Le théâtre national de Suède présente sa toute première production en yiddish
Bien qu'il n'y ait qu'environ 3 000 locuteurs en Suède aujourd'hui, les trois spectacles qui ont fait salle comble reflètent la popularité de la langue officielle minoritaire
STOCKHOLM (JTA) – Les acteurs de la production de ce week-end de En attendant Godot de Samuel Beckett au Théâtre royal dramatique de Stockholm n’ont joué ni dans la version originale anglaise de la pièce classique, ni dans sa traduction suédoise.
Ils s’exprimaient plutôt en yiddish, une langue parlée par très peu de Suédois mais de plus en plus appréciée.
La version yiddish de la pièce de l’absurde de l’auteur irlandais, traduite par Shane Baker, a été créée en 2013 par le New Yiddish Rep, une compagnie théâtrale de New York, sous la direction de Moshe Yassur, un survivant de la Shoah dont la carrière dans le théâtre yiddish remonte à son enfance en Roumanie avant la guerre. Elle a effectué des tournées aussi loin que Paris et Enniskillen en Irlande du Nord.
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Les représentations ont marqué les débuts de la pièce en Suède, et c’est la première fois qu’une pièce en yiddish a été montée par la compagnie nationale de théâtre de Suède – le seul endroit que ses promoteurs locaux ont de toute façon envisagé.
« Je ne voulais pas qu’elle soit présentée ailleurs qu’à Dramaten », a déclaré Lizzie Oved Scheja, directrice exécutive de ‘J ! Jewish Culture in Sweden‘, l’une des institutions responsables de l’organisation du spectacle à Stockholm, à propos du choix de la salle. « Nous pensons que la culture juive doit faire partie de la culture suédoise, et qu’elle doit être présentée sur toutes les scènes principales de Suède », a-t-elle déclaré.
Les trois représentations ont été remplies presque à pleine capacité et ont attiré des membres éminents, y compris la ministre suédoise de la Culture, ce qui a amené Scheja à qualifier la mise en scène de « triomphe d’une culture qui était censée être anéantie » pendant la Shoah.
Aujourd’hui, en Suède, pas plus de 3 000 personnes sur une population juive d’environ 25 000 personnes peuvent parler le yiddish, selon la Jiddischsällskapet, la ‘Société pour le yiddish’ du pays. Même ce chiffre pourrait bien être surestimé, étant donné le faible nombre de juifs orthodoxes haredi dans le pays, – la population qui parle le plus souvent le yiddish dans sa vie quotidienne, – et les niveaux élevés d’assimilation.
Mais la langue a une longue histoire dans le pays, qui remonte au 18e siècle, lorsque les Juifs ont été autorisés pour la première fois à s’y installer. La population de locuteurs de yiddish avait encore augmenté au début du 20e siècle, avec une nouvelle vague d’émigration juive, principalement en provenance de Russie, et après la Seconde Guerre mondiale, lorsque des milliers de survivants de la Shoah sont arrivés en Suède, qui avait protégé sa propre population juive des nazis.
En 2000, le yiddish est devenu l’une des langues minoritaires officielles de la Suède (avec le finnois, le sami, le meänkieli et le romani). Le statut de « patrimoine culturel » a permis au gouvernement de financer des initiatives visant à préserver la langue en Suède au cours des 20 dernières années.
Dans le même temps, certains Suédois plus jeunes ont commencé à renouer avec leur patrimoine, conformément à une tendance qui s’est développée dans toute l’Europe.
« Il y a une génération de gens qui ont maintenant 30, 40 ou 50 ans et qui découvrent qu’ils sont juifs », a déclaré Oved Scheja. Leur intérêt pour le yiddish fait qu’il est enseigné dans les universités de Lund et d’Uppsala, ainsi qu’au Paideia, un institut d’études juives créé il y a 20 ans à Stockholm.
La radio suédoise diffuse un programme consacré au yiddish intitulé « Jiddisch far alle », ou « Yiddish pour tous », et il y a deux ans, un éditeur suédois, Nikolaj Olniansky, a publié la traduction yiddish de la saga Harry Potter. Cette publication a été partiellement financée par le gouvernement suédois, comme de nombreuses autres initiatives visant à préserver les langues minoritaires.
La Jiddischsällskapet [‘Société pour le yiddish’] – qui possède son propre théâtre amateur et monte des pièces classiques dans cette langue – est la principale organisation suédoise consacrée à la préservation du patrimoine culturel du yiddish. Elle a aidé à produire la pièce de Beckett, avec le soutien de ‘J ! Culture juive en Suède’, qui a plus d’expérience dans l’identification d’artistes, d’écrivains et d’interprètes juifs les plus susceptibles d’intéresser le grand public suédois.
Ces dernières années, les deux organisations ont collaboré à plusieurs autres projets liés au yiddish, comme une série de films en yiddish. Le mois dernier, elles ont lancé un podcast en langue yiddish, « Yiddish Talks ». Le premier épisode est une conversation avec Baker, le traducteur et acteur de En attendant Godot – qui n’est pas juif.
Le lien entre la pièce et la culture juive est antérieur à sa traduction en yiddish. Le biographe de Beckett a écrit qu’un ami juif, capturé par les nazis et mort peu après la libération, avait été une source d’inspiration pour le dramaturge, qui, dans une première version, avait nommé un personnage Levy, un nom traditionnellement juif. Et le neveu de Beckett, qui a vu la pièce il y a quelques années, aurait déclaré qu’elle aurait pu être écrite en yiddish tant la langue correspondait à ses thèmes.
« L’attente est juive », a déclaré Yassur à la Jewish Telegraphic Agency après l’une des représentations de Stockholm. » ‘Godot’ s’inscrit très bien dans la tradition juive de l’attente. Les Juifs attendent le Messie depuis 2 000 ans. Il ne vient pas, mais ils attendent toujours. »
Né dans les années 1930 à Iași, en Roumanie, la même ville ouvrière où Avraham Goldfaden avait, des décennies plus tôt, créé ce qui est devenu la première troupe professionnelle de théâtre yiddish au monde, Yassur parlait le yiddish et se produisait dans le théâtre yiddish dès son enfance. Après avoir survécu à un pogrom dans sa ville en 1941, puis à la Shoah, il s’est installé en Israël en 1950, puis à New York.
Ce n’est que des années plus tard qu’il est revenu travailler dans sa première langue au New Yiddish Rep, une décision qu’il dit avoir été « naturelle » pour lui. Mais il dit ne pas se voir comme un protecteur du yiddish ou avoir pour mission de faire vivre le théâtre yiddish.
« Le yiddish survivra et se protégera lui-même. Tant que le peuple juif survivra, la langue yiddish survivra aussi », a déclaré M. Yassur.
Bien que la pièce ait été écrite lorsque des millions de personnes déplacées, dont Yassur, erraient à travers l’Europe dévastée, elle trouve un écho dans les problèmes des actuels migrants. Ces dernières années, la Suède a accepté un flux de réfugiés, puis a dû faire face aux défis liés à leur intégration et à une montée de l’activité politique d’extrême-droite cherchant à les rejeter.
« La notion de déplacement, culturel et linguistique, est une question paneuropéenne et la Suède en a également été affectée », explique la dramaturge Beata Hein Bennett. « Il y a une phrase dans ‘En attendant Godot’ où Estragon demande : ‘Où finissons nous ? Vladimir répond : ‘A quatre pattes' ».
Le statut contesté des immigrés dans la société suédoise, où les Juifs constituaient il n’y a pas si longtemps encore une importante population de réfugiés, a donné encore plus de résonance à une représentation en yiddish de la pièce au Théâtre dramatique royal.
« Il est extrêmement important qu’une pièce en yiddish soit jouée sur la scène nationale », a déclaré Oved Sheja. « Cela montre la volonté du théâtre de s’ouvrir, d’avoir de la diversité. Et quelle est l’essence de la diversité si ce n’est cette langue, cette pièce elle-même, le fait qu’elle soit jouée par une troupe de New York ? »
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