents – n’a pratiquement aucune chance de passer.
Néanmoins, le responsable israélien a fait valoir que toute conclusion tirée des résultats de l’enquête de l’AP serait faussée.
« Avec tout le respect qui leur est dû, je ne pense pas qu’il y ait une quelconque symétrie » entre les enquêtes, a-t-il déclaré.
« J’aurais aimé que cela n’assombrisse pas… les relations israélo-palestiniennes et la visite du président, mais nous en sommes là », a déploré le responsable.
Ce que les Arabes pensent réellement des Palestiniens
Tout en affirmant que ni les dirigeants israéliens ni les dirigeants palestiniens ne sont prêts à assumer le fardeau que représentent des négociations diplomatiques, compte tenu de l’agitation politique à Jérusalem et de la faiblesse et du dysfonctionnement de l’Autorité palestinienne, le responsable a déclaré qu’Israël continuait à envisager une série de mesures qui devraient renforcer l’Autorité palestinienne et lui permettre de « mieux faire face aux pressions internes, y compris celles du Hamas [groupe terroriste au pouvoir à Gaza] ».
Le responsable a également appelé l’Autorité palestinienne à améliorer ses liens avec plusieurs pays arabes voisins, qui se sont dégradés depuis les accords de normalisation des Accords d’Abraham qu’Israël a signés avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Ramallah avait qualifié ces accords, négociés par la précédente administration américaine de Donald Trump, de coup de poignard dans le dos, car ils annulaient le principe établi de longue date selon lequel la paix avec les Palestiniens était une condition préalable à la pleine intégration d’Israël dans le reste de la région.
L’administration Biden et certains des pays arabes qui entretiennent des liens avec Israël ont cherché à exploiter les accords d’Abraham pour faire avancer la question palestinienne. Le Forum du Neguev – créé au début de cette année avec des représentants des États-Unis, d’Israël, des Émirats, de Bahreïn, du Maroc et de l’Égypte – a ainsi inclus la question palestinienne dans les six groupes de travail ayant pour but de renforcer la coopération régionale dans divers domaines.
Mais Ramallah s’est montré réticent à coopérer jusqu’à présent, craignant de légitimer un effort visant à améliorer encore la position diplomatique d’Israël au Moyen-Orient, alors même que Jérusalem s’abstient de faire des concessions majeures pour une solution à deux États.
« J’espère qu’avec le temps, ils comprendront qu’ils peuvent également bénéficier [des accords d’Abraham] », a déclaré le haut fonctionnaire israélien.
Faisant allusion au sentiment de frustration que suscite l’Autorité palestinienne chez les dirigeants de la région, le haut fonctionnaire a déclaré : « Je préfère ne pas vous répéter tout ce que j’entends des Arabes sur les Palestiniens ».
Si le gouvernement de Jérusalem est désormais dirigé par Yair Lapid, qui soutient une solution à deux États, ce n’est toujours pas la position officielle d’Israël, a-t-il dit, expliquant que le cabinet comprend toujours des membres qui s’opposent à cette notion et maintiennent donc une position ambiguë.
À la question de savoir si Israël éviterait de prendre des mesures unilatérales à la veille de la visite de Biden, le responsable s’est contenté de répondre : « Israël fera tout son possible pour que cette visite soit un succès ».
Israël satisfait de la reconnaissance des accords d’Abraham par Biden
Pour Israël, la principale raison du voyage de Biden est de promouvoir « l’intégration régionale » entre Israël et ses voisins arabes, a déclaré le responsable.
L’administration Biden s’efforce de négocier le transfert de deux îles de la mer Rouge du contrôle égyptien au contrôle saoudien conformément à un accord qui verrait Riyad prendre une série de mesures pour normaliser les liens avec Israël, a confirmé mercredi un diplomate du Moyen-Orient au Times of Israel. Les mesures de normalisation comprendraient l’ouverture par l’Arabie saoudite de son espace aérien aux vols israéliens vers l’Extrême-Orient, ainsi que la mise en place de vols directs entre Israël et l’Arabie saoudite pour les pèlerins musulmans.
Les États-Unis cherchent à finaliser l’accord à temps pour la visite de M. Biden en Arabie saoudite, où il participera à un sommet avec les dirigeants de neuf pays arabes. Le directeur du Conseil national de sécurité des États-Unis pour le Moyen-Orient, Brett McGurk, s’est rendu en Arabie saoudite cette semaine dans un ultime effort pour conclure l’accord à temps, mais il n’était pas certain d’y parvenir à temps ou si l’annonce devrait être reportée au lendemain du voyage de Biden, a déclaré le diplomate du Moyen-Orient.
Israël avait cédé le contrôle des îles de Tiran et de Sanafir à l’Égypte en 1979, conformément à l’accord de paix, mais les deux parties avaient convenu de démilitariser les îles et d’autoriser la présence d’une force d’observation multinationale. Israël cherche maintenant à obtenir des garanties similaires de la part de l’Arabie saoudite pour signer l’accord, mais Ryad hésite à mettre l’engagement par écrit, a déclaré le diplomate. L’accord est par ailleurs juridiquement complexe car les pays n’entretiennent pas de relations officielles et travaillent donc par le biais d’intermédiaires.
Le responsable israélien a fait remarquer avec enthousiasme l’engagement « croissant » de l’administration Biden en faveur des accords d’Abraham de manière plus générale, faisant allusion à ce qui a été largement considéré comme l’hésitation initiale de la Maison Blanche à adhérer pleinement à une initiative défendue par le président précédent.
Étendre les accords d’Abraham et convaincre Ryad « d’aller dans cette direction » changerait la donne pour la région, a ajouté le responsable.
Il a salué les efforts déployés pour créer un système de défense aérienne intégré entre Israël et ses voisins arabes afin de mieux coopérer contre l’Iran et ses mandataires. Toutefois, le fonctionnaire a précisé que « le chemin est encore long » avant de pouvoir annoncer cette initiative.
Passant en revue le programme du voyage, le responsable israélien a déclaré que Biden recevra une cérémonie de bienvenue à son atterrissage à l’aéroport Ben Gurion mercredi après-midi prochain. Il tiendra des réunions bilatérales avec des dirigeants israéliens et rencontrera le président de l’opposition Benjamin Netanyahu, en plus de visiter une batterie Dôme de fer, le musée de la Shoah Yad Vashem et d’avoir une réunion virtuelle avec Lapid, le Premier ministre indien Narendra Modi et le président des Émirats arabes unis Mohammed bin Zayed.
Il devrait ensuite visiter l’un des établissements du réseau hospitalier de Jérusalem-Est avant de se rendre à Ramallah vendredi pour une rencontre avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, suivie d’un vol direct vers Djeddah pour participer au sommet du CCG+3.