Le difficile retour à la maison des personnes évacuées et traumatisées
Malgré des conditions de vie difficiles dans les hôtels de la mer Morte, certains refusent de rentrer, soit par peur de l'insécurité, d'autres en l'absence de maison

Après plusieurs tentatives de retour chez lui, à Sderot, Netanel Divker est convaincu qu’il vaut mieux pour lui rester encore à l’hôtel, non loin de la mer Morte, où on l’a évacué.
Le 7 octobre, cet homme, âgé de 73 ans, se rendait à la synagogue pour l’office de Simhat Torah lorsqu’il s’est trouvé nez à nez avec des dizaines de terroristes du Hamas venus semer le chaos dans la ville. Il a réussi à s’échapper, mais cinq mois plus tard, il est hanté par cette rencontre et les lacunes flagrantes de l’appareil sécuritaire israélien mises en évidence ce jour-là.
« Quand je suis à Sderot, j’ai peur de sortir et je passe tout mon temps chez moi », confie Divker. Depuis les rives de la mer Morte, il assure : « Au moins, ici, je sors et je vois des gens. »
Divker, qui s’est entretenu avec le Times of Israël la semaine dernière tout en disputant une partie de backgammon avec des amis dans le hall de l’hôtel Royal, est l’un des quelque 2 800 évacués encore dans des hébergements subventionnés par le gouvernement, dans les stations balnéaires de la mer Morte.
Ces personnes, qui renoncent à une partie des substantielles subventions en espèces offertes par le gouvernement à ceux qui retournent à Sderot ou dans d’autres communautés évacuées suite au massacre du 7 octobre, attestent de la profondeur du traumatisme vécu par de nombreux habitants du sud du pays, le 7 octobre, et de leurs conséquences psychologiques.
Incapables ou réticents à l’idée de retourner vivre dans des communautés irrémédiablement changées par l’assaut, ils continuent de vivre au beau milieu de leurs valises, en sécurité, mais loin de ce qui était chez eux et leurs vie d’avant.
« C’est ma vision entière du monde qui a changé », explique Divker, immigrant venu de son Inde natale il y a des années et aujourd’hui retraité. « Je ne suis plus moi-même. J’essaie de comprendre comment il est possible que je sois encore en vie. »
Après avoir échappé aux terroristes, le 7 octobre, Divker s’est terré chez lui avec son fils unique et son petit-fils.
Depuis la pièce sécurisée, ils ont vu et entendu les terroristes prendre le contrôle du poste de police voisin, qui allait devenir une zone de combat centrale pendant une grande partie de la journée et de la nuit et que les forces de l’ordre allaient finir par raser.
L’ex-femme du fils de Divker a, elle, survécu à l’attaque du kibboutz Beeri, où elle vit.

Ancien soldat de carrière, Divker est hanté par la facilité avec laquelle les terroristes de Gaza ont pu envahir le quartier général de la division Gaza de l’armée israélienne, près du kibboutz Reïm : c’est pour lui un dilemme existentiel.
« Je comprends plus ou moins ce qui s’est passé, mais je n’arrive pas à comprendre le massacre de la division de Gaza », confie-t-il. « Comment ont-ils pu prendre le contrôle d’une base fortifiée ? Vous avez fait votre service là-bas ? Vous connaissez ? Vous pouvez m’expliquer ? Non, sérieusement, je voudrais que l’on m’aide à comprendre ».
Face au silence, Divker ajoute : « Je me sens dans l’obscurité la plus totale. C’est notre cas à tous. Je ne me sentirai pas en sécurité à Sderot tant que je n’aurais pas eu de réponses. »
L’armée a ouvert des enquêtes internes sur certaines de ses défaillances, ce jour-là, lorsque quelque 3 000 terroristes du Hamas ont envahi Israël et tué près de 1 200 personnes et fait 253 otages.
Toutefois, ces enquêtes sont d’une portée limitée et le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré qu’il faudrait attendre la fin de la guerre déclenchée par cette attaque pour ouvrir une enquête globale.

Le gouvernement tente de faire revenir les personnes évacuées des communautés prises d’assaut et de celles qui se sont avérées elles aussi très exposées aux menaces terroristes.
Les bénéficiaires de la subvention publique de repeuplement mise à disposition ce mois-ci ont eu droit à près de 15 000 shekels par adulte et environ quatre fois ce montant par ménage.
Ces sommes ont été réduites de moitié la semaine dernière et continueront à l’être chaque semaine, jusqu’à un minimum d’un huitième du montant initial. En juillet, l’État mettra fin à la prise en charge de l’hébergement des personnes évacuées.
Ces incitations financières se sont traduites par le retour de milliers de personnes évacuées, notamment à Sderot. La réouverture des écoles dans cette ville de près de 30 000 habitants située à environ 2,5 kilomètres de la bande de Gaza a facilité le retour de nombreuses familles. Pourtant, le 8 mars dernier, on estimait à 35 % la part des élèves inscrits qui n’étaient pas revenus.
Divker n’est, lui non plus, pas pressé de revenir chez lui. « Faites le calcul : pour une personne seule, la subvention équivaut à 120 shekels par jour jusqu’en juillet », explique-t-il. C’est moins que ce que je dépenserais à Sderot. Ici, les repas sont gratuits, comme l’électricité ou l’eau et en plus je n’ai pas à payer d’impôt foncier. » Son petit-fils et son ex-belle-fille se trouvent dans un hôtel voisin et ils se voient souvent.

L’une des partenaires de backgammon de Divker, Rosette Ghozlan, 78 ans, a elle aussi du mal à se sentir en sécurité sans parler de l’idée de retourner à Sderot. Pour autant, la vie à l’hôtel et l’isolement de la zone hôtelière de la mer Morte commencent à faire des dégâts.
« Avant, c’était plus amusant : il y avait des activités grâce aux bénévoles et à la municipalité [de Sderot], mais il y en a de moins en moins », explique cette mère de quatre enfants. « J’ai de nombreux amis qui sont repartis [à Sderot] et la mer Morte, cela fait loin pour mes enfants. Je pense que le temps du retour est venu. »
Pas d’autre choix que de se tenir à l’écart
De l’autre côté de la route se trouve l’hôtel Noga, qui accueille près de 350 personnes évacuées de Kissufim. Leur kibboutz, situé à environ 1,8 kilomètre de la bande de Gaza, est l’une des zones dites rouges d’Israël – ces communautés soit trop à risque, soit trop sévèrement endommagées pour permettre le retour de leurs habitants en ce moment.

À Kissufim, « aucune maison n’a été épargnée », affirme Benny Hason, agriculteur né à Sderot qui passe en ce moment trois heures par jour à faire la navette entre son hôtel de luxe, au bord de la mer Morte, et le kibboutz, où il est arrivé il y a de cela une quarantaine d’années.
Une dizaine de membres du kibboutz ont été tués à Kussufim, ainsi que six travailleurs étrangers. La bataille pour reprendre le kibboutz a occasionné la destruction de nombreuses maisons et de nombreuses infrastructures, ajoute Hason.
Faute de pouvoir rentrer chez eux dans l’immédiat, les membres du kibboutz vont s’installer dans les semaines qui viennent à Omer, banlieue chic de Beer Sheva, où ils occuperont un quartier de maisons mobiles aménagées par le maire sortant, Pini Badash.
Ils devraient y rester un an – peut-être un peu plus -, le temps de pouvoir revenir dans leur kibboutz.

Le personnel du Noga « fait tout son possible » pour que la communauté Kissufim se sente chez elle, précise Hason. Mais, pour un kibboutz, vivre à l’hôtel est « compliqué ». « Nous avons 40 chiens ici. Cela fait beaucoup pour un petit hôtel ».
Il y a des problèmes plus importants encore.
« Mon fils ne peut pas venir me voir », confie Hason. Les règlements officiels, explique-t-il, interdisent aux personnes non évacuées de passer ne serait-ce qu’une nuit dans les logements des personnes évacuées. « Comment se sentir chez soi dans ces conditions ? », interroge-t-il.
Le ministère du Tourisme, en charge des personnes évacuées dans des hôtels, n’a pas répondu à la question posée par le Times of Israël inspirée de la plainte de Hason.
Pour autant, des cadres éducatifs sont mis en place pour les membres de Kissufim qui permettent aux adultes de retourner travailler. (Nombre de ces membres travaillent dans le secteur de la haute technologie, ce qui leur permet de travailler à distance, souligne M. Hason.)
Non loin, un spa a été transformé en école primaire et secondaire de fortune pour les enfants des communautés évacuées, dont celles de Kissufim et Beeri, hébergés dans l’hôtel Leonardo Mer Morte tout proche.
Les élèves de Terminale sont en pension dans le kibboutz voisin d’Ein Gedi. En ce qui concerne l’école maternelle, chaque communauté évacuée en a créé une, généralement à côté du hall de l’hôtel.
Le conseil régional de Tamar, dans le ressort duquel se trouvent les hôtels, a également mis en place un complexe récréatif pour le temps péri-scolaire en faveur des jeunes évacués.
Dans la salle de conférence du Noga, transformée en service administratif de Kissufim, Rob Roorda, 73 ans, répond à des appels téléphoniques de fournisseurs. Roorda a fait son alyah depuis les Pays-Bas il y a de cela de nombreuses années, après être tombé amoureux d’une des membres du kibboutz, Lilith, qui est aujourd’hui sa femme, alors qu’il faisait du bénévolat.

Roorda et Lilith se sont installés aux Pays-Bas en 2000 et y ont élevé leurs enfants. Le couple est revenu en Israël en 2016, cette fois sans les enfants, qui ont grandi et « ont fait leur vie » là-bas, explique Roorda.
« C’est mieux comme ça : ils ne viennent plus nous emprunter la voiture ou demander de l’argent de poche », dit-il en plaisantant, le visage impassible.
Roorda et sa femme rendaient visite à leurs enfants, à l’étranger, le 7 octobre dernier, lorsque les terroristes ont attaqué. Ils ont immédiatement voulu rentrer, sourds aux conseils de prudence de leur entourage aux Pays-Bas.
Revenu en Israël et évacué, Roorda est perplexe à l’idée de rester en dehors de tout ça.
« En fait, nous voulions être là, chez nous. »
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