Les députés israéliens n’épargneront pas l’industrie des options binaires
A la Knesset, des soutiens de l'industrie, largement frauduleuse, qui a fait des victimes dans le monde entier, ont affirmé que l'interdiction de cette industrie mettrait 80 000 Israéliens au chômage. Impassibles, les régulateurs, la police et les législateurs ont promis d’accélérer l’adoption de la loi
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Deux avocats de l’industrie largement frauduleuse des options binaires israélienne ont tenté mardi de persuader députés et responsables gouvernementaux d’abandonner un projet de loi qui fermerait ces entreprises. Ils affirment que cette loi serait à l’origine d’un chômage massif et d’un effondrement du marché de l’immobilier.
Lors d’une réunion de la commission du Contrôle de l’Etat de la Knesset, qui faisait suite à une réunion organisée le 2 janvier , des représentants de l’Autorité des titres israélienne (ATI) et du ministère de la Justice ont présenté un projet de loi qui fermerait toute l’industrie israélienne des options binaires, un secteur largement frauduleux dans lequel plus de 100 entreprises, qui emploient des milliers d’Israéliens, ont arnaqué un vaste nombre de victimes dans le monde entier à hauteur de milliards de dollars pendant la dernière décennie. Le projet de loi a été approuvé par le ministre des Finances, Moshe Kahlon, et sera présenté début mars à la commission de lois pour commencer son processus législatif.
« Le projet de loi donnera une autorité exceptionnelle à l’Autorité des titres d’Israël », a déclaré Shmuel Hauser, président de l’ATI, pendant la réunion, la seconde consacrée au sujet et convoquée en réaction directe aux articles publiés l’année dernière par le Times of Israël sur la fraude des options binaires.
« Parce que cette industrie salit le nom d’Israël et qu’elle attise l’antisémitisme, nous devons enrayer ce phénomène », a ajouté Hauser.
Contrairement à la première rencontre de la commission de Contrôle de l’Etat du 2 janvier, où les participants avaient dénoncé à l’unanimité l’industrie des opinons binaires israélienne, plusieurs lobbyistes et soutiens de l’industrie binaire étaient venus mardi, et deux d’entre eux ont affirmé que, en essence, les options binaires sont « too big to fail« , trop importantes pour faire faillite.

Roni Rimon, professionnel des relations publiques, s’est présenté comme le porte-parole de l’EUBOA, l’Association des options binaires de l’Union européenne, qui représente d’après lui « les courtiers européens en options binaires qui détiennent des licences ». Il a déclaré que l’industrie des options binaires devait être régulée par l’Autorité des titres israélienne, mais pas fermée. Si la loi est adoptée, a-t-il mis en garde, des milliers de gens perdront leur emploi, ce qui nuira terriblement à l’économie d’Israël.
« Nous ne pensons pas qu’Israël doive jeter le bébé avec l’eau du bain. Ces entreprises israéliennes vont simplement partir en Europe de l’ouest et en Europe de l’est et embaucher des Européens pour travailler dans leurs centres d’appel à la place des Israéliens. »
Selon Finance Magnates, une revue professionnelle des industries du Forex et des options binaires, l’EUBOA est une organisation « auto-régulée » pour les entreprises d’options binaires, qui a été fondée en 2016. Elle compte parmi ses membres iq Option, 24option, Anyoption, SpotOption et TechFinancials. 24Option a été décrite comme une entreprise « dangereuse » par les régulateurs français, et interdite d’exercice en France. Anyoption a fait l’objet de plusieurs avertissements des régulateurs canadiens. Spotoption assure le service client pour une grande proportion de sites internet d’options binaires, dont 23Traders, cette entreprise israélienne qui a escroqué Fred Turbide d’Edmonton, au Canada qui, ruiné, s’est donné la mort.
Un second intervenant, Yanir Melech, propriétaire d’Abir Security Services, une entreprise qui assure des enquêtes privées, des interrogatoires au détecteur de mensonges et d’autres services liés à la sécurité, a affirmé que la fermeture de l’industrie des options binaires pourrait entraîner des actes terroristes et l’effondrement du marché immobilier, et potentiellement de l’économie entière.
« Cette industrie emploie 4 000 à 5 000 Arabes israéliens, a déclaré Melech. La majorité d’entre eux n’a pas de profession et c’est peut-être la seule chose que l’Etat d’Israël a fait pour transformer ces minorités en Israéliens. »
Melech a affirmé que si l’industrie entière des options binaires était interdite, comme le ferait la législation, les Arabes israéliens pourraient se tourner vers le terrorisme. « Ils reviendront probablement dans leurs villages et ils n’y trouveront pas d’emploi, et cela pourrait causer un problème nationaliste pour l’Etat d’Israël », a-t-il affirmé.
Le discours de Melech a été interrompu par les exclamations des avocats et des défenseurs des victimes des options binaires.
« Qui vous a payé pour parler ici ? », a demandé Nimrod Assif, avocat.
« Personne », a-t-il répondu.
Melech a déclaré que, selon ses estimations, 20 000 personnes travaillent actuellement dans l’industrie des options binaires en Israël, et 60 000 personnes travaillent pour elle de manière indirecte. « Vous voyez le boom immobilier à Tel Aviv ? Eh bien, vous pouvez simplement lui dire adieu parce que la plupart des gratte-ciels de Tel Aviv resteront vides. Il n’y aura personne pour les occuper. »
Affirmant que le nombre des suicides causés par les entreprises d’options binaires était négligeable, Melech a poursuivi en déclarant que « fermer une industrie, ce n’est pas comme fermer une épicerie dans le sud de Tel Aviv. Cela a des répercussions bien plus graves que la manière dont le mouvement BDS nous voit », une référence à l’argument selon lequel l’industrie alimenterait le sentiment anti-israélien.
« Cet argument est vraiment ridicule », a estimé Assif, l’avocat, après la session. « Si la police réprime le crime organisé, certains individus vont perdre leur emploi mais ce n’est pas une raison pour ne pas lutter contre les activités criminelles. Le fait que cette industrie soit devenue si gigantesque n’est pas une raison pour ne pas la fermer, mais une raison pour faire cesser tout ça plus rapidement. »
Melech a également affirmé que les nouveaux immigrants qui fuient l’antisémitisme de leurs pays d’origine n’auraient pas d’emploi si les options binaires étaient fermées. Le président de l’ATI, Shmuel Hauser, l’a interrompu : « vous dites que les gens qui s’installent ici veulent échapper à l’antisémitisme. Sont-ils venus ici pour attiser l’antisémitisme ? Est-ce pour cela qu’ils sont venus en Israël ? »
« Accuser une industrie de l’antisémitisme et de l’anti-israélisme mondial et du nouveau nazisme, ce n’est pas réaliste », a répliqué Melech.
« J’étais en Europe il y a quelques semaines avec tous les régulateurs, et j’ai entendu ce qu’ils avaient à dire sur cette industrie, a déclaré Hauser. Et je vous le dis, c’est quelque chose que vous ne connaissez pas. »

Le projet de loi a été finalisé la semaine dernière, un an après que le Times of Israël a commencé à exposer les pratiques largement frauduleuses de l’industrie des options binaires.
En août dernier, Hauser avait promis d’entamer les démarches nécessaires pour déjouer les plans des escrocs.
Ce même mois, Natan Sharansky, président de l’Agence juive pour Israël, avait exhorté le gouvernement à mettre un terme aux activités de cette industrie « répugnante et immorale ».
Et en octobre, le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu, alerté de la fraude par le Times of Israël, avait appelé à l’interdiction dans le monde entier de cette industrie « sans scrupules ».
Israël a déjà interdit à ces entreprises de cibler des clients israéliens au printemps 2016. Le projet de loi actuel interdit tout commerce des options binaires et a donc pour objectif de faire totalement et définitivement cesser le fléau représenté par ces entreprises qui trompent des victimes dans le monde entier pour qu’elles se départissent de leur argent.
La législation cible également le Forex et les entreprises de contrats de différence à terme, dites CFD, en exigeant qu’elles obtiennent une licence spécifique pour travailler dans un pays donné où elles ont des clients. Beaucoup de ces entreprises de ce type installées en Israël se prêtent également à des pratiques frauduleuses. Ces compagnies trompent leurs victimes en leur faisant croire qu’elles proposent des investissements lucratifs à court terme, mais dans l’écrasante majorité des cas, les clients finissent par perdre tout leur argent, ou presque et ce du jour au lendemain.
Le projet de loi doit encore surmonter plusieurs obstacles avant d’être adopté. La première étape est celle de la commission des Lois, la commission qui décide quels projets de loi seront présentés à la Knesset. Il sera ensuite soumis à une autre commission parlementaire, probablement la commission des Finances, ou la commission des Affaires économiques ou la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice, où il sera l’objet de débats et de délibérations avant un vote. Enfin, le projet de loi sera présenté en plénière pour une première lecture, avant d’être représenté en commission pour des ajustements, avant d’être à nouveau présenté en deuxième et troisième lectures en plénière.
Deux responsables du gouvernement présents lors de la commission du 28 février à la Knesset ont indiqué au Times of Israël que, comme le projet de loi est parrainé par le ministère de la Justice, ce qui n’est pas fréquent, il est très probable que ces obstacles soient surmontés. Toutefois, un juriste familier du processus législatif a déclaré qu’il pourrait y avoir des retards à chaque étape.
« L’industrie des options binaires a embauché Roni Rimon, l’un des professionnels les plus prestigieux et les plus expérimentés en relations publiques d’Israël, pour défendre son cas devant la Knesset », a expliqué l’avocat.
« Il ne s’exprime pas contre la loi, mais affirme plutôt que l’industrie devrait être régulée. Je ne pense pas que beaucoup de députés voteront contre cette loi, mais ils peuvent dire des choses comme ‘nous avons besoin de clarifications, nous devons consulter des experts, nous devons débattre pour savoir si les sanctions ne sont pas trop draconiennes’. Tout cela peut entraîner des retards. »
La présidente de la commission de Contrôle de l’Etat, Karin Elharar, députée du parti Yesh Atid, a promis mardi de recommander l’adoption rapide de la législation et a indiqué qu’elle bénéficierait du soutien de l’opposition. La députée de Koulanou Merav Ben-Ari, également membre de cette commission, a indiqué à la Knesset que, comme il s’agit d’un projet de loi gouvernemental, et non d’une initiative privée d’un parlementaire, les chances d’adoption de la loi sont élevées.
Mais tout cela pourrait ne pas être suffisant, a expliqué l’avocat. « Si les lobbyistes sont efficaces, ils pourront retarder son adoption pendant un long moment, puis proposer une autre législation pour réguler l’industrie, ce qui peut demander également beaucoup de temps. »
Où est la police ?
Pendant la séance, David Horovitz, le rédacteur en chef du Times of Israël, a salué Hauser pour son initiative de projet de loi, et exprimé l’espoir qu’il ne serait pas déjoué par les lobbyistes comme ceux ayant pris la parole pendant la réunion.
Il a ajouté être ravi de voir des représentants de la police dans la salle. La police israélienne était absente lors de la précédente session consacrée aux options binaires à la Knesset, le 2 janvier.
Néanmoins, tant que le projet de loi n’est pas adopté, la fraude aux options binaires continue à faire des victimes sans quasiment aucune intervention de la police, a mis en garde Horovitz.

« Le problème, c’est ce qui se produit depuis dix ans et ce qui continue à se produire tous les jours. Deux semaines après notre dernière réunion, nous avons appris que Fred Turbide, un Canadien, s’était suicidé parce qu’une entreprise du nom de 23traders, qui opère depuis Ramat Gan, lui a volé tout son argent, a fait valoir Horovitz. Ce n’est qu’un seul exemple, dans une seule entreprise, sur plus de cent sociétés qui continuent leurs activités quotidiennes au moment où nous sommes en train de parler. »
« Si nous avons pu collecter les noms de ces entreprises sans trop de problème », a ajouté Horovitz, brandissant une liste de plus de 100 entreprises d’options binaires, « pourquoi est-ce si difficile pour la police ? »
Gabi Biton, commissaire de police, a déclaré que la police n’avait reçu que 52 plaintes depuis 2009 au sujet des options binaires, et non une « avalanche » de plaintes comme l’Autorité des titres israélienne.
« Nous agissons à cause des reportages consacrés aux options binaires, a dit Biton, et non parce que ce serait justifié par le nombre de plaintes. »
« C’est une fraude mondiale qui emploie des milliers d’Israéliens, a répliqué Horovitz. Le fait que vous ayez eu 52 plaintes, c’est parce que vous avez voulu continuer à ne rien voir, à ne rien entendre et à ne rien faire. Nous avons commencé à enquêter sur le sujet il y a un an, et vous n’avez rien fait, et c’était déjà huit ans trop tard. »
Biton a expliqué que maintenant que la police avait ouvert les yeux, elle enquêtait activement sur les options binaires.
« Nous aborderons le sujet sous l’angle pénal, nous nous intéresserons au traitement des cartes de crédit, et si nous ne pouvons les coincer sous l’angle pénal, alors nous les coincerons sous l’angle régulatoire. Et si nous ne les coinçons pas comme ça, nous trouverons les sources de leur revenu. Et si nous ne trouvons pas ces sources, nous irons vers les autorités fiscales et nous les coincerons sur leur déclaration leurs revenus, a juré Biton . Nous les attaquerons dans toutes les directions. »