Le musée de la mer Morte d’ICL évoque les pionniers du passé en préparant son avenir
Une visite à travers des cabanes de pionniers reconstruites conjugue histoire sioniste et promotion d’ICL, qui craint pour le renouvellement de sa licence d’extraction minière

Il faut parcourir un long trajet pour arriver à Sodome, à proximité de l’extrémité sud de la mer Morte, et découvrir le nouveau centre pour les visiteurs qui a été ouvert en Décembre par la firme ICL (ex-Israel Chemicals Ltd).
Situé en contre-bas des roches imposantes du mont Sodome, il raconte l’histoire remarquable de l’industrie des mines de potasse en Israël -une aventure qui avait été initiée par Moshe Novomieski, Moshe Langotsky, chef du kibboutz Yehuda Kopelevich (Almog), et d’autres, au cours des cinquante premières années du siècle dernier dans des conditions presque inhumaines, sur l’un des sites les plus inhospitaliers de la Terre.
Le Moshe Novomieski Visitors and Heritage Center, qui a coûté 50 millions de shekels, est situé là où se trouvait le premier camp de travailleurs. Certains bâtiments d’origine sont encore visibles.
C’est la réalisation d’un rêve pour Yossi Langotsky, fils de Moshe Langotsky, aujourd’hui âgé de 87 ans, qui milite depuis des années pour la création d’une institution qui immortaliserait la contribution apportée par ces pionniers.
Yossi Langotsky, colonel à la retraite de Tsahal et deux fois lauréat du Prix de la Défense d’Israël, est le géologue qui a découvert le champ de gaz naturel de Tamar en 2009, ouvrant la voie à la découverte d’autres champs gaziers dans l’Est de la Méditerranée.
La première potasserie avait été construite à l’extrémité nord de la mer Morte en 1930. L’industrie s’était développée en descendant vers le sud du pays jusqu’à Sodome en 1934, devenant la plus grande entreprise industrielle avant la création de l’Etat d’Israël et produisant, à son apogée, plus de cinquante pour cent des exportations de la Palestine sous Mandat britannique.

Le nouveau centre comprend plusieurs bâtiments en bois, dans le style de ceux qui abritaient les premiers ouvriers – avec parmi eux de nombreux membres de kibboutz.
Il propose des visites guidées de 90 minutes qui peuvent être réservées en ligne (en hébreu). Ces visites mettent l’accent sur le processus géologique qui a créé la mer Morte (la formation de la vallée syrienne du rift africain), la fondation de la compagnie Eretz-Israeli Potash avant la création de l’État, et les activités actuelles d’ICL.
Au centre, il n’y a quasiment pas d’exposition de textes ou de panneaux – seulement des objets et du matériel de l’époque, comme cette énorme machine que les plus jeunes visiteurs prennent un plaisir immense à escalader.
En revanche, des films et leurs acteurs – dont certains sont bien connus en Israël – racontent l’histoire de l’industrie, avec une visite en réalité virtuelle du camp à ses débuts, et un jeu-questionnaire, auquel il est possible de répondre en pressant les touches d’une télécommande.

Les films mettent en vedette les deux premiers Moshe. Il y a Moshe Novomieski, cet homme invariablement vêtu d’un casque tropical, d’un costume et d’une cravate – des vêtements qui contrastent avec la sueur, le sacrifice et l’esprit pionnier de ceux qui avaient vécu et travaillé sous des températures brûlantes, sans ombre, sans climatisation ou autre luxe moderne d’aucune sorte. Les tentes dans lesquelles certains dormaient étaient si étouffantes que leurs occupants se réfugiaient dans les grottes du mont Sodome pour y trouver un peu de fraicheur.
Le récit sioniste de la construction de la nation se poursuit de manière évidente dans les films qui retracent les opérations d’ICL, la société de la famille Ofer qui avait repris la concession lui permettant d’exploiter la potasse, le brome et le magnésium de la mer Morte lorsque l’usine avait été privatisée au tournant de ce millénaire.
Idan Ofer, le principal actionnaire d’ICL et de sa société-mère, l’Israël Group, a peu de points communs avec les pionniers des débuts. Fils d’un magnat de la navigation, il avait été parachuté à la présidence du groupe alors qu’il était encore un jeune homme. Cela fait quelques années qu’il a quitté Israël pour Londres, vraisemblablement en faveur d’un régime fiscal plus avantageux.

Néanmoins, la plupart des visiteurs ignorent probablement que la licence attribuée à ICL pour l’exploitation des minéraux de la Mer Morte prendra fin en 2030 et que l’entreprise est impatiente d’obtenir son renouvellement.
C’est assurément dans ce contexte que s’inscrivent la plupart des messages apparaissant vers la fin d’un film projeté aux visiteurs.
La mer Morte a diminué de moitié depuis 1976, principalement parce que l’eau du lac de Tibériade est détournée pour l’utilisation humaine par la Syrie et la Jordanie. Israël n’injecte plus d’eau dans le Jourdain, qui finit sa course en se jetant dans la mer Morte.
La mer Morte perd par ailleurs plusieurs centaines de millions de mètres-cubes d’eau chaque année à cause de l’évaporation .
Les travaux de l’ICL ont contribué et contribuent encore également – et de manière significative – à la baisse du niveau de la mer. En pompant l’eau dans sa partie nord, plus profonde, et en la redirigeant vers de vastes bassins d’évaporation qui se trouvent à l’extrémité sud, elle est responsable d’environ 25 des 110 centimètres du niveau de l’eau qui sont perdus chaque année.

Le principal narrateur du film, qui incarne l’arrière-petit-fils de Novomieski, explique aux visiteurs toutes les bonnes raisons pour lesquelles le monde a besoin des minéraux de la mer Morte – la potasse pour fabriquer les engrais qui permettront de produire les aliments nécessaires pour nourrir une population mondiale croissante confrontée au changement climatique; le magnésium, le métal structurel le plus léger de la planète, présent dans les postes de télévision, les téléphones portables et jusque dans les voitures de course ; et les dérivés du brome, utilisés dans la plupart des industries ainsi que dans la haute technologie.
L’arrière-petit-fils, qui s’exprime sur fond de musique, explique à quel point le travail d’ICL dans le monde est essentiel, mais aussi à quel point il est important pour la résilience économique du Néguev (l’ICL est un employeur déterminant dans la région), ajoutant que la firme « équilibre les besoins de l’industrie, de la société et de l’environnement ». Après tout, Dead Sea Works restitue « plus des deux tiers » de l’eau qu’elle pompe dans la mer Morte après en avoir retiré les minéraux (mais quid de l’autre tiers ?, s’interroge cette journaliste).

Les bassins d’évaporation ont « sauvé le tourisme » dans la partie sud de la mer Morte, qui, autrement, aurait été asséchée (la « mer » au large des hôtels de Bokek est un énorme bassin d’évaporation), est-il affirmé aux visiteurs. En effet, ces étendues d’eau constituent la « plus grande usine solaire du monde ».
Et enfin, selon le film, les gouffres autour de la mer Morte se formeraient « même si nous ne pompions pas un seul centimètre cube», et, poursuit-il, « à l’avenir, la mer se stabilisera naturellement ».
Le film évite de mentionner que la société ICL a été qualifiée de « délinquante en série » par Alon Tal, député à la Knesset, car elle aurait tenté d’éviter de payer ce qu’elle devait au gouvernement.
Pendant des années, l’entreprise a retardé au maximum le paiement de ce qu’elle devait à l’État (elle a dû finalement s’incliner). Elle a également tenté de contrecarrer une loi sur la taxation des ressources naturelles. Cette loi, qui imposait des paiements à un fonds souverain, avait été adoptée en 2014 – mais l’ICL, à ce jour, n’a toujours pas transféré d’argent. Puis, il y a quelques mois, l’ICL a réussi à convaincre l’Autorité de l’eau et le ministère de la Justice que contrairement à toutes les autres industries en Israël, elle ne devrait pas être facturée pour l’eau qu’elle utilise.
Le Ministère de la Protection de l’environnement serait en désaccord avec l’image écologiste verte que le film tente de dépeindre, soulignant ses émissions nocives et les dommages essuyés par les terrains qui se trouvent dans sa zone d’exploitation.

De plus, l’ICL a peut-être contribué à « sauver » la partie sud de la mer Morte en créant des bassins d’évaporation – mais il est impossible d’omettre que la firme a été en partie responsable du fait que la section sud s’est retrouvée à un moment en danger d’assèchement.
Le narrateur explique comment l’ICL protège également les hôtels de Bokek de la hausse du niveau des eaux dans le grand bassin d’évaporation, en employant une drague massive pour enlever le sel qui s’accumule au fond du bassin.
Il aura fallu toutefois des années de lutte avant que la société ICL accepte d’assumer les coûts de ces opérations de raclage et même après avoir trouvé un accord avec le gouvernement, elle avait retardé sa mise en œuvre.
Dire que la mer finira par se stabiliser « naturellement » est quelque peu exagéré. Il n’y a rien de naturel dans le dessèchement de la mer Morte — il résulte des activités humaines.
Mais les choses devraient, à terme, trouver un certain équilibre.
Comme le professeur Nadav Lensky, chef de l’Observatoire de la Mer Morte à la Commission géologique d’Israël, l’explique au Times of Israël, si la mer Morte, qui couvre actuellement un peu plus de 600 kilomètres carrés et qui se trouve à 436 mètres en-dessous du niveau de la mer, baisse encore d’environ 100 mètres dans les prochains siècles, la concentration de sel sera si élevée que l’évaporation se réduira à une vitesse qui compensera l’eau douce qui s’y déverse.
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