Les avis des conseillers juridiques ministériels bientôt « non-contraignants » ?
Un nouveau projet de loi veut restreindre l'indépendance des conseillers, permettant à terme aux ministres de faire appel au juriste de leur choix pour défendre leur politique
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.
Dans le cadre de son projet de refonte judiciaire, la coalition a fait part jeudi d’un nouveau projet de loi visant à changer le statut des conseillers juridiques dans les ministères qui, d’autorités indépendantes, deviendraient un conseil choisi en fonction d’affinités politiques et dont l’avis sera explicitement « non-contraignant » pour le gouvernement et pour ses ministres.
Avancé par la Commission de la Constitution, du droit et de la Justice à la Knesset, ce projet de loi visant à amender la Loi fondamentale : Le gouvernement marginaliserait l’influence du ministère de la Justice sur le gouvernement et sur ses positionnements juridiques. Les débats commenceront lundi, a précisé le président de la commission, Simcha Rothman.
Ce texte entre dans le cadre d’un projet de réforme judiciaire plus large qui renforcera le pouvoir de la Knesset au détriment du système judiciaire, une refonte décriée par la procureure-générale, d’anciens juges et responsables de la justice et par l’opposition. Tous affirment que ce bouleversement met en danger la démocratie et les libertés civiles. L’architecte de la réforme, Yariv Levin, assure que ces changements radicaux sont nécessaires pour renforcer la démocratie en accroissant le pouvoir des représentants élus du peuple et le Premier ministre Benjamin Netanyahu soutient fermement son initiative, invoquant la mise en place d’un nouvel équilibre entre les autorités publiques.
Le projet de loi qui a été soumis jeudi par la commission de la Constitution établit que le gouvernement, le Premier ministre et tous les membres du cabinet « sont en droit de déterminer le positionnement juridique de leur bureau ou des autorités civiles placées sous leur autorité dans les affaires légales, que ce soit de manière générale ou dans un cas spécifique ».
« L’avis juridique donné au gouvernement » ou « au Premier ministre et à tous les ministres du gouvernement n’aura pas un caractère d’obligation pour ces derniers et ne sera pas en capacité d’altérer leur positionnement légal », dit-il encore.
De la même façon, le cabinet et ses ministres « sont autorisés à rejeter un avis juridique et à agir contre ».
Actuellement, les conseillers juridiques des ministres sont placés sous les auspices de la procureure-générale de manière à préserver leur indépendance face aux influences politiques et les avis qu’ils émettent ont un caractère contraignant pour les ministères.
Le Likud de Netanyahu et ses alliés d’extrême-droite et religieux qui siègent au gouvernement avaient promis de redéfinir l’équilibre des pouvoirs entre les politiciens et les autorités judiciaires à l’approche des élections du mois de novembre, qu’ils ont finalement remportées.
La proposition actuelle va plus loin que la promesse électorale qui avait été faite par le Likud de transformer les conseillers juridiques en « postes de confiance » – ce qui signifie qu’ils pouvaient être embauchés et renvoyés selon les caprices du gouvernement : ces changements changeraient jusqu’au statut légal des avis qu’ils donnent au ministère.
Le projet de loi permettrait également aux ministres de choisir n’importe quel juriste – même un juriste du secteur privé – pour représenter leur bureau lors d’une audience, aidant ainsi les politiciens à échapper à un contrôle du ministère de la Justice sur l’avancée de politiques que ce dernier ne soutiendrait pas et refuserait de défendre.
Les Lois fondamentales ont un statut quasi-constitutionnel et la portée de ce statut est actuellement débattue entre les tribunaux et le projet de réforme de Levin. Mercredi soir, Levin a rendu public un texte qui modifierait très largement la Loi fondamentale : Système judiciaire, et qui comprend notamment une clause qui empêcherait la Haute cour de justice de débattre et d’invalider des Lois fondamentales.
Si une telle législation devait être adoptée et rester incontestée, cela signifierait que la Cour ne pourrait même pas débattre de la proposition faite par la commission de la Constitution de réécrire la définition du poste de conseiller juridique ministériel.
Le bureau de la procureure-générale n’avait pas répondu à notre demande de réaction au moment de la rédaction de cet article.