Le kibboutz dans un kibboutz : les évacués de Nahal Oz accueillis à Mishmar Haemek
Leurs valeurs et modes de vie similaires font que la communauté traumatisée proche de Gaza a retrouvé une vie normale dans ce symbole du socialisme sioniste du nord du pays
Évacués de la frontière avec Gaza suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, les quelque 400 membres du kibboutz Nahal Oz ont été transférés de façon temporaire au kibboutz Mishmar Haemek, près d’Afula, dans le nord d’Israël. Là-bas, cette communauté frontalière de Gaza vit sa vie de communauté indépendamment de celle qui l’accueille, et est nettement plus grande.
Cet arrangement est le premier – et jusqu’à présent l’unique – conçu pour les évacués de la dizaine de kibboutzim et moshavim de la région israélienne récemment rebaptisée Tekuma – la zone proche de la frontière avec Gaza.
Cette collaboration témoigne de la solidarité durable qui unit les Israéliens dans la guerre, et d’un programme pilote pour d’autres communautés rurales évacuées qui, près de trois mois après le début de la guerre, patientent toujours dans des hôtels ou des villes très différents de leur mode de vie du kibboutz.
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Comme tant d’autres, parmi les 100 000 personnes évacuées des zones frontalières d’Israël, Nadav Tzabari, enseignant de 34 ans originaire du kibboutz Nahal Oz, ne peut ni travailler ni retourner vivre tranquillement dans sa maison, située à environ 1,6 kilomètre de Gaza.
Avant l’évacuation, Tzabari enseignait à des élèves de sixième dans une école privée située non loin de son kibboutz.
« Nous avons beaucoup de chance de vivre dans ce cadre, après avoir perdu le nôtre. Malgré tous les problèmes, je me redis chaque jour que c’est un vrai privilège. Ce n’est pas si loin de chez nous », confie Tzabari, qui s’est entretenu avec le Times of Israël ce mois-ci.
À l’intérieur de Mishmar Haemek, les membres de Nahal Oz ont leur propre salle à manger, mais ils dînent avec les autres habitants, le vendredi soir, dans la salle à manger principale pour Shabbat, devenu le principal point d’interaction entre les deux communautés.
Les enfants de Nahal Oz vont à l’école avec les enfants de Mishmar Haemek, mais étudient séparément dans des salles de classe dont la composition n’a guère changé.
« Il était clair pour nous que les enfants avaient besoin de leur cadre à eux », explique Tzabari, qui était enseignant dans son kibboutz. « Ce qu’ils vivent est difficile et traumatisant : quelqu’un d’étranger à cela pourrait ne pas comprendre immédiatement ce qui se joue. Cela dicte le rythme et l’intensité de l’avancement des cours, ainsi que l’ambiance générale. »
De nombreux diplômés de l’académie de leadership pré-militaire de Nahal Oz, institution qui prépare les recrues à la vie militaire, se sont portés volontaires pour donner cours aux enfants de Nahal Oz, car la disponibilité des professeurs – dont beaucoup ont été évacués – est aujourd’hui limitée, souligne Daniel Rahamim, membre de Nahal Oz.
Les enfants des deux kibboutzim ont organisé un spectacle commun pour Hanoukka, ce mois-ci. Les familles aussi apprennent à se connaître, que ce soit lors des dîners de Shabbat ou au café du kibboutz, qui donne sur une grande pelouse où les enfants des deux communautés jouent ensemble.
Les terroristes du Hamas ont assassiné 14 habitants de Nahal Oz et en ont enlevé sept lors de l’attaque du 7 octobre, au cours de laquelle plus de 1 200 Israéliens ont péri. Deux des personnes enlevées ce jour-là seraient toujours otages du Hamas, cinq d’entre elles ayant été libérées dans le cadre d’un accord de trêve négocié par le Qatar et les États-Unis, en novembre.
L’attaque menée par près de 3 000 terroristes a déclenché une guerre, au cours de laquelle des milliers de roquettes ont été lancées sur Israël, dont des dizaines ont touché Nahal Oz.
L’histoire se répète
Les deux kibboutzim ont un lien déjà fort, forgé lors de précédents combats : déjà, les habitants de Nahal Oz avaient temporairement trouvé refuge à Mishmar Haemek. Ainsi, « il était évident pour nous, dès que les hostilités ont éclaté, qu’ils viendraient et nous nous sommes préparés pour les accueillir », explique Michal Shamaï, secrétaire général de Mishmar Haeemek.
« Ils nous ont chaleureusement accueillis : c’est comme être lové sous une couverture bien chaude », confie Tzabari à propos de leurs hôtes de Mishmar Haemek, lieu tentaculaire situé près d’Afula, dans le nord d’Israël, dont les paysages luxuriants sont dominés par le « Grand bâtiment », édifice de style années 1920 situé au sommet d’une colline qui abrite l’équipe administrative de Mishmar – et aujourd’hui aussi, celle de Nahal Oz.
Ce mois-ci, une majorité d’habitants ont voté pour rester à Mishmar Haemek jusqu’à ce que leurs maisons, dévastées, soient réparées et suffisamment sûres pour permettre leur retour.
Moins d’une semaine après l’arrivée de la communauté de Nahal Oz à Mishmar, en octobre, les hôtes ont permis à leurs invités d’utiliser leur petite épicerie, normalement réservée aux membres. Ce n’est qu’un geste parmi tant d’autres qui témoignent de la générosité des résidents de Mishmar Haemek, qui ont offert à leurs invités jouets, livres, vêtements, petits plats, friandises et réconfort.
« Nous sommes tous reconnaissants envers Mishmar Haemek, mais certains auraient préféré être plus près de Nahal Oz, quitte à vivre en dehors d’un kibboutz », affirme Yael Raz-Lahiani, mère de trois enfants de Nahal Oz.
Les membres avaient la possibilité de s’installer au Maccabiah Village, complexe sportif proche de Tel Aviv. « Il y avait un côté pratique à cette solution », confie Raz-Lahiani. Mais finalement, « nous avons décidé que Mishmar Haemek était la solution la plus saine pour notre communauté. Cela ne veut pas dire que c’est le plus pratique », estime Tzabari.
Au cours de la conversation avec le Times of Israël, on apprend que Lahiani n’a pas encore de manteau d’hiver. « N’écrivez pas que je n’ai rien à me mettre », dit-elle au journaliste qui rédige ces lignes. « Il y a beaucoup de manteaux disponibles ; c’est juste que je n’ai tout simplement pas eu le temps d’en choisir un. Je vais bien », assure-t-elle.
D’autres kibboutzim ont fait le même calcul. Celui de Beeri devrait bientôt quitter l’hôtel de la mer Morte qui l’accueille pour rejoindre le kibboutz Hatzerim, près de Beer Sheva. Kfar Aza attend de s’installer à Ruhama, à l’est. Et Holit réfléchit à s’installer à Revivim, près de Dimona. Le kibboutz Reïm est parti, lui, dans une autre direction et s’est installé dans deux tours d’appartements à Tel Aviv la semaine dernière.
Quand la vieille école rencontre la nouvelle école
Nahal Oz et Mishmar Haemek représentent différents courants du Mouvement des Kibboutzim, organisation-mère qui représente près de 230 kibboutzim dans tout le pays. Nahal Oz est une petite communauté et tire ses revenus de l’agriculture, mais bon nombre de ses habitants travaillent en dehors du kibboutz. Dans les années 1990, il a été privatisé, ce qui signifie que les membres ne mettent plus leurs revenus en commun.
Peu de temps après, en 2001, c’est la salle à manger de Nahal Oz, lieu emblématique de la vie du kibboutz considéré par beaucoup comme essentiel au maintien de la cohésion sociale, qui a été fermée. La distance s’est alors creusée entre Nahal Oz, fondé en 1951 par d’ardents sionistes agriculteurs avec l’aide de l’armée, et les nombreux moshavim et villages qui parsèment la région de Tekuma, nouveau nom donné par le gouvernement à ce qui est connu sous le nom d’enveloppe de Gaza.
Mishmar Haemek, qui compte plus de 1 200 membres, est, en revanche, une exception en matière de modèle social. La plupart de ses membres travaillent dans le kibboutz, qui possède une lucrative usine de produits agricoles, Tama, et dont les dividendes sont partagés. Le kibboutz dispose d’une flotte de voitures communales et la propriété privée est découragée. (Mishmar Haemek étudie en ce moment-même la demande – polémique – d’une membre désireuse de redevenir simple résidente, afin de ne pas avoir à partager le très gros salaire que lui vaut son travail dans le secteur de la haute technologie.)
La direction de Mishmar est consciente que les règles socialistes qui s’imposent ne permettent pas forcément de retenir des membres de qualité, dit l’un d’entre eux, s’adressant au Times of Israël sous couvert d’anonymat. « Nous bénéficions alors d’améliorations de notre qualité de vie, par exemple via l’accès à des logements spacieux pour les familles », dit-elle. Mais avec l’arrivée de Nahal Oz, « tout cela s’est arrêté ».
Cela ne va pas sans poser problème au moment où Mishmar Haemek se prépare à accueillir Nahal Oz pour au moins un an, explique ce membre de la communauté.
« En ce moment, il y a un grand élan de bonne volonté. Mais cela durera-t-il jusqu’à l’année prochaine ? Aura-t-elle des effets à long terme ? Notre kibboutz est déjà aux prises avec des problèmes politiques. Aujourd’hui, nous faisons face à une augmentation de 25 % de notre population – la plupart, pour le dire ainsi, des yuppies [Young Urban Professional]. Comment cela va-t-il nous affecter ? Nous n’en savons rien. C’est une première. Notre propre émission de télé-réalité », dit-elle en riant.
A leur arrivée à Mishmar Haemek, les membres de Nahal Oz ont vécu dans les dortoirs du complexe éducatif Shomeria du kibboutz. Ils ont ensuite été logés un peu partout, là où il y avait de la place, quitte à partager un logement, comme ce fut le cas que quelques jeunes.
Tzabari est conscient du sacrifice que cela requiert, dit-il. Il vit dans un appartement d’une seule pièce, qu’il partage avec son compagnon, Rotem Katz, et leur chien. « Ce n’est pas très grand, mais l’endroit est super », explique Tzabari en s’asseyant sur le lit, qui occupe presque toute la pièce.
À Mishmar Haemek, « on nous répète que nous sommes chez nous. Mais je me garde de le prendre au pied de la lettre parce que j’ai besoin de continuer de penser que chez moi, c’est Nahal Oz », confie Tzabari, dont la maison de deux pièces à Nahal Oz a été partiellement détruite. Une roquette tirée de Gaza a fait exploser le salon, – Katz et lui étaient déjà partis.
Ça lui manque tellement que Tzabari, lors d’un récent passage chez lui, à la frontière de Gaza, s’est fait un sandwich et l’a mangé parmi les décombres, dans un silence étrange, seulement interrompu par les bruits sourds de l’artillerie à Gaza.
« C’était un sentiment étrange d’être assis là, dans ce qui était – ce qui est toujours – notre chez nous », évoque Tzabari, « mais il était important pour moi de prendre ces 10 minutes et de me retrouver chez moi. »
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