Le corps d’artillerie tiraillé entre la précision et la puissance
L’opération Bordure protectrice, menée au milieu d'une population civile, a prouvé la nécessité de recourir à des munitions guidées, mais a aussi souligné leurs lacunes
Le succès militaire se compose de deux éléments : la puissance de feu et la manœuvre terrestre. Il semblerait que la défense israélienne – et sa capacité à gagner une guerre asymétrique – soit à première vue plus tributaire du premier élément, accompagné de munitions précises et de renseignements exacts, rapidement livrés.
Mais cette notion a été démentie par la réalité des combats sur le terrain à Gaza cet été, où les tanks, l’infanterie et l’artillerie, les dispositifs lourds de la manœuvre terrestre, se sont révélés cruciaux pour mener le Hamas à un accord de cessez-le-feu.
Un examen attentif du corps d’artillerie de Tsahal – branche de l’armée terrestre déchirée entre la nécessité éthique d’éviter de faire des victimes civiles – même face à un ennemi qui se cache délibérément parmi des innocents – et celle de protéger ses propres soldats – dévoile une partie de la tension qui prévaut actuellement au sein de l’armée, au milieu des débats budgétaires, et au lendemain du conflit de 50 jours à Gaza, où la notion de proportionnalité crispait en permanence les décideurs du pays.
Le corps d’artillerie utilise des drones manuels et des drones de longue distance, qui fournissent également des renseignements au front et qui, en tandem avec l’armée de l’air, ont enregistré plus d’heures de vol à Gaza que les avions pilotés.
L’artillerie exploite aussi des radars qui déclenchent une alarme lorsque des roquettes sont tirées vers Israël, et un système de lance-roquettes multiple (LRM), qui pilonne une large bande de territoire, mais n’a pas été employé à Gaza, en raison de son incompatibilité dans une zone peuplée.
Les deux pôles du corps d’artillerie sont l’unité Meitar, qui exploite les missiles guidés Spike ou Tammuz, et les canons 155 mm, démodés, mais néanmoins indispensables, qui représentent encore la grande majorité de sa puissance de feu.
Le premier est critiqué pour son prix coûteux et son manque de puissance de feu au cours d’une bataille décisive, et le second, pourtant salué par des officiers de l’armée et autres, a été mis au pilori international pour son inexactitude et sa capacité mortelle.
Les chiffres ne racontent qu’une partie de l’histoire. Le missile guidé Tammuz, qui peut être lancé d’une fenêtre vers le milieu d’un environnement urbain d’une distance allant jusqu’à 25 kilomètres, coûte entre 500 000 et 800 000 shekels la pièce.
L’armée israélienne en a tiré plus de 250 missiles à Gaza cet été (contre 26, en 2008-9, lors de l’opération Plomb durci.)
Le coût, alors, du Tammuz, qui dispose d’une caméra qui le permet de se diriger directement vers sa cible – ou s’éloigner d’elle si des civils apparaissent sur l’écran en plein tir – était d’au moins 125 millions de shekels.
« Certains diront que nous avons tiré des munitions moins précises », a déclaré le lieutenant-colonel Tal Algazi, directeur de l’Ecole de munitions de précision de l’armée israélienne dans le corps d’artillerie. « Mais nous avons opéré en corrélation directe avec les besoins opérationnels à ce moment-là. »
En d’autres termes, dit-il, à chaque fois qu’une équipe Tammuz sur le terrain, ou un autre moyen de surveillance, identifiait une cible ennemie distincte, l’armée tirait une munition précise.
Mais l’armée israélienne a également tiré beaucoup plus d’obus de trajectoire courbe, au coût relativement négligeable de 4 000 à 5 000 shekels par obus, que dans les campagnes précédentes. Cela se révélera sûrement crucial dans les enquêtes internes et externes sur le comportement de Tsahal pendant la guerre.
Pendant les 50 jours de combat, dans lesquels plus de 2 100 Palestiniens ont été tués, l’armée a tiré 34 000 obus d’artillerie ; 12 000 en fumée, 3 000 en illumination, et 19 000 en explosifs.
Ce qui, selon les chiffres de l’armée, représente près de cinq fois le nombre d’obus tirés au cours de la dernière opération terrestre et aérienne à Gaza, en 2008-9, dans laquelle environ 7 000 obus d’artillerie ont été tirés.
La nécessité et la légalité de multiplier les bombardements, face à un ennemi qui s’abrite au sein des populations civiles, sont des questions qui restent à l’ordre du jour dans le sillage de l’opération Bordure protectrice.
Le corps MAG de Tsahal, sous le commandement du major-général Dan Efroni – le seul officier de l’armée indépendant dans la chaîne hiérarchique de commandement – étudie l’utilisation de l’artillerie pendant les combats.
Ses équipes juridiques se pencheront sur la façon dont l’artillerie a été utilisée le 1er août, lorsque le lieutenant Hadar Goldin a été tué et fait prisonnier en dehors de Rafah ; et au cours de la semaine du 20 juillet, lors de la bataille à Chejaya – deux cas dans lesquels des environnements urbains ont été matraqués par l’artillerie.
Reste à voir si Efroni limitera la marge de manœuvre de l’armée israélienne en autorisant des tirs d’artillerie et, le cas échéant, dans quelle mesure.
Dans le passé, des officiers supérieurs ont indiqué que l’obus de trajectoire courbe – une arme statistique, d’une marge d’erreur d’environ deux cents mètres – n’est pas approprié pour la guerre à Gaza. Un officier, qui a offert au Times of Israel une tournée dans la région de la frontière de Gaza l’an dernier, s’était arrêté à un poste d’observation surplombant Beit Lahiya, avait observé le dense environnement urbain, et déclaré : « Si je n’ai pas d’artillerie de précision, je ne tire pas. »
Pour de nombreux officiers supérieurs de Tsahal, l’incompatibilité à Gaza de cette arme, qui s’est révélée si mortellement efficace sur les champs gelés de la Première Guerre mondiale, a été prouvée lors des événements du 8 novembre 2006 – quand l’armée, en réaction à une Qassam tirée sur Ashkelon, avait lancé 12 obus d’artillerie. 10 ont frappé la cible, avait rapporté Haaretz, et deux avaient percuté un quartier civil à Beit Hanoun, tuant 19 personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, la plupart de la famille Atamneh.
En décembre 2008, trois semaines avant le début de l’opération Plomb durci, Achaz Ben-Ari, conseiller juridique du ministère de la Défense, a écrit au ministre de la Défense, Ehud Barak, que des tirs d’artillerie sont à éviter si la cible est positionnée dans les zones urbaines peuplées.
« Les tirs d’artillerie ne peuvent être dirigés que sur des zones relativement ouvertes… » avait-il écrit, selon un article publié par Amos Harel de Haaretz en 2008. « Les tirs d’artillerie sur des espaces urbains sont problématiques si les chances qu’un obus frappe un lance-missile sont relativement faibles, tandis que le danger d’atteindre de nombreux civils est réel. »
En 2009, le commandant de la division de Gaza, Brig. général Eyal Eisenberg, a violé les ordres, autorisant des tirs d’artillerie qui ont touché une installation de l’UNRWA à Gaza. Eisenberg, aujourd’hui major général, chef du commandement de la Défense passive et commandant de la brigade Givati, a été jugé et réprimandé.
Puis vint l’opération Bordure protectrice, où l’armée, de son point de vue, a redécouvert la nécessité d’utiliser des obus de trajectoire courbe. « Malgré les critiques, il faut comprendre qu’ils n’ont pas de remplaçants, et leur nécessité a été prouvée, sans conteste », selon le colonel Yaron Lavie, chef de la doctrine du corps d’artillerie, selon l’hebdomadaire de l’armée Bamachaneh.
Un officier supérieur du corps d’artillerie explique. Prenez Chajaya, dit-il. Tsahal a envoyé la brigade Golani dans la ville au nord de Gaza sans « la préparer » à l’avance car, tant que ses soldats n’étaient pas sous des tirs directs, Tsahal ne voulait pas mettre en danger les civils, qui ont été auparavant avertis de quitter la ville.
Quelques heures plus tard, l’armée avait perdu 13 soldats. Des dizaines d’autres ont été blessés, dont le commandant de brigade et plusieurs commandants de bataillon. L’ennemi, 900 combattants au total, s’était infiltré dans des structures civiles et a pilonné les troupes israéliennes.
Les gradés de l’armée, pour la première fois depuis la guerre du Liban en 1982, ont ordonné aux soldats des véhicules blindés de tirer 600 obus d’artillerie en demi-heure, malgré une marge de sécurité insuffisante.
Un officier supérieur américain a déclaré à Al Jazeera America, une filiale de la chaîne de télévision qatarie pro-Hamas, que l’armée israélienne a lancé 4 800 obus dans le quartier en sept heures intenses, les 20-21 juillet, 7 000 en tout en 24 heures.
Selon l’officier, les munitions précises, idéales en milieu urbain, ne fournissent tout simplement pas la « masse de feu parfois nécessaire » – en particulier si les troupes sont piégées, les soldats ont besoin d’une évacuation immédiate ou doivent soudainement changer leur tactique de combat.
Le principal auteur du code d’éthique de Tsahal acquiesce. Le Pr Asa Kasher a écrit dans le plus récent numéro de la Jewish Review of Books, que tandis que l’armée respecte les deux principes internationaux – de distinction [entre un combattant et un civil] et de proportionnalité [entre les gains militaires possibles d’une opération, et les pertes civiles prévues] – les soldats « ont le droit de demander à l’État, à l’armée et à ses commandants, s’ils sont oui ou non placés en grand danger, pour sauver la vie d’ennemis non-combattants, avertis à plusieurs reprises de quitter le champ de bataille. »
« Une réponse affirmative à cette question » écrit-il, « serait moralement inacceptable. »
Le commandant d’une mission est le mieux placé pour évaluer ses avantages militaires, écrit Kasher, notant que « les normes de proportionnalité dictent à un commandant militaire de minimiser les dommages collatéraux, mais ne les interdisent pas totalement. Aucune guerre n’a jamais été menée sans dommages collatéraux ».
Pour le lieutenant-colonel Algazi et le reste du corps d’artillerie, c’est là la raison de l’utilisation extensive du missile Tammuz et de la décision d’acquérir et de déployer, plus tard cette année, un premier lot de roquettes de fabrication israélienne, connues sous le nom Romach, qui, guidées par GPS, peuvent frapper des cibles à 35 kilomètres, avec une déviation estimée à cinq mètres.
Le commandant du corps, le Brig. général Roy Riftin, affirme que c’est une « option idéale suffisamment bonne qui nous permet d’être à cheval entre les deux mondes, à un prix raisonnable ».
Concernant le champ de bataille moderne, Algazi déclare : « Les munitions précises et guidées seront de plus en plus utilisées » et l’armée, dans son ensemble, « se dirige dans cette voie. »
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