Le ministère de l’Environnement refuse la demande du Premier ministre d’augmenter l’activité pétrolière à Eilat
Le ministère refuse de cesser de protéger les coraux de la mer Rouge et les écosystèmes marins, ce qui pourrait rapporter 50 millions de dollars de plus par an
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Le ministère de la Protection de l’environnement a annoncé mercredi avoir refusé une demande des services du Premier ministre d’autoriser une compagnie pétrolière d’État plutôt controversée à augmenter la quantité de brut qu’elle achemine dans la ville portuaire d’Eilat, dans le sud, sur la mer Rouge, avant son transport par voie terrestre jusqu’à Ashkelon, sur la côte méditerranéenne, et son départ pour des ports européens.
L’Europe Asia Pipeline Company a un bilan environnemental médiocre. Au-delà des fuites de pétrole, l’entreprise s’est rendue responsable, il y a de cela dix ans, de la plus grande catastrophe environnementale de toute l’histoire israélienne lorsque l’un de ses oléoducs s’est rompu, envoyant près de 4 millions de litres de pétrole brut dans la réserve naturelle d’Evrona, dans le sud d’Israël. La réserve ne s’en est pas encore remise.
Le ministère de la Protection de l’environnement est responsable de la protection des récifs coralliens uniques d’Eilat, qui abritent un riche écosystème marin sur lequel repose l’essentiel de l’industrie touristique d’Eilat.
La société a tenté de faire invalider la politique dite du « zéro risque ajouté », laquelle consiste à n’autoriser que les activités présentant un risque environnemental raisonnable ou acceptable, politique introduite par l’ex-ministre de la Protection de l’environnement, Tamar Zandberg, pour éviter toute nouvelle marée noire.
Dimanche, le directeur général des services du Premier ministre, Yossi Shelley, a envoyé au successeur de Zandberg, Idit Silman, le rapport d’une équipe interministérielle mise en place pour évaluer cette fameuse politique, lui demandant de l’examiner à nouveau, avec en fond l’opposition des ministères des Finances, de l’Énergie, des Affaires étrangères et du Conseil de sécurité intérieure.
La demande de Shelley, qui est le reflet d’une tendance actuelle consistant à placer les intérêts commerciaux au-dessus de la protection de l’environnement, a été saluée par l’Europe Asia Pipeline Company.
Le ministère de la Protection de l’environnement a déclaré par voie de communiqué que sa position ne changerait pas.
Un accord potentiellement lucratif
En cause, un accord signé en 2020 entre la Europe Asia Pipeline Company et un consortium d’entreprises israélo-émirati appelé MED-RED Land Bridge pour transporter le pétrole du Golfe par voie terrestre entre Eilat et Ashkelon.
En 2021, le ministère de l’Environnement a notifié à la société sa décision de limiter à six le nombre de pétroliers du Golfe autorisés à accoster chaque année à Eilat, alors que la société demandait le feu vert pour 30 navires. Le ministère a expliqué sa décision en faisant état de l’existence d’oublis dans deux enquêtes sur les risques environnementaux fournies par la Europe Asia Pipeline Company, ainsi qu’à un manque de préparation à des cas de marée noire.
Deux mois plus tard, le ministère informait la Europe Asia Pipeline Company de sa décision de ne plus accorder les permis nécessaires, invoquant des risques de fuites. Il devait ensuite lui octroyer des permis provisoires pour stocker davantage de pétrole dans les installations de l’entreprise à Eilat, sous réserve qu’il soit destiné à de la consommation domestique.
Fin 2021, les organisations écologistes ont retiré leur recours auprès de la Cour suprême contre l’accord MED-RED, lorsque les services du procureur de l’État ont déclaré à la cour que, du point de vue du ministère de la Justice, le ministère de la Protection de l’environnement avait toute autorité pour agir comme il l’avait fait.
Mais quelques mois plus tard, le ministère des Finances a demandé à revoir la politique de « zéro risque ajouté » et, en juillet 2023, Shelley a mis en place une équipe interministérielle destinée à examiner la question.
Le rapport de l’équipe, obtenu mercredi par le site d’information Ynet, indique que l’augmentation du flux de pétrole à Eilat, dans le cadre de l’accord MED-RED, pourrait rapporter à l’entreprise 50 millions de dollars supplémentaires par an. Il ajoute que le gouvernement n’est pas d’accord avec l’approche du zéro risque si l’activité en question peut rapporter des avantages.
Comme le fait régulièrement la Europe Asia Pipeline Company, le rapport évoque l’importance stratégique d’une augmentation des importations de pétrole pour la sécurité énergétique du pays et la continuité de ses approvisionnements en cas d’urgence, expliquant que la politique actuelle pourrait nuire aux relations bilatérales avec les Émirats arabes unis – affirmation rejetée par un haut responsable de l’ambassade des Émirats arabes unis en Israël en 2021.
En avril, après avoir reçu une ébauche du rapport, le directeur-général du ministère de la Protection de l’environnement, Guy Samet, a répondu que ses conclusions constituaient une « ingérence flagrante » dans le jugement de son ministère et s’inscrivaient en faux par rapport à l’engagement d’autres pays, impliqués eux dans la réduction des activités pétrolières pour protéger les récifs coralliens et les environnements marins sensibles.
Le rapport de l’équipe est truffé d’inexactitudes, poursuit Samet, adossé à une enquête officielle sur les risques réalisée il y a de cela 17 ans (une nouvelle est en cours) et sur des informations fournies par la compagnie, que le ministère a déjà rejetées.
Selon Samet, le rapport ne fait aucune mention des avis rendus par son ministère, les experts en écologie corallienne et marine, les autorités locales ou les organisations environnementales. Le ministère des Affaires étrangères n’est pas non plus d’avis que l’augmentation des flux de pétrole s’opposerait aux engagements d’Israël en matière de climat.
Samet a par ailleurs mis en garde contre les risques de pollution emportés par la guerre et rappelé les récents dégâts infligés à un chantier naval d’Eilat par un drone, manifestement lancé depuis l’Irak. Il a déclaré que si le drone avait heurté un pétrolier amarré au port de la Europe Asia Pipeline Company d’Eilat, les dégâts infligés aux coraux et à l’environnement marin auraient été irréversibles.