Un Canadien dépouillé par les options binaires israéliennes se tire une balle dans la poitrine
Fred Turbide était un mari et un père dévoué, qui cherchait à profiter de sa retraite avec sa famille. C’est à ce moment que les “courtiers” de 23Traders lui ont mis la main dessus
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël
Un Canadien de 61 ans s’est suicidé après avoir perdu plus de 200 000 dollars canadiens (575 000 shekels) à cause d’une entreprise d’options binaires israéliennes, a déclaré au Times of Israël un fonctionnaire canadien.
Le 21 décembre 2016, Frederick Felix Turbide, qui habitait à Edmonton, Alberta, s’est tiré une balle dans la poitrine après avoir perdu toutes ses économies et de l’argent qu’il avait emprunté, pour un total de plus de 300 000 dollars canadiens (862 000 shekels) sur plusieurs plate-formes d’options binaires. Il a perdu les deux tiers de cette somme sur la plate-forme 23Traders.com, qui se situe en Israël.
L’industrie majoritairement frauduleuse des options binaires s’est épanouie en Israël depuis neuf ans, arnaquant des centaines de milliers de victimes du monde entier pour un montant de plusieurs milliards de dollars. Et ce, sans quasiment aucune intervention des forces de l’ordre israéliennes.
Ces entreprises trompent leurs victimes en leur proposant de pseudo-investissements lucratifs à court terme, les encourageant à « investir » de plus en plus d’argent. En employant différentes ruses, les compagnies s’assurent ensuite que, dans l’écrasante majorité des cas, leurs clients perdent quasiment tout leur argent. Les victimes perdent fréquemment des dizaines de milliers de dollars, voire plus.
Turbide avait été exhorté par son courtier de 23Traders, qui se présentait comme « Julian Wellington », à investir au fur et à mesure toutes ses économies, ainsi que le crédit de sa maison et de ses entreprises dans les options binaires, avec l’assurance d’en tirer un revenu important.
« D.ieu est avec nous », lui aurait dit sur Skype le prétendu Julian Wellington le 12 décembre 2016. « Je vous prends 250 K 🙂 Quand vous étendrez votre entreprise, envoyez-moi une gentille carte », lui a-t-il envoyé, en ajoutant un émoticône d’une poignée de main.
Wellington avait dit à Turbide qu’il appelait depuis le Royaume-Uni, ou Toronto, pense la famille de Turbide, puisque qu’il avait une fois parlé de lui en l’appelant « mon boss britannique », et que le numéro de téléphone utilisé avait l’indicatif de Toronto.
Il avait initialement été dit à Turbide qu’il ferait des bénéfices, puis il avait été encouragé à placer de plus en plus d’argent.
Quand Turbide a dit à Wellington qu’il avait convaincu sa femme de le laisser utiliser 20 000 dollars du crédit de leur maison, le courtier l’avait félicité. « Vous êtes le maître du charisme ! », écrivait-il le 12 décembre.
Turbide lui avait dit qu’il serait financièrement « à sec » après avoir placé les derniers 20 000 dollars, mais Julian l’avait rassuré le jour même. « Je suis avec vous, pas à 100 %… à 1 000 % ! et plus. En clair : je suis là frère. Je sais à quel point vous voulez amasser une fortune et couvrir chaque dépense. »
Les longues transcriptions de leurs échanges sur Skype, transmises au Times of Israël par la famille de Turbide, montrant que « Julian Wellington » et Turbide ont commencé à communiquer le 6 décembre 2016. La famille pense que Turbide utilisait la plate-forme de l’entreprise depuis plusieurs mois avant que « Wellington » ne devienne son courtier.
Le 19 décembre, les premiers signes de problèmes apparaissent. Turbide s’est plaint de ne pas pouvoir accéder à son compte. Le lendemain, le 20 décembre, le courtier écrit : « Nouvelle tragique, désastre au cœur de l’EURO, Berlin, Allemagne. Nous échangeons des euros et des dollars toute la journée. »
Le jour suivant, le 21 décembre, Wellington a appelé Turbide à 8h47. La conversation a duré plus d’une heure. Julian aurait informé Turbide qu’il avait « perdu » quasiment tout, voire tout, son argent. Peu après avoir raccroché, Turbide lui écrit « je suis à votre merci maintenant Julian. Je n’ai jamais été aussi stressé de ma vie. Oh mon Dieu, Julian, dites-moi que ce n’est pas vrai. »
Wellington a répondu « tout ira bien, cher Fred. La foi nous mènera vers la victoire. Je veux appliquer les bonus d’assurance, et récupérer les pertes. »
Mais Turbide semble ne plus lui faire confiance. A 11h58, il envoie à Wellington une copie d’une note de suicide qu’il prévoit de laisser à son épouse, dans laquelle il dit à sa famille qu’il les aime, et accuse 23Traders de l’avoir poussé au suicide. « Voici la lettre qui sera sur son bureau à la fin de la journée », écrit Turbide à Wellington.
A 12h02, Wellington essaie d’appeler. Turbide dit qu’il ne peut pas répondre parce que sa femme est à la maison. Il demande ensuite à plusieurs reprises à Wellington sur Skype s’il lui rendra son argent, sans réponse du courtier. A 15h52, Turbide envoie à Wellington un dernier plaidoyer.
« J’ai perdu ma maison, l’argent de ma retraite et mon entreprise, à cause de vous. Il est maintenant 15h52 (mon heure). Je vais prendre une douche puis aller au garage pour me finir. Je vous donne une heure pour m’appeler avec des résultats positifs pour récupérer l’argent que j’ai perdu. »
Maria Chaves-Turbide, mariée depuis 21 ans à Turbide, est rentrée à la maison, suivie de ses quatre enfants, pour le retrouver mort dans le garage.
« Je pense que quand il a réalisé qu’il avait été trahi par le courtier d’options binaires, il n’a pas pu supporter de perdre tout ce qu’il avait construit pour le futur de notre famille », a déclaré Tomas Ferreira, le fils de Turbide, au Times of Israël.
« Il a très certainement ressenti un mélange de trahison, de désespoir, et de honte. »
Jason Roy, enquêteur sur les fraudes canadien pour la Commission des titres de Manitoba, qui dirige l’équipe sur les options binaires du Canada, avait dit au Times of Israël il y a quelques mois que « la fraude aux options binaires semblent être la plus grande menace actuelle pour les investisseurs canadiens. »
Alison Trollope, directrice des communications pour la Commission des titres d’Alberta (ASC), a déclaré que « l’ASC et nos collègues de l’Administration des titres du Canada connaissons de multiples sites internet qui promeuvent des plateformes d’options binaires qui sollicitent des Canadiens. Malheureusement, non seulement ces sites ne sont pas autorisés à vendre des titres au Canada, mais ils sont généralement frauduleux. Nous conseillons et nous continuons de conseiller aux investisseurs canadiens d’éviter d’investir dans de telles entreprises, souvent situées à l’étranger. »
Un troisième responsable canadien, qui a parlé avec la famille de Turbide et averti le Times of Israël de son suicide, a déclaré que 23Traders avait d’une manière ou d’une autre réussi à prendre de l’argent sur la carte de crédit de Turbide même après sa mort, et même après que la famille a suspendu la carte.
23Traders.com n’a pas de licence pour travailler au Canada, ont déclaré les régulateurs, et violait la loi en faisant des transactions avec Turbide.
Selon les documents vus par le Times of Israël, et des sources connaissant l’entreprise, 23Traders.com utilise un centre d’appels en Israël appelé « Market Giants Ltd. », dont l’adresse, enregistrée au registre des sociétés israélien, est au 9 rue Barkat, à Petah Tikva.
Selon le registre des sociétés israélien, le directeur de Market Giant est Eran Schindler, décrit dans son profil LinkedIn comme le fondateur et le propriétaire de « Schindler CFO Financial Services ». Toujours selon le registre des sociétés, Market Giant est possédé par une entreprise appelée « CFO Outsourcing Services Ltd. », elle-même possédée par Eran Schindler et une troisième entreprise, I-TLD Management Ltd. Selon le registre, I-TLD Management Ltd. appartient à Tal Dayagi, qui est, selon son profil LinkedIn, associé de Schindler CFO Financial Services.
De plus, un groupe d’investisseurs israéliens dans des start-ups, The Founders Group, affirme dans ses documents promotionnels avoir fourni 1,85 million de dollars de capital d’amorçage à 23Traders. Dans le prospectus 2016 du groupe, le fondateur de 23Traders est Giora Tal, décrite comme possédant une « grande expérience dans le lancement et la gestion d’entreprises de l’industrie du jeu ».
Un article publié en 2010 dans The Gibraltar Magazine affirme que Tal travaille pour le groupe de casinos en ligne de Gibraltar Mansion Group. Deux partenaires du Founders Group, Shalev Hulio et Omri Lavie, sont connus pour avoir développé des logiciels espions qui peuvent pirater des produits Apple, et auraient été utilisés par des gouvernements étrangers pour tenter de pénétrer les appareils de journalistes et de dissidents.
« Je suis tellement désolé »
Dans la lettre d’adieu qu’il a laissée, Turbide exprime son amour pour sa famille et leur demande de traîner 23Traders en justice.
« Maria, mon amour. Je suis tellement, tellement désolé. Je suis mort dans le garage. N’y va pas, appelle simplement la police… Julian, Thomas et David de 23Traders m’ont poussé vers la mort. »
Les membres de la famille de Turbide l’ont décrit comme un homme par-dessus tout gentil et s’en tenant à ses principes. Il a rencontré Maria quand elle avait 40 ans et élevait seule ses quatre enfants après un divorce. Fred a adopté les enfants de Maria comme les siens, et ils ont passé ensemble 21 ans à construire l’entreprise familiale, qui vend des produits promotionnels aux syndicats.
Tomas a décrit son père comme un homme au grand cœur, qui a fourni un emploi à des sans-abris, et adoptait souvent des animaux errants.
Marty Forbes, éditorialiste du Toronto Sun, avait indiqué, dans un article intitulé « Ma liste 2016 des personnes formidables » et publié une semaine avant la mort de Turbide, que Turbide était l’une des meilleures personnes qu’il connaissait.
« Maria et Fred Turbide sont quasiment devenus les parents d’une de mes amies, mère célibataire, et de son fils », avait écrit Forbes. La mère aidée par les Turbides était citée : « Ils m’aident en allant chercher les courses, en nous invitant à dîner, en enlevant la neige de mon trottoir, en tondant la pelouse et en ratissant les feuilles. Frederick enlève même régulièrement les crottes de chien pour aider à garder mon jardin propre. »
Tomas a déclaré que son père avait probablement commencé les options binaires parce qu’il voulait prendre sa retraite et passait passer plus de temps avec sa famille.
« Il nous disait à quel point il était fatigué, je n’ai jamais vu quelqu’un travailler autant de ma vie, et comme il était excité de prendre sa retraite cette année. Il avait déjà prévu des voyages avec Maman, et parlait des choses qu’ils allaient faire ensemble. »
« Je veux voir ces personnes arrêtées »
Au cours des derniers mois, le Times of Israël a détaillé la fraude massive des entreprises israéliennes d’options binaires, en commençant en mars par un article intitulé « Les loups de Tel Aviv », et a estimé que l’industrie représente plus de 100 entreprises en Israël, dont la plupart sont frauduleuses et emploient diverses ruses pour voler l’argent de leurs clients. Des milliers d’Israéliens travaillent dans ce domaine, qui aurait arnaqué des milliards de dollars à des victimes du monde entier pendant la dernière décennie.
Répondant directement aux reportages du Times of Israël, le bureau du Premier ministre a condamné en octobre les « pratiques sans scrupule » de l’industrie, et a appelé à son interdiction dans le monde entier.
En réponse aux articles du Times of Israël, la commission de Contrôle de l’Etat de la Knesset a organisé une session spéciale le 2 janvier sur l’échec du gouvernement à arrêter la fraude des options binaires. La présidente de la commission, la députée Karin Elharar, du parti Yesh Atid, a demandé que la police commence à appliquer la loi contre les entreprises frauduleuses d’options binaires dès le prochain mois, et que l’Autorité des titres israélienne présente d’urgence un projet de loi permettant de fermer toute l’industrie. La police a ignoré la demande d’Elharar de se présenter devant la commission. Une seconde réunion aura lieu en février, et il a été ordonné à la police d’y être présente.
La veuve de Turbide, Maria Chaves-Turbide, a affirmé qu’elle voulait raconter l’histoire douloureuse de sa famille pour empêcher que cela n’arrive à d’autres.
« Mon mari était un homme doux et gentil », a-t-elle dit.
« Avant de le rencontrer, j’étais retournée dans mon pays natal, le Portugal, et je me sentais seule. Je me suis mise à genoux et j’ai demandé à Dieu de me donner quelqu’un. Il pouvait être petit, gros, chauve et moche, s’il était généreux, c’est tout ce que je demandais, et c’est ce que j’ai eu, l’homme le plus doux, le plus gentil. »
Quand il lui a été demandé pourquoi elle voulait que son histoire soit racontée, elle a répondu que « je veux voir ces personnes arrêtées. Je veux que cette arnaque s’arrête, et je veux que le monde sache qu’ils m’ont pris l’amour de ma vie. »
La réponse de 23Traders
L’Autorité des titres israélienne a refusé de s’exprimer sur l’affaire et le suicide de Turbide.
Le Founders Group n’a pas répondu à une demande de commentaire.
Le Times of Israël a proposé à 23Traders de répondre à cet article, notamment au sujet du suicide de Fred Turbide, sur ses opérations, sur son courtier « Julian Wellington » et sur son centre d’appel Market Giant. Sa réponse, un e-mail signé par « George Hill », est intégralement reproduite ci-dessous :
« 1. L’entreprise ne divulgue aucune information concernant ses clients à une autre entité, à l’exception du client lui-même ou d’un tuteur légal. 2. Vos affirmations sont absolument fausses. Cordialement, le service client de 23Traders »